(Tunis) – L’Assemblée nationale constituante tunisienne (ANC) devrait modifier certains articles, dans la nouvelle ébauche de constitution, qui menacent les droits humains, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui dans une lettre adressée aux membres de l’ANC. Les dispositions préoccupantes sont celles qui concernent le statut des conventions internationales ratifiées par la Tunisie, l’immunité judiciaire pour le chef de l’État, le manque de garanties suffisantes pour l’indépendance de la justice, ainsi que les formulations ambiguës qui pourraient menacer les droits et les libertés.
Le 14 décembre 2012, l’ANC a rendu public un projet révisé de constitution qui présente d’importants remaniements par rapport à la première ébauche publiée en août. L’assemblée tient actuellement des consultations avec le grand public tunisien et des groupes de la société civile. Elle doit ensuite délibérer sur le texte et décider si elle doit encore le modifier avant de passer au vote pour l’adopter.
« La seconde ébauche de constitution contient des termes respectant mieux la liberté d’expression et les droits des femmes que la première », a déclaré Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Mais l’ANC devrait s’attaquer aux points faibles et aux omissions du texte qui pourraient être utilisés par les juges et les législateurs pour restreindre les droits humains ».
On constate plusieurs améliorations dans la seconde version, notamment l’abandon des articles qui menaçaient la liberté d’expression en criminalisant toute « normalisation » des relations avec « le sionisme et l’État sioniste » ainsi que les atteintes au « sacré ». En outre, le nouveau projet de constitution contient un vocabulaire plus clair sur l’égalité de droits pour les femmes, a déclaré Human Rights Watch.
En même temps, Human Rights Watch est préoccupée par l’article 15, qui affirme que « le respect des conventions internationales est obligatoire si elles ne vont pas à l’encontre de cette constitution ». Avec cette formulation, les juges et les législateurs pourraient être tentés d’ignorer ces traités au prétexte qu’ils contredisent la nouvelle constitution, a déclaré Human Rights Watch.
Human Rights Watch a également exprimé son inquiétude concernant les dispositions suivantes:
- L’immunité judiciaire dont bénéficie le président durant et après son mandat pour tous les actes exécutés dans le cadre des fonctions présidentielles. Cette disposition devrait exclure explicitement les crimes internationaux, y compris ceux couverts par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), ainsi que les actes de torture et de disparition forcée;
- Des garanties insuffisantes d’indépendance de la justice, par exemple à cause de la proclamation ambiguë de la sécurité des postes occupés par les juges et de la marge de manœuvre excessive laissée au pouvoir législatif pour définir les conditions de la révocation de juges; et
- La discrimination inhérente à la disposition selon laquelle seul(e) un(e) musulman(e) peut devenir président(e) de la République. Cette disposition contredit l’article 5, selon lequel « tou(te)s les citoyen(ne)s ont les mêmes droits et devoirs, et sont égaux devant la loi, sans discrimination d’aucune sorte ». De plus, dans cette formulation de l’article 5, l’égale protection de la loi est limitée aux seuls citoyens tunisiens.
Les règles établies par l’assemblée pour adopter la constitution exigent que le texte soit discuté en séance plénière, avant de procéder à un vote séparé de chaque article de la constitution, qui pour être adopté doit recueillir la majorité absolue – 109 voix sur 127 membres. Puis l’assemblée doit approuver le texte intégral lors d’un vote séparé, à une majorité de deux tiers.
Si une ébauche de constitution soumise au vote ne parvient pas à être adoptée, la commission de coordination doit revoir le texte et le soumettre à nouveau à l’assemblée en séance plénière. Si l’assemblée échoue à nouveau à approuver le texte à une majorité des deux tiers, le texte est alors soumis à un référendum national, où une simple majorité des votants est demandée pour qu’il soit adopté.
« Le projet de constitution, en de nombreuses occasions, proclame des droits humains clés, y compris certains qui étaient absents de la première version », a conclu Goldstein. « L’ANC devrait à présent travailler à combler les lacunes restantes pour que la constitution s’érige en rempart contre toute interprétation répressive des droits par les juges et les dirigeants du gouvernement ».