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Liban : Une nouvelle approche s’impose pour protéger Tripoli

Les autorités devraient engager des poursuites contre certains combattants et aborder la question des différends communautaires

(Beyrouth, le 28 mai 2013) – Les violences répétées et continues entre groupes armés à Tripoli, dans le nord du Liban, ont déjà fait de nombreux morts et semé la destruction dans cette ville, a indiqué Human Rights Watch aujourd'hui. La récente vague de violence qui a éclaté le 19 mai 2013 dans les quartiers de Jabal Mohsen et Bab al-Tabbaneh a fait au moins 28 morts et plus de 200 blessés ; et, à Tripoli, deuxième ville du Liban, la vie semble s’être arrêtée. Au moins deux soldats de l’armée libanaise et six membres de groupes armés ont été tués.

Human Rights Watch a appelé les autorités libanaises à accomplir leur devoir de protection des habitants de Tripoli en déployant et maintenant une présence plus étendue des forces de sécurité dans la région, et en arrêtant et poursuivant les responsables des violentes attaques perpétrées contre la population.

« Ce dernier épisode de violences mortelles illustre l'échec des solutions provisoires adoptées par les autorités libanaises pour régler le conflit à Tripoli », a indiqué Nadim Houry, directeur adjoint de la division Moyen-Orient à Human Rights Watch. « Les habitants de cette ville doivent être protégés, ce qui exige un nouvel engagement de l’État à veiller à leur sécurité et à leur bien-être. »

Les violences intermittentes se sont intensifiées entre les deux quartiers depuis mai 2008, avec au moins 16 épisodes de violence différents déplorés depuis lors. D’après les civils et les groupes armés opérant dans la région, Tripoli est devenu un terrain fertile aux violences en recrudescence depuis le déclenchement du conflit en Syrie, avec des tensions d’ordre confessionnel entre sunnites et alaouites aggravant le caractère déjà insuffisant de la protection des droits sociaux et économiques et avec des différends de longue date opposant les communautés.

Human Rights Watch a appelé les autorités libanaises à protéger les civils en déployant et en maintenant davantage de forces de sécurité dans la région et en empêchant une nouvelle vague de violence par le biais de la saisie des armes se trouvant aux mains des hommes armés, ainsi que par le biais de l'arrestation et de la poursuite des responsables des tirs et des bombardements sur la population. Human Rights Watch a également demandé au gouvernement de constituer un comité réunissant les chefs des deux communautés aux fins d’aborder la question des différends sous-jacents opposant les populations depuis longtemps et d’évaluer les mesures à prendre en faveur de leurs droits économiques et sociaux, y compris la protection et la remise en état de leur domicile et des autres immeubles.

Bien que les tensions d'ordre confessionnel entre les quartiers de Jabal Mohsen et Bab al-Tabbaneh remontent à la guerre civile du Liban (1975-1990), elles se sont intensifiées avec le conflit en Syrie. Jabal Mohsen, zone habitée en majorité par des Alaouites, soutient fortement le gouvernement syrien. Les quartiers à dominance sunnite qui entourent Jabal Mohsen, y compris Bab al-Tabbaneh, sont des bastions de combattants islamistes sunnites qui s’identifient aux combattants de l'opposition en Syrie et qui les soutiennent.

Les affrontements actuels qui, d’après ce qu’ont déclaré des habitants à Human Rights Watch, ont éclaté suite à des tensions déclenchées par la bataille pour le contrôle de la ville frontalière syrienne d’al-Qusayr, semblent impliquer des combattants libanais soit partisans du gouvernement d’Assad, soit opposés à celui-ci. Il s’agit des conflits les plus meurtriers depuis le regain des violences entre les groupes de Jabal Mohsen et Bab al-Tabbaneh en mai 2008.

Tirs de snipers, bombardements et incidences sur la libre circulation, l’éducation et la santé
Les chercheurs de Human Rights Watch se sont entretenus avec six civils blessés, parmi lesquels un enfant et une femme, qui étaient toujours hospitalisés au nord du Liban ainsi qu'avec six de leurs proches ou de proches d'autres civils blessés. Ils ont tous expliqué s’être trouvés sous le feu d’armes automatiques, de tirs de snipers ainsi que sous le feu de roquettes et de tirs de mortier provenant de groupes armés de la région.

La première victime de ces violences, Mohammad Ahmad Youssef, un jeune habitant de Jabal Mohsen âgé de 18 ans, a été transporté le 19 mai à 15h45 dans un hôpital de Tripoli où il est décédé des suites de ses blessures causées par une balle logée dans son flanc gauche, a indiqué le personnel de l’hôpital à Human Rights Watch. Dans un entretien téléphonique, un proche a déclaré à Human Rights Watch que Youssef, qui travaillait comme charpentier, se trouvait avec ses amis dans un café lorsque des hommes armés qui, d'après eux, devaient appartenir au groupe de Bab al-Tabbaneh, ont tiré sur lui et ses amis. Hassan, un autre habitant de Jabal Mohsen, a déclaré à Human Rights Watch que, après le tir sur Youssef, des hommes armés de Jabal Mohsen ont riposté, des coups de feu ayant été ainsi échangés à plusieurs reprises entre les deux quartiers.

Khalid, un blessé sunnite de Maluleh, un quartier proche de Jabal Mohsen, a déclaré à Human Rights Watch depuis son lit d’hôpital qu’il avait été la cible d’un tireur embusqué de Jabal Mohsen, le 22 mai, alors qu’il se rendait au travail. Il a expliqué :

Je me suis réveillé hier et j’ai appelé mon supérieur pour lui dire que je ne viendrai pas travailler car la sécurité des environs n’était absolument pas assurée. Il m’a dit que si je ne venais pas, ce n’était plus la peine que je revienne ; alors j’ai pris ma moto et je suis parti là-bas. Lorsque je suis arrivé au bout de ma rue, j’ai décidé d’éviter la nationale qui passe par Jabal Mohsen et j’ai choisi de prendre la route de Mahjar car elle est plus sûre. Soudain, un civil m’a interpellé pour me mettre en garde contre des tireurs embusqués... [Après] j'ai commencé à rouler doucement le long du mur en m’éloignant de la rue. Cinq minutes plus tard, j’ai reçu un coup de feu dans le bas du dos.

De nombreux tirs de mortier ont également été lancés au cours de cette vague de violence. Le 24 mai, des sources de sécurité libanaises ont signalé que près de 1 200 obus de mortier avaient été tirés et des grenades avaient été lancées en ville dans la nuit du 23 au 24 mai. Human Rights Watch a identifié des fragments d'obus de mortier de 120 mm et 82 mm ainsi que des obus de roquette parmi les débris d’armes découverts après les violences.

Wafa, une jeune alaouite de Jabal Mohsen âgée de 14 ans qui était dans un hôpital avec sa mère, a déclaré à Human Rights Watch que, le 19 mai, leur appartement du cinquième étage dans lequel elles se trouvaient à ce moment-là avait été la cible d’un obus qui a blessé sa mère. Elle a indiqué :

Ma mère et moi nous reposions dans une pièce dimanche après-midi lorsqu’un obus a frappé notre immeuble, explosant la vitre en mille morceaux. Des éclats ont touché le pied droit de ma mère… Bab al-Tabbaneh se trouve juste en face de chez nous. Nous vivons à proximité de l’hôpital de Zahra… dans une zone résidentielle… ils ont également tiré sur l’immeuble.

Wafa a déclaré à Human Rights Watch que quelques habitants du quartier les avaient accompagnées à la clinique Zahra à Jabal Mohsen et que, de là, la Croix Rouge les avait emmenées dans un véhicule de type ambulance vers un hôpital à l’extérieur du quartier. Elle a indiqué que, sur la route, l’ambulance avait été la cible de tirs, ce qui avait provoqué un accident. Lorsque les chercheurs de Human Rights Watch l’ont vue à l’hôpital le 23 mai, elle a dit qu'elle dormait là pour veiller sur sa mère car les routes pour se rendre chez elle n’étaient pas sûres.

Au cours de chaque affrontement, des milliers de familles sont bloquées chez elles à cause des violences sévissant à l’extérieur. Elles doivent trouver des échappatoires qui s’avèrent dangereuses pour fuir leur habitation et pour se rendre chez des proches vivant dans d’autres quartiers de la ville, ont indiqué les habitants. Alors que les violences ont des incidences sur la sécurité et la vie de tous les quartiers touchés, les habitants de Jabal Mohsen ne peuvent pas fuir facilement parce que le secteur se trouve effectivement entouré par des quartiers généralement hostiles. Ils dépendent souvent de la seule clinique sous-équipée de Zahra, les blessés risquant ainsi de mourir en se vidant de leur sang ou en succombant à leurs blessures avant même de recevoir des soins. Le personnel de la clinique qui a parlé aux chercheurs de Human Rights Watch début mai, avant la dernière vague de violence, a indiqué que des patients étaient morts à cause de l'absence d'accès aux services médicaux adéquats ou à cause des longues attentes avant de recevoir des soins médicaux.

En outre, les écoles de toutes les régions affectées sont régulièrement contraintes de fermer leurs portes du fait des affrontements armés et le traumatisme généré chez les écoliers a engendré une chute significative des résultats scolaires, d'après les enseignants qui ont parlé à Human Rights Watch.

Une étudiante de l’école Abi Firas de Jabal Mohsen, également prénommée Wafa, a déclaré que son école était fermée suite aux violences et qu’elle avait déjà fermé plusieurs fois au cours de la dernière année scolaire à cause des échauffourées. Elle a indiqué qu’elle avait des examens le 22 juin et qu’elle craignait de ne pouvoir se concentrer sur ses révisions ni se présenter à ses examens du fait des violences.

Impact des violences sur les immeubles et l’activité économique
Au-delà du bilan meurtrier et du grand nombre de civils blessés dans les affrontements, les violences ont également eu de sérieuses répercussions financières sur la vie des habitants de ces zones de la ville déchirées par les conflits.

La quasi-totalité des foyers de Jabal Mohsen et des quartiers sunnites environnants dans lesquels les chercheurs de Human Rights se sont rendus début mai avaient subi les affres des violences, depuis des impacts de balles jusqu’à des impacts de roquettes ou à des appartements complètement détruits dans des incendies causés par des impacts d’explosifs. Dans la majorité des appartements exposés aux tirs directs que Human Rights Watch a visités, les pièces les plus exposées aux violences étaient inoccupées lors des affrontements ou les habitants avaient autrement tapissé les murs de sacs de sable ou de briques de béton pour se protéger.

L’activité économique dans la région a été pratiquement paralysée, de nombreuses entreprises et usines ayant fermé leurs portes dans les zones touchées, ont indiqué les habitants. La ville de Tripoli dans son ensemble a également connu un recul économique important du fait des violences avec le déclin de son industrie touristique et l’arrêt des investissements, d’après les propos d’un représentant d’un organisme caritatif local.

Réponse de l’État
Depuis 2008, le gouvernement libanais réagit à chaque épisode de violences en adoptant la même approche : l’armée est déployée sur le moment pour tenter d’endiguer la situation mais ensuite peu d’actions sont menées entre deux épisodes de violence.

L’armée est présente en permanence à Jabal Mohsen et dans les quartiers sunnites voisins et de nombreux officiers connaissent très bien les groupes armés des deux côtés. Avant la vague de violences la plus récente, à Jabal Mohsen et à Bab al-Tabbaneh, les chercheurs de Human Rights Watch ont vu des officiers de l’armée appeler des membres des groupes armés par leur prénom et se sont entretenus avec des militants armés assis à deux pas des postes militaires. Pendant les périodes de trêve, il semble que l'armée libanaise agisse peu pour contenir les activités des combattants armés.

Lors de ce dernier épisode de violences, le 19 mai, l'armée libanaise est intervenue pour stopper les violences en ripostant, en envoyant des patrouilles et en installant des barrages routiers. Le 20 mai, l’armée a continué de répondre aux tirs des groupes armés dans la région et le ministère de la Défense a gelé les permis de port d’armes à Tripoli jusqu’à nouvel ordre, indiquant que les contrevenants feraient l’objet de poursuites.

Les tentatives de parvenir à un cessez-le-feu par l’entremise de l’armée ont échoué le 23 mai face à la reprise des violences mais, le 27 mai, un calme relatif a semblé s'installer de nouveau dans la ville au moment où l'armée a opéré un large déploiement. Comme ce fut le cas lors des précédentes vagues de violence, aucun effort véritable n’a été fait pour arrêter les hommes armés d’un côté ou de l’autre ou pour saisir les armes de façon efficace et ce, en dépit de la directive du ministère.

« Le conflit en Syrie est susceptible d’envenimer les différends opposant les communautés et risque de se transformer en guerre générale », a conclu Nadim Houry. Le gouvernement devrait désormais agir pour désarmer les agresseurs et pour s’intéresser aux racines des conflits avant qu’il ne soit trop tard. »

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Déclarations de civils blessés et de proches
Fayez, un habitant de Jabal Mohsen âgé de 42 ans, a déclaré à Human Rights Watch depuis son lit d'hôpital qu'il a été touché à la poitrine le 21 mai alors qu'il rentrait chez lui après avoir été chercher du pain à la boulangerie d’Amran.Il a expliqué :

Je rentrais chez moi… lorsqu’un sniper m’a tiré dessus. Un autre homme qui était à mes côtés… a été tué par balle. Le tir provenait de Baqqar et du rond-point d’Abu Ali [à Bab al-Tabbaneh]. Nous étions trois ou quatre hommes à nous trouver sous le bâtiment et à chercher la route la plus sûre pour rentrer à la maison. Nous ne nous sommes pas rendu compte qu’ils pouvaient nous voir... J'ai été touché une fois à la poitrine ; puis un groupe de garçons est arrivé après avoir entendu nos cris. Ils m’ont embarqué dans leur voiture et m’ont amené à la clinique de Zahra. Après cela, l’armée m’a transféré dans cet hôpital… Il était environ 3 ou 4 heures de l’après-midi. Aucun d’entre nous n’avait d’armes. Les autres hommes étaient des civils comme moi.

Fayez a indiqué à Human Rights Watch que son frère, Riyad Maaraf, a été tué lors d’une précédente vague de violences ayant opposé deux quartiers le 15 avril 2012. Il a décrit la façon dont cet épisode et les épisodes précédents ont perturbé sa vie quotidienne. Il a expliqué : « Lorsque les combats démarrent, les habitants de Jabal Mohsen n’ont nulle part où aller. Nous ne pouvons pas nous déplacer. Nous n’avons aucune échappatoire… nous sommes entourés de tireurs embusqués. »

Dans le même hôpital, Human Rights Watch a également parlé à Maha, une jeune alaouite de 13 ans habitant à Aalma, un quartier à l’est de Bab al-Tabbaneh et de Jabal Mohsen, qui a également reçu une balle dans la poitrine. Maha a indiqué à Human Rights Watch qu’elle avait été touchée alors qu’elle se trouvait sur le perron de la maison de ses grands-parents le 19 mai vers 18h00. Elle a indiqué :

Je me trouvais avec ma famille devant la maison de mes grands-parents lorsque nous avons entendu un bruit ressemblant à une forte explosion. Puis j’ai senti qu’il y avait comme quelque chose en moi. Je me trouvais debout devant la porte et j’ai vu du sang sur mes vêtements. Mon oncle qui était avec moi a crié et m’a prise. Il m'a mise dans la voiture et m’a amenée à l’hôpital.

Marwan, un jeune sunnite de 23 ans habitant à Bab al-Tabbaneh qui s’est présenté comme un employé d'une société de Beyrouth travaillant de nuit, a indiqué à Human Rights Watch qu’il rentrait chez lui en passant par le marché de Bab al-Tabbaneh à 1h30 du matin le 22 mai lorsqu’il a été blessé par un éclat d’obus. Il a expliqué :

Je suis passé devant des personnes [au  marché] qui m’ont dit de partir parce que des gens tiraient avec des obus de mortier. Puis un obus a frappé juste de l’autre côté de la rue… J’ai été blessé et après, des gens sont venus car quelqu’un avait crié qu’il y avait un blessé. J’ai vu que ma poitrine saignait et j’ai mis mon autre main sur ma blessure et j’ai marché vers eux. J’ai perdu beaucoup de sang et je me suis évanoui. Ensuite, je me suis retrouvé ici à l’hôpital ; c’est tout ce dont je me souviens.

Marwan a indiqué que des habitants armés se trouvaient au marché au moment de l’attaque de mortier qui l'a touché, et qu’ils avaient riposté. Il a estimé qu’il y avait quatre ou cinq hommes armés dans chacune des rues par lesquelles il est passé à Bab al-Tabbaneh.

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