(Tunis) – Les autorités tunisiennes devraient mener une enquête approfondie et impartiale sur la mort, le 3 octobre 2014, d'un homme qui aurait été torturé et maltraité lors de son arrestation. Des membres de la famille de Mohamed Ali Snoussi qui ont vu son corps ont confié à Human Rights Watch qu'il présentait des blessures à l’arrière de la tête et des ecchymoses sur le dos, les épaules et les jambes.
La police a arrêté Snoussi, 32 ans, le 24 septembre à Mallasine, un quartier populaire de Tunis. Trois témoins interrogés par Human Rights Watch ont affirmé que les policiers l'ont déshabillé, battu et humilié sexuellement, et l'ont menacé devant tout le monde, puis l'ont emmené. Snoussi a passé six jours dans les cellules de la police, avant d’être transféré à l'hôpital, où il est mort deux jours plus tard.
« Il y’a de sérieuses allégations que des policiers ont torturé et maltraité un suspect en plein jour, devant ses voisins et autres passants, comme s’ils se considéraient au-dessus de la loi », a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les actions de la police lors de l'arrestation de Snoussi, si elles sont confirmées, tendent à remettre en cause les affirmations du gouvernement selon lesquelles celui-ci s’attaque sérieusement au problème de la torture. »
Dans des entretiens séparés avec Human Rights Watch, trois voisins qui ont été témoins de l'arrestation ont fourni des récits concordants. Ils ont déclaré que des agents de police sont arrivés dans plusieurs voitures vers 10h30 le 24 septembre, ont enfoncé la porte de la maison de Snoussi et l’ont fait sortir torse nu.
Selon ces témoins, les policiers, qui se sont eux-mêmes identifiés comme appartenant à la police judiciaire de la Brigade 17, après l'avoir fait sortir, ont frappé Snoussi à coups de matraque, l'ont poussé et ont arraché son pantalon et ses sous-vêtements, l’exposant nu aux yeux des spectateurs, et ils ont menacé de le violer. Les policiers ont frappé Snoussi pendant plusieurs minutes, en se vantant de leurs exactions et en menaçant les habitants, puis l'ont fait monter de force dans une de leurs voitures et sont partis.
Mehdi Kalboussi, un voisin, a affirmé qu'il a vu la police arriver et entendu Snoussi crier à l'intérieur de la maison. Lorsque la police l'a fait sortir, Kalboussi a confié :
Tout le quartier regardait. L'officier de police qui portait un insigne à trois étoiles a déclaré : « Tu crois que tu peux nous insulter trou-du-cul ! Nous sommes la Firka [Brigade] 17. Tu verras ce qu’on va te faire. On va te mettre la matraque dans l'anus et la remettre et faire de toi une femme. »
Kalboussi a déclaré que l'officier aux trois étoiles, ce qui indique qu'il est un commandant de haut rang, a ensuite frappé Snoussi sur les parties génitales.
Un autre témoin, qui a parlé à Human Rights Watch à la condition que son identité serait protégée, a indiqué qu'il se trouvait dans son magasin lorsque les policiers sont arrivés. Il a déclaré que lorsque les policiers battaient Snoussi et que les badauds regardaient et protestaient, un des policiers a déclaré : « Voyez-vous, messieurs dames, ce dont la Firka 17 est capable ? Si l'un de vous souhaite être traité de cette façon, nous vous ferons ce que nous avons fait à celui-ci ! »
Moez Snoussi, le frère de Snoussi, a déclaré à Human Rights Watch qu'il avait vu son frère à l'hôpital Charles Nicole le 1er octobre : « Je l'ai trouvé dans le coma et respirant à peine. Il était entouré de partout par des machines. Il avait des chaînes autour des jambes. J'ai demandé aux médecins à plusieurs reprises ce qui lui était arrivé. Ils m'ont donné différentes réponses contradictoires. »
Après la mort de Snoussi le 3 octobre, l'hôpital a procédé à une autopsie, puis rendu son corps à sa famille. Moez Snoussi a confié que lorsqu’il a vu le corps :
Je pouvais à peine le reconnaître. Si les médecins ne lui avaient pas coupé les cheveux lors de l'autopsie, je n'aurais pas été en mesure de voir le gros hématome bleu à l'arrière de sa tête. J'ai examiné son corps en détail. Son dos ainsi que ses jambes étaient meurtris.
Halim Meddeb, qui travaille à l’Organisation mondiale contre la torture, a confirmé la description fournie par le frère :
Le samedi 4 octobre, je suis allé à la maison des Snoussi et j’ai vu son corps. Il avait des bleus partout, sur le dos, sur les avant-bras et sur les côtes.
Les photographies du corps, consultées par Human Rights Watch, montrent de nombreuses ecchymoses sur le dos et les jambes de Snoussi ainsi qu’un gros hématome à l'arrière de sa tête.
Le 7 octobre, le ministère de l'Intérieur a publié une déclaration sur sa page Facebook stipulant que la police avait arrêté Snoussi pour des infractions comprenant l'agression de policiers ainsi que la consommation et le trafic de stupéfiants. Selon le communiqué, un rapport médico-légal de l'hôpital Charles Nicole a attribué la mort de Snoussi à un « choc septique » et une « lésion pulmonaire », et a conclu que « La cause du décès n'est pas le résultat du recours à la violence. » Le frère de Snoussi a quant à lui déclaré à Human Rights Watch le 13 octobre que la famille n'a pas encore reçu le rapport du médecin légiste cité dans la déclaration du ministère.
Radhia Nasraoui, l'avocate de la famille Snoussi, a déclaré à Human Rights Watch que le juge d'instruction du bureau 27 du tribunal de première instance de Tunis, qui a ouvert une enquête préliminaire sur la mort de Snoussi, lui a permis de lire brièvement le rapport du médecin légiste mais sans lui permettre de le photocopier. Selon elle, le juge aurait déclaré que les victimes et leurs représentants n'ont pas le droit d'accès au fichier officiel ou de faire des demandes à ce stade de l'enquête, mais Nasraoui conteste cela et fait valoir que cette interdiction d’accès au dossier viole les droits à une procédure équitable énoncées dans le code de procédure pénale, qui garantit aux "parties civiles" l’accès au dossier officiel à tous les stades de l'affaire.
Les Principes des Nations unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions appellent à une « enquête approfondie, prompte et impartiale » sur toutes les morts suspectes en détention pour « déterminer la cause, les circonstances et le jour et l'heure du décès, la personne responsable et toute pratique pouvant avoir entraîné le décès. » Les mêmes principes énoncent que « les familles des défunts et leurs représentants autorisés seront informés de toute audience et y auront accès, ainsi qu'à toute information touchant l'enquête; ils auront le droit de produire d'autres éléments de preuve. »
Suite à une visite en Tunisie en juin, le Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a déclaré que bien que le gouvernement ait fait certains « progrès dans la lutte contre la torture, et que les victimes aient maintenant moins peur de porter plainte, il existe malheureusement très peu d'action de la part des procureurs et des juges dans la poursuite des affaires. » Il a exhorté les autorités à mener des enquêtes approfondies et rapides sur les allégations de torture, à poursuivre les criminels ainsi qu’à offrir aux victimes des recours et des dédommagements efficaces.
« La Tunisie doit faire beaucoup plus pour exiger des comptes aux policiers qui commettent des abus si ses affirmations selon lesquelles elle s'est engagée à éliminer la torture sont censées rester crédibles », a conclu Eric Goldstein.