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Mali: Déclaration devant la commission des Affaires étrangères du Sénat des États-Unis, Sous-commission des Affaires africaines

« Faire face à la situation au Mali : restaurer la démocratie et reprendre le contrôle du nord du pays »

Temoignage de Corinne Dufka, chercheuse senior pour la division Afrique de Human Rights Watch, devant la Sous-commission des Affaires africaines du Sénat américain, le 5 décembre 2012

Introduction
Je remercie le président M. Coons, le principal représentant du parti minoritaire M. Isakson et les autres membres de la sous-commission d’avoir offert à Human Rights Watch la possibilité de témoigner lors de cette audience sur le Mali ; c’est un honneur d’être ici.

Je m’appelle Corinne Dufka. Je suis chercheuse senior pour la division Afrique de Human Rights Watch. Je conduis nos recherches sur l’Afrique de l’Ouest où j’ai été basée pendant 12 ans. Depuis le début de l’année 2012, j’ai mené quatre missions de recherche sur le Mali, au cours desquelles j’ai interrogé des centaines de victimes et de témoins de graves violations des droits humains à la fois dans le nord contrôlé par les islamistes et dans le sud contrôlé par le gouvernement. Je maintiens un contact téléphonique quotidien avec des Maliens qui me tiennent informée sur les violations continues et sur les événements.

Cette audience intervient à un moment critique non seulement pour le Mali, qui est en proie à trois crises – politique, sécuritaire et humanitaire – inextricablement liées, mais aussi pour les partenaires internationaux de ce pays qui s’efforcent d’établir une stratégie et un plan d’action réalisable afin de réunifier le Mali d’une manière qui ne nous ramène pas à la situation de décembre 2011.

Mes remarques aujourd’hui seront divisées en deux parties. La première exposera les recherches de Human Rights Watch sur les abus au nord comme au sud. La seconde partie mettra en avant les éléments fondamentaux et les facteurs de risque que le gouvernement américain devrait examiner dans la planification d’une réponse à cette crise multifacette et, qui plus est, aux problèmes qui sont à l’origine de cette crise.
 

I.  La situation des droits humains

La rébellion touareg, l’occupation islamiste dans le nord et les bouleversements politiques engendrés par le coup d’État militaire de mars 2012 ont conduit à une détérioration dramatique en matière de droits humains au Mali. Cette insécurité a entraîné le déplacement de quelque 400 000 résidents du nord.
 

A.  Abus commis par les groupes islamistes

Les trois groupes rebelles islamistes qui, depuis avril 2012, ont consolidé leur emprise sur les régions de Gao, Kidal et Tombouctou dans le nord du pays sont devenus de plus en plus répressifs dans leur tentative de forcer la population locale à adopter leur vision du monde. Ces groupes – Ansar Dine, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) – semblent coordonner étroitement leurs actions. Alors que des groupes particuliers semblent contrôler des régions spécifiques, par exemple, Ansar Dine à Kidal et Tombouctou et le MUJAO à Gao, leurs forces se déplacent facilement entre les régions et se sont prêté main-forte mutuellement pendant les troubles. De plus, plusieurs commandants et combattants du MUJAO et d’Ansar Dine ont été identifiés par plusieurs témoins comme ayant également été affiliés à AQMI auparavant. Beaucoup de résidents sont parvenus à la conclusion que, selon les propos d’un témoin, « Ansar Dine, le MUJAO et AQMI ne font qu’un ». Les témoins ont raconté que la plupart des commandants n’étaient pas des Maliens et venaient de Mauritanie, d’Algérie, du Sahara occidental, de Tunisie et du Tchad.

Les abus commis par ces groupes alors qu’ils ont resserré leur emprise sur le nord du Mali incluent despassages à tabac, des flagellations et des arrestations arbitraires contre des personnes ayant un comportement décrété comme haraam(interdit), notamment la consommation ou la vente de cigarettes ou de boissons alcoolisées, l’écoute de musique sur des appareils audio portatifs et le non-respect des prières quotidiennes. Ils punissent régulièrement des femmes qui ne respectent pas le code vestimentaire qu’ils ont imposé, qui portent du parfum ou des bijoux ou qui ont des contacts avec des hommes qui ne sont pas des membres de leur famille. Ils ont procédé à des exécutions et des amputations de membres en guise de châtiment et ont détruit de manière systématique de nombreux sites religieux d’une grande importance culturelle et religieuse. Ils ont également enrôlé plusieurs centaines d’enfants, certains âgés d’à peine 12 ans, au sein de leurs forces.

Le 26 janvier dernier, environ 70 soldats maliens qui s’étaient rendus après avoir essayé de défendre la ville d’Aguelhoc ont été exécutés sommairement par les groupes islamistes. Je me suis entretenue avec une mère qui a reçu un appel de son fils quelques minutes avant qu’il ne soit tué, avec un soldat qui avait réussi à s’échapper et avec des membres de la communauté qui enterraient les morts. Cet incident est le crime de guerre le plus grave de ce conflit.

Le 30 juillet, à Aguelhoc, les autorités islamistes ont lapidé à mort un homme marié et une femme avec laquelle il n’était pas marié, pour adultère. Un témoin a décrit avoir vu le couple, accroupi dans un trou dans le sol avec les mains liées, avant que les Islamistes ne soulèvent de grands rochers pour écraser les crânes de la femme puis de l’homme. Depuis avril, les groupes islamistes ont amputé des membres à au moins huit hommes accusés de vol.

Le 5 avril, les combattants du MUJAO, y compris un jeune portant un gilet bourré d’explosifs, ont enlevé sept diplomates algériens de leur consulat dans la ville de Gao. Trois des otages ont été libérés en juillet ; le 2 septembre, le MUJAO a revendiqué l’exécution du vice-consul algérien. Le 20 novembre, le MUJAO a kidnappé un touriste français dans la ville malienne de Diéma. Les islamistes détiennent toujours six autres otages français capturés au Niger et au Mali.

De nombreux témoins ont dit avoir vu des hommes et des femmes arrêtés ou fouettés sur les places de marché et dans la rue, souvent par des adolescents armés, pour avoir fumé, bu de l’alcool ou ne pas être couvertes de manière adéquate. Beaucoup de châtiments sont pratiqués sur les places publiques une fois que les autorités islamiques ont convoqué la population locale pour y assister. Les victimes sont généralement flagellées avec une branche d’arbre, un fouet en poils de chameau ou, dans certains cas, avec un câble électrique. Les victimes et les témoins ont indiqué que ces flagellations causaient souvent des plaies ouvertes et des zébrures. Certains résidents âgés et frêles se sont écroulés pendant les flagellations.

Dans d’autres cas, des personnes ont été détenues arbitrairement plusieurs heures ou plusieurs jours. Le 14 novembre, 20 jeunes filles et femmes ont été arrêtées dans les rues de Tombouctou pour ne pas s’être vêtues convenablement ; le frère de l’une d’elles a raconté avoir vu les femmes être entassées dans une cellule du quartier général de la Police islamique.Une autre femme a décrit avoir été arrêtée alors qu’elle était chez elle en train de laver du linge. Pendant sa nuit de détention, les Islamistes ont refusé qu’elle prenne avec elle le nourrisson qu’elle allaitait.

Dans les régions du nord, les sanctions pour ces « infractions » ainsi que pour les actes supposés de vol et de banditisme ont été infligées par la police islamique, souvent après un « procès » sommaire devant un collège de juges choisis par les autorités islamistes. Ces procès, qui sont loin de respecter les normes internationales de procès équitable, ne peuvent être qualifiés que de cruelle parodie de justice.

La police islamique, portant des vestes bleues sur lesquelles « Police islamique » est inscrit en français et en arabe, effectue des patrouilles à pied et à bord de véhicules, mène les enquêtes sur les plaintes reçues et impose les sanctions contre les auteurs présumés de délits mineurs soit dans les rues soit après qu’un suspect a été conduit au poste de police, au camp militaire ou dans un lieu de détention informel. À Tombouctou, le palais de justice est installé dans un ancien hôtel : les juges ont été identifiés comme étant des responsables religieux, oumarabouts, de la région de Tombouctou. À Gao, l’ancienne mairie a été transformée en palais de justice où les audiences ont lieu le lundi et le jeudi. Il y a cinq juges, dont certains sont étrangers.

Le système de tribunal islamique est devenu de plus en plus organisé et officiel depuis sa mise en place par les islamistes qui assument de fait de nombreuses fonctions d’application de la loi auparavant remplies par la police, la gendarmerie, le système judiciaire et les services correctionnels maliens. De nombreux résidents ont reconnu que la police islamique a contribué à un certain rétablissement de l’ordre et la sécurité. Au début, les islamistes ont pris plusieurs mesures pour protéger les civils des pillages, des violences sexuelles et d’autres abus commis par le MNLA, les milices arabes et les criminels de droit commun. Les islamistes ont mis en place des lignes d’appel directes et mené des patrouilles à pied et motorisées. Beaucoup de résidents ont même reconnu leur efficacité supérieure à celle des autorités maliennes pour faire face au problème persistant du banditisme. Cela dit, la police islamique n’a pas mené d’enquêtes sur plusieurs allégations de viols collectifs perpétrés par les forces islamistes, parmi lesquels deux cas ont été documentés par nos soins.

Utilisation et recrutement d’enfants soldats
M. le président, Human Rights Watch estime que des centaines d’enfants ont été recrutés par les groupes islamistes occupant le nord du pays, la plupart pour renforcer les effectifs de la police islamique. Des dizaines de résidents des villes du nord de Kidal, Tombouctou, Gao, Ansongo, Aguelhoc et Niafounké m’ont raconté avoir vu des enfants, certains semblant ne pas avoir plus de 11 ou 12 ans, dans les rangs des groupes islamistes. Au total, ces enfants soldats se comptent vraisemblablement par centaines. Un témoin avec qui je me suis entretenue avait récemment visité trois camps dans la région de Gao dans lesquels des enfants suivaient un entraînement. L’enquête de Human Rights Watch conduite en novembre suggère qu’avant l’intervention prévue de l’armée malienne et d’une force militaire internationale, les groupes armés islamistes ont accéléré le recrutement de résidents locaux, enfants compris.

Les groupes armés islamistes ont commencé à recruter peu de temps après avoir pris le contrôle du nord et ont continué à un rythme régulier depuis. Les islamistes ont reçu peu de soutien dans les grandes villes ; par conséquent, le recrutement s’est concentré sur des hommes et des garçons des petits villages et des hameaux. Dans la région de Gao, beaucoup de recrues sont originaires de villages qui pratiquent depuis longtemps le wahhabisme, une forme très conservatrice de l’Islam. La plupart des résidents des régions de Tombouctou et de Kidal ont remarqué la présence d’un nombre disproportionné d’enfants des groupes ethniques arabes et touaregs. Bon nombre d’entre eux se sont, semble-t-il, enrôlés avec des membres de leur famille plus âgés. Des résidents de Gao et de Tombouctou ont raconté que des professeurs coraniques et des marabouts locaux travaillaient avec les groupes islamistes pour recruter des jeunes. Bon nombre des enseignants ont été identifiés comme n’étant pas des Maliens mais venant de Mauritanie, d’Algérie, du Sénégal et de France.

Des résidents du nord ont décrit avoir vu des enfants dans ce qui semblait être des camps d’entraînement des groupes armés islamistes, en train de faire un entraînement physique, d’apprendre à armer, désarmer un fusil et à tirer, et dans un cas, à manier des grenades. Ils ont aussi observé des enfants en train de garder des points de contrôle, d’effectuer des patrouilles à pied, de circuler à bord de véhicules de patrouille, de surveiller des prisonniers et de cuisiner pour les groupes rebelles. Plus d’une dizaine de témoins et de victimes ont identifié des enfants qui prenaient part à des abus commis par la police islamique.

Human Rights Watch a repéré 18 sites où des témoins ont signalé avoir vu les nouvelles recrues des islamistes, parmi lesquelles des enfants, s’entraîner, notamment des bases militaires, des écoles coraniques ainsi que des écoles privées et publiques.

Destruction du riche patrimoine culturel du Mali
Les militants islamistes ont détruit de nombreux objets et structures, y compris des mausolées, des cimetières, des sanctuaires, des amulettes et des masques rituels, qui avaient une grande importance religieuse, historique et culturelle pour les Maliens.

À coups de haches, de pelles et de marteaux, les groupes armés islamistes ont détruit à Tombouctou de nombreux mausolées, cimetières et sanctuaires dans lesquels sont enterrés des érudits, des imams et des philosophes vénérés à Tombouctou. Les groupes islamistes ont revendiqué la responsabilité de la destruction de ces bâtiments et lieux saints, qui sont classés au patrimoine mondial de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).

De nombreux résidents de Tombouctou, dont des imams, des étudiants, des guides touristiques, des professeurs et des vendeuses sur le marché, ont évoqué sans ambiguïté l’impact douloureux de cette destruction. Un jeune homme de 16 ans a confié à Human Rights Watch : « Mes parents, mes grands-parents, mes arrière-grands-parents m’ont parlé de ces tombes. Maintenant, mes propres enfants ne les verront jamais. »

Il y a quelques jours, un jeune homme de Niafounké a décrit comment un islamiste lui a arraché son grigri, une amulette composée d’une petite poche en cuir contenant un verset du Coran, qu’il portait au bras. L’amulette avait été transmise de père en fils, depuis son grand-père jusqu’à lui, à ses 18 ans. Beaucoup de personnes affirment que les groupes islamistes leur interdisent désormais de visiter les tombes des membres de leur famille décédés, un rituel hebdomadaire important pour beaucoup de résidents de Tombouctou.

À Douentza, des familles issues de la tribu dogon ont décrit comment les islamistes ont démoli le Toguna sacré, l’édifice public le plus important dans un village dogon, où se tiennent les assemblées des hommes et les réunions du conseil. Ils ont aussi détruit huit masques rituels.

Les autorités islamistes ont également interdit aux Maliens, qui ont une tradition musicale riche et variée, d’écouter et de jouer de la musique locale ou de jouer du tambour pendant les rites de passage. En avril, un témoin a décrit comment les islamistes ont confisqué à une station de radio locale une médiathèque entière d’enregistrements sur cassette de musiciens locaux. Beaucoup de résidents du nord, jeunes et âgés, ont expliqué avec une grande tristesse que les changements de comportement imposés par les groupes islamistes les empêchent de prendre part à la vie culturelle. Un jeune homme a raconté : « Nous sommes musulmans, des musulmans bons et fidèles, mais honnêtement, ces gens nous ont ôté toute joie de vivre. » Un autre homme a commenté : « Il n’y a plus de baptêmes, de mariages, de circoncisions – c’est interdit, c’est “haraam”. »
 

B.  Abus perpétrés par les rebelles séparatistes touaregs et les milices arabes

Les hommes armés du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) qui, en janvier 2012, ont lancé une offensive pour créer un État séparatiste, ont perpétré de nombreux abus après avoir pris le contrôle de villes et de villages clés dans le nord. Ces abus incluent l’enlèvement et le viol de femmes et de jeunes filles, le pillage d’hôpitaux, d’écoles, d’organismes d’aide, d’entrepôts, de banques et de bâtiments du gouvernement, ainsi que l’utilisation d’enfants soldats. À Tombouctou, des miliciens arabes, qui ont formé une brève alliance avec le MNLA, ont commis des abus similaires.Le MNLA a aussi utilisé de nombreux enfants soldats. Des soldats maliens, qui avaient été retenus captifs par les rebelles pendant des semaines, ainsi que d’autres témoins m’ont raconté que des enfants avaient fait partie du MNLA depuis que celui-ci avait commencé les opérations dans le nord en janvier.

Pillages et saccages

Presque tous les résidents locaux interrogés par Human Rights Watch ont observé des actes de pillage et de saccage perpétrés par les rebelles du MNLA alors qu’ils prenaient le contrôle des villes de Menaka, Goundam, Niafounké et Gao. À Tombouctou, la plupart des pillages et des saccages ont été commis par des miliciens arabes. Les groupes armés sont entrés par effraction dans des hôpitaux et des centres médicaux, des bâtiments gouvernementaux locaux, des banques, des bureaux et des entrepôts d’aide maliens et internationaux, des maisons de représentants locaux, des écoles et des églises. Le personnel hospitalier de Gao et de Tombouctou m’a raconté que des patients dans les hôpitaux publics locaux ont été contraints de quitter leurs lits et ont été laissés sur le sol après que les rebelles ont volé des matelas. Quatre patients à Gao, notamment des patients âgés sous oxygène, sont décédés après que le personnel terrifié s’est enfui, laissant les patients sans personnel médical pour s’occuper d’eux. Des témoins ont également décrit avoir vu les rebelles charger leurs véhicules et, dans quelques cas, de gros camions, avec des meubles, des ordinateurs, des imprimantes, des climatiseurs, des réfrigérateurs, des téléviseurs, des vêtements, des chaussures, du bétail et d’autres objets. Un grand nombre d’autres personnes ont signalé que les rebelles ont volé leurs motos et leurs voitures, souvent sous la menace des armes. Les personnes qui avaient fui le nord pour trouver refuge dans le sud contrôlé par le gouvernement ont affirmé avoir été forcées de payer un « droit de passage » avant d’être autorisées à traverser les zones occupées par le MNLA.

Le groupe rebelle islamiste Ansar Dine, à l’époque vaguement allié au MNLA, a détruit plusieurs bars et hôtels qu’il associait à la consommation d’alcool et la prostitution, et s’est livré au pillage, mais à une échelle bien moindre. Un grand nombre de résidents locaux et quelques prisonniers qui avaient été tirés de prisons locales au cours de l’avancée des rebelles auraient également participé au pillage, dans de nombreux cas aux côtés des rebelles du MNLA.

Abus sexuels
Des victimes, des témoins et des membres des familles des victimes ont signalé à Human Rights Watch une vague d’enlèvements de femmes et de filles par les groupes armés. Il est difficile de connaître avec certitude l’ampleur de ces abus. Cependant, une organisation locale digne de foi a indiqué à Human Rights Watch qu’elle a documenté 21 cas de violences sexuelles à Menaka et près de 30 cas à Gao et dans les environs. La grande majorité de ces cas sont survenus entre janvier et avril 2012 et auraient été perpétrés par des hommes armés parlant la langue tamashek locale et conduisant des véhicules arborant le drapeau touareg séparatiste du MNLA. La plupart des enlèvements documentés par Human Rights Watch ont eu lieu dans des quartiers où, selon les témoins, il y avait une forte concentration de combattants du MNLA.

Des témoins ont décrit les enlèvements par les rebelles d’au moins 17 femmes et filles dont certaines n’avaient pas plus de 12 ans. Une jeune fille de 14 ans a indiqué à Human Rights Watch que six rebelles l’ont retenue captive à Gao et l’ont violée sur une période de quatre jours. Un résident de Tombouctou a expliqué à Human Rights Watch qu’il a vu trois miliciens arabes entraîner de force une fille d’environ 12 ans de chez sa mère jusque dans un bâtiment abandonné, où elle a été violée. Les témoins et les membres des familles qui avaient parlé avec plusieurs autres victimes ont affirmé que les filles et les femmes enlevées avaient été agressées sexuellement par les rebelles. Une personne a indiqué que les rebelles ont enlevé trois jeunes femmes de la même famille dans une résidence à Gao, les ont violées et les ont ramenées le lendemain. De nombreux cas documentés par Human Rights Watch et par des groupes locaux concernaient des victimes du groupe Bella, membres d’une caste d’esclaves traditionnelle dans la culture touareg. Le mot bella signifie « captif » en tamashek.
 

C.  Abus commis par l’armée malienne

Le coup d’État du 22 mars contre l’ancien président Amadou Toumani Touré, en protestation contre la gestion par le gouvernement de la rébellion touareg, a vraisemblablement conduit à une détérioration frappante au niveau du commandement et du contrôle efficaces des services de sécurité et de la discipline au sein de ces services. L’impunité face aux abus commis par l’armée est depuis longtemps un problème au Mali ; de nombreux incidents cette année sont venus rappeler qu’il s’agit d’une préoccupation continue.

Par exemple, dans les jours suivant une tentative de contre-coup d’État le 30 avril, des membres des forces de sécurité fidèles au leader du coup d’État le capitaine Amadou Sanogo ont fait disparaître de force au moins 21 soldats prétendument impliqués dans le contre-coup d’État et ont commis des actes de torture et d’autres abus contre des dizaines d’autres qui ont été détenus arbitrairement dans des casernes de police et, plus tard, dans les casernes militaires de Kati. Certes, les personnes qui ont participé à la tentative de contre-coup d’État pourraient légitimement faire l’objet d’arrestations et de poursuites, mais les actes attribués aux forces de sécurité de Sanogo ont été accomplis en dehors de tout cadre légal.

J’ai interrogé plus de 30 personnes bien au fait de ces exactions, dont huit qui ont été témoins d’actes de torture et de disparitions forcées et 13 proches de détenus et disparus. Les soldats ont été menottés et ligotés pendant plusieurs jours, ont été battus avec des matraques, des bâtons et des crosses de fusil, ont reçu des coups de pied dans le dos, à la tête, dans les côtes, dans les parties génitales, ont reçu des coups de couteau aux extrémités et ont été brûlés avec des cigarettes et des briquets. Quatre membres des services de sécurité m’ont raconté qu’ils ont été forcés sous la menace d’une arme à pratiquer la sodomie entre eux.

Des témoins au camp de Kati ont signalé que le 3 mai entre 2 et 3 heures du matin, des soldats ont emmené les détenus, les ont fait monter dans un camion de l’armée, « leur ont lié les mains et les jambes et leur ont bandé les yeux ». On n’a pas eu de nouvelles d’eux depuis. Les détenus ont été aussi soumis à des abus psychologiques, notamment des menaces de mort et des simulacres d’exécutions. Deux personnes m’ont raconté avoir vu Sanogo au camp militaire de Kati, à 15 kilomètres au nord de la capitale malienne, Bamako, alors que des actes de torture et d’autres mauvais traitements y étaient commis. Un témoin a confié qu’il avait vu Sanogo donner des coups de pied à un détenu, disparu depuis lors, et qu’il l’avait entendu menacer plusieurs autres détenus.

Les forces de sécurité loyales à Sanogo ont aussi été impliquées dans une campagne d’intimidation contre les journalistes, les membres des familles des soldats détenus et d’autres personnes considérées comme une menace. Plusieurs journalistes critiques à l’égard du commandement du coup d’État ont été arrêtés, interrogés et intimidés. En juillet, deux journalistes ont été enlevés par des hommes masqués armés, violemment passés à tabac et déchargés à la périphérie de Bamako après avoir été avertis qu’ils devaient cesser de critiquer l’armée. En septembre, un dirigeant local d’Ansongo a été arrêté dans un hôtel de Bamako ; on ignore toujours où il se trouve. En octobre, de nombreux hommes en uniforme militaire ont fait une descente au domicile d’un musicien qui avait écrit une chanson de rap critiquant l’armée, ce qui l’a obligé à se cacher.

Les soldats du gouvernement malien ont détenu arbitrairement et, dans certains cas, exécuté des hommes qu’ils accusaient de collaborer avec les groupes rebelles du nord. La majorité des victimes faisaient partie d’ethnies touaregs ou arabes ou étaient de nationalité mauritanienne. En avril, quatre membres touaregs des services de sécurité ont été arrêtés et semble-t-il exécutés par les militaires à Mopti. D’autres témoins ont rapporté à Human Rights Watch que depuis le début du mois d’avril, des soldats occupant des points de contrôle ont enlevé un grand nombre d’hommes ayant la peau claire, notamment des Touaregs, des Arabes et des Mauritaniens, voyageant en autobus entre le sud contrôlé par le gouvernement et le nord tenu par les rebelles. Il est à craindre que quelques-uns de ces hommes n’aient été exécutés. Le 8 septembre, 16 prédicateurs islamiques en route pour une conférence religieuse à Bamako ont été arrêtés et exécutés quelques heures plus tard au camp militaire de Diabaly, à environ 430 kilomètres de Bamako, pour leurs liens présumés avec les groupes islamistes. Leur chauffeur, aperçu en détention chez les militaires quelques jours après les meurtres, a depuis disparu. Le 21 octobre, toujours à Diabaly, au moins huit gardiens de troupeaux touaregs ont été exécutés par des soldats. La milice pro-gouvernementale Ganda-Kio a recruté et entraîné de nombreux enfants, même si au moment de la rédaction de ce document, ils n’avaient pas encore été utilisés dans une opération militaire.

M. le président, aucun effort significatif n’a été réalisé pour enquêter sur les membres des forces de sécurité impliqués dans ces incidents et encore moins pour les poursuivre en justice. L’armée n’a pas placé les commandants de Diabaly en congé administratif en attendant des enquêtes exhaustives. Malgré son implication directe dans des actes de torture et des disparitions forcées, Sanogo a été chargé en août de la réforme du secteur de la sécurité concernant l’armée malienne.
 

II.  Principales recommandations

Alors que les États-Unis examinent la meilleure solution pour répondre à la crise des droits humains au Mali et aux problèmes qui l’ont engendrée, nous vous demandons instamment de tenir compte des principales recommandations suivantes qui pourraient permettre d’éviter une nouvelle détérioration des droits humains et de l’État de droit.

 

1.  Dénoncer publiquement les abus et insister sur la nécessité de traduire en justice leurs auteurs, quel que soit leur camp

La question des abus très graves commis par les islamistes dans le nord souligne l’urgence pour la communauté internationale de lancer l’intervention en cours de planification. Cependant, comme indiqué dans mon témoignage, des abus extrêmement graves ont aussi été commis par le MNLA et les forces du gouvernement malien. Afin de mettre fin à l’impunité endémique qui a caractérisé les abus commis lors des conflits passés, il est impératif que le Congrès des États-Unis, le département d’État et le département de la Défense, entre autres, usent de leur influence pour faire pression sur toutes les parties au conflit afin de mener des enquêtes et de traduire en justice les responsables des violations généralisées des droits humains et du droit humanitaire qui ont été perpétrées cette année. Alors que les factions belligérantes pourraient être tentées d’accepter une clause d’amnistie pour crimes internationaux dans le cadre d’éventuels accords négociés, les États-Unis doivent s’y opposer fermement.
 

2.  Aborder le problème des tensions ethniques croissantes et de la culture d’impunité qui les alimente

Au cours des huit derniers mois, j’ai observé une augmentation alarmante des tensions communautaires, principalement pour des motifs ethniques. Les perceptions de négligence ou de favoritisme par le gouvernement malien ou la communauté internationale, l’impunité pour les violations passées et plus récentes et la manipulation politique active de l’ethnicité par certains dirigeants politiques semblent mener les communautés à chercher réparation pour leurs ressentiments, notamment par la formation de milices armées et des plans apparents pour régler des comptes hors du cadre légal.

M. le président, je ne saurai que trop insister sur le fait que l’absence de poursuites judiciaires contre les abus passés alimente les tensions actuelles. Les familles touaregs et arabes dont des proches ont été exécutés pendant les opérations de l’armée malienne ou par les milices Ganda-Kio pendant les conflits armés passés sont en droit de voir ces abus être reconnus mais aussi faire l’objet d’enquêtes et de poursuites en justice des coupables. De même, les familles songhaïs, peules et bellas dont des proches ont subi des abus sexuels ou dont les biens chèrement acquis ont été pillés par le MNLA, les milices arabes et les groupes islamistes pendant la prise de pouvoir sont en droit de savoir que l’État prendra ces abus au sérieux et poursuivra leurs auteurs en justice.

Je pense que si elles ne sont pas traitées, ces tensions pourraient à court et à moyen termes se manifester par des incidents de sanctions collectives meurtrières et à long terme faire germer de futures violences. J’exhorte le gouvernement américain à prendre les mesures suivantes pour répondre à ce problème crucial :
 

  • Alors que le processus de négociation et de consultation nationale prend forme, pousser le Mali à veiller à ce que les aspirations et les ressentiments de tous les résidents du nord soient entendus, et pas seulement les aspirations et les ressentiments de ceux qui ont pris les armes. Alors que toutes les communautés du nord – touareg, songhaï, arabe, bella et les autres – partagent de nombreuses préoccupations sur le respect des droits socio-économiques, elles ont aussi des revendications particulières qui méritent d’être prises en compte.
  • Faire pression sur le gouvernement malien pour qu’il adopte une stratégie de communication qui s’attaque au niveau croissant des tensions ethniques et qu’il surveille activement, établisse des rapports et réagisse au discours de haine qui incite à la violence.
  • Par le biais de l’agence américaine pour le développement international (USAID), soutenir la société civile malienne pour faire face à ces tensions, y compris par le soutien des radios des communautés locales et des initiatives de consolidation de la paix.
  • S’assurer que la question de la situation au Mali est régulièrement soulevée et discutée entre les membres du conseil de prévention des atrocités.
  • Favoriser un mécanisme de recherche de la vérité qui ferait la lumière sur les atrocités sous-exposées commises pendant les conflits armés précédents ; explorer les dynamiques qui ont conduit à la crise multifacette du Mali, y compris la mauvaise gouvernance et la corruption ; et faire des recommandations visant à empêcher une répétition des violences passées. Même si les commissions de recherche de la vérité peuvent répondre aux besoins des victimes et des communautés bien mieux que le mécanisme de la justice, elles sont en elles-mêmes une réponse inadaptée aux graves violations des droits humains et doivent être intégrées dans un processus complémentaire.
     

3.  Adopter des politiques qui s’attaquent aux causes sous-jacentes de la crise malienne

La récente crise du Mali est issue de plusieurs années de détérioration au niveau des principales institutions –la police et l’armée, le système judiciaire, le parlement –censées préserver la sécurité, la démocratie et le respect de l’État de droit. La communauté internationale a largement fermé les yeux face aux signes de perturbation : scandales de corruption impliquant l’aide au développement, progrès insuffisants sur les principaux droits économiques comme l’éducation et la santé, criminalité latente dans les institutions étatiques et indicateurs tardifs de la situation qui a affecté le nord de manière disproportionnée. Le système judiciaire du Mali, qui pourrait avoir atténué certains des abus, a été négligé, particulièrement privé de ressources et manipulé, laissant ainsi une dangereuse culture de l’impunité s’installer. Les narcotrafiquants, les figures religieuses extrémistes et les individus ayant des priorités ethniques ont cherché à tirer parti de l’absence d’État de droit.Les États-Unis doivent examiner correctement ces problèmes et soutenir les programmes à court et long termes qui renforcent les institutions maliennes qui ont échoué.
 

4.  Faire pression pour intégrer des garanties de protection des civils et l’observation des droits humains au sein de l’intervention militaire planifiée

Les États-Unis doivent faire pression pour l’instauration d’une équipe forte et compétente d’observateurs des droits humains des Nations Unies aux côtés de la force militaire internationale prévue pour reconquérir le nord. La composante droits humains doit bénéficier d’une sécurité et d’un soutien logistique et opérationnel adéquats, et doit être déployée dans le cadre du budget de maintien de la paix des Nations Unies.
 

  • La force internationale doit disposer d’un mandat incluant des règles claires d’engagement qui fassent des populations civiles et de leur sécurité la priorité pendant les opérations militaires.
  • La force internationale doit comprendre des juristes militaires ayant une expérience acquise sur le terrain du droit de la guerre.
  • Les observateurs des droits humains doivent surveiller le respect du droit international humanitaire et des droits humains et établir des rapports publics et réguliers destinés au Conseil de sécurité sur leurs conclusions et leurs recommandations.
  • Les observateurs des droits humains doivent apporter une formation aux droits humains adéquate aux contingents des pays participant à la force armée et au gouvernement malien.

Les États-Unis ont un rôle important à jouer pour rapprocher ceux qui privilégient une réponse immédiate, limitée et à court terme à la crise des droits humains au Mali de ceux qui cherchent à prolonger le processus sans raison valable alors que la situation sur le terrain se dégrade. Le gouvernement américain doit jouer ce rôle directement au Mali mais aussi parmi les principaux acteurs régionaux et internationaux en consolidant le soutien d’une politique qui favorise le respect des droits humains, l’État de droit et la responsabilisation. Une double approche qui s’appuie sur la résolution des tensions sous-jacentes qui ont alimenté la progression des violations des droits humains doit être un élément fondamental pour déterminer la voie à suivre.

M. le président, je vous remercie sincèrement une fois encore pour m’avoir accordé l’opportunité d’intervenir devant cette commission. Je serai ravie de répondre à toutes les questions que vous et vos collègues pourriez avoir.

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