(New York, le 23 octobre 2012) – Un nombre croissant de preuves indique que l’armée de l’air syrienne continue de larguer des bombes à sous-munitions sur des villes dans cinq gouvernorats, malgré le démenti de l'armée concernant l’utilisation de ces armes, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les informations recueillies par Human Rights Watch font état d’une forte hausse du recours aux bombes à sous-munitions en Syrie au cours des deux dernières semaines. Ces frappes reflètent l’escalade de la campagne aérienne contre les zones rebelles par les forces gouvernementales, qui ont également largué des bombes hautement explosives, des bombes à fragmentation et même des bombes artisanales (« barrel bombs »).
Suite un premier communiqué détaillé publié le 14 octobre par Human Rights Watch au sujet du recours aux bombes à sous-munitions par l’armée syrienne, celle-ci a émis un communiqué niant qu'elle utilisait ces armes et affirmant même ne pas en posséder. Or, Human Rights Watch a recueilli de nouvelles preuves de telles attaques, corroborées par des entretiens avec des victimes, des résidents des zones touchées, ainsi que des militants qui ont filmé les sous-munitions larguées.
Human Rights Watch a analysé 64 vidéos et de nombreuses photos montrant des fragments de bombes suite à 10 nouvelles frappes aériennes sur les villes suivantes ou dans leurs environs : Salkeen et Kfar Takharim (gouvernorat d'Idlib, dans le nord du pays) ; Al-Buwayda, Talbiseh, Rastan, et Qusayr (gouvernorat de Homs), Al-Bab (gouvernorat d'Alep), Al-Duwair et Al-Salheya (gouvernorat de Deir al-Zor) ; et Ghouta (près de Damas).
« Le démenti de la Syrie n’est pas crédible alors même que les preuves s'accumulent sur la pluie de bombes à sous-munitions qui s'abat sur des villes et des villages à travers le pays », a déclaré Steve Goose, directeur de la division Armes à Human Rights Watch. « L’armée de l’air syrienne impose un règne de terreur aux civils dans les zones rebelles en larguant des bombes à sous-munitions et d’autres engins explosifs. »
Human Rights Watch a collecté des informations concernant plus de 35 sites frappés par des bombes à sous-munitions, dont les divers emplacements illustrent la vaste étendue des attaques. Des vidéos et photos prises sur ces sites indiquent que l'armée de l'air syrienne a largué au moins 46 bombes à sous-munitions. Human Rights Watch a identifié au moins 136 sous-munitions non explosées, qui posent toutes de graves dangers pour les civils. Ces chiffres ne représentent probablement qu'une fraction du nombre total de bombes et de sous-munitions larguées.
Human Rights Watch a recueilli les témoignages de deux victimes de bombes à sous-munitions dans la ville d’Al-Buwayda, ainsi que de plusieurs habitants des villes de Rastan, Talbiseh, Al-Bab, et Qusayr, qui ont soit assisté directement aux frappes, soit filmé ou photographié les bombes larguées et transmis les vidéos et photos à Human Rights Watch.
Les 64 vidéos examinées par Human Rights Watch, et mises en ligne sur YouTube par des citoyens syriens en octobre, illustrent les récentes attaques faisant usage de bombes à sous-munitions en Syrie. Des experts de Human Rights Watch ont pu identifier dans chaque vidéo des bombes à sous-munitions qui de toute évidence avaient été larguées par des hélicoptères et des avions. Parmi ces engins figuraient deux types de bombes de fabrication soviétique RBK, l'une contenant 150 sous-munitions constituées de bombes à fragmentation antipersonnel de type AO-1SCh, et l’autre contenant 30 sous-munitions anti-blindage de type PTAB-2.5M.
Dans la plupart des vidéos examinées par Human Rights Watch, divers indices permettent de conclure que les bombes ont été larguées à partir d’un avion ou d’un hélicoptère. L’on peut discerner des fragments de colliers de suspension (utilisés pour fixer les bombes à l’arrière de l’appareil), des tiges d'éjection (qui se détachent après le largage d’une bombe), ou encore des ailettes de stabilisation fixées aux sous-munitions (afin de mieux contrôler leur descente vers le sol). Dans plusieurs vidéos, le profond emplacement des bombes et sous-munitions témoigne de la force avec laquelle elles ont pénétré le sol au moment de l’impact.
Un examen détaillé des inscriptions sur les bombes et sous-munitions indique qu'elles ont été fabriquées dans les années 1970 et au début des années 1980 dans des usines de munitions soviétiques. De nombreuses sous-munitions sont des bombes à fragmentation antipersonnel AO-1SCh, qui semblent avoir été fabriquées dans une usine soviétique correspondant au code d’enregistrement « 55 ».
Le 15 octobre, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a nié l'utilisation en Syrie de bombes à sous-munitions de « fabrication russe ». Il a soutenu qu’un tel usage « n’est pas confirmé » et qu'il était très « difficile » d’établir la provenance des divers armements en Syrie.
Toutefois, même si l’on ne dispose pas d’informations publiques sur la manière dont la Syrie s’est procurée son arsenal, ou à quelle époque certaines armes ont été acquises, il est avéré que des bombes à sous-munitions RBK ont été produites – notamment par l’entreprise d’Etat Bazalt à Moscou – et exportées par l'Union soviétique en quantités importantes il y a plusieurs années. Selon les experts en armement, l’Union sovietique est le seul pays à avoir fabriqué des bombes à sous-munitions RBK-250 et des sous-munitions de type AO-1SCh ou PTAB-2.5M.
« Bien que le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov se base sur l’étroite définition “fabrication russe” pour justifier son démenti, il est clair que les bombes à sous-munitions larguées par des hélicoptères et avions du gouvernement syrien ont été fabriquées en Union soviétique », a souligné Steve Goose. « La Russie devrait exprimer sa préoccupation face à l'utilisation de ces armes en Syrie, au lieu de chercher à nier les preuves convaincantes que celles-ci sont de provenance soviétique. »
Ces derniers jours, plusieurs gouvernements ont condamné l'utilisation de bombes à sous-munitions syrien, dont l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Danemark, la France, la Norvège et le Qatar.
«Tous les pays qui se soucient de protéger la population civile syrienne contre les effets mortels des bombes à sous-munitions et d’autres armes explosives devraient exiger la fin de la campagne aérienne menée par le gouvernement », a conclu Steve Goose.
Pour lire l’intégralité de ce communiqué en anglais, incluant en dernière partie plusieurs témoignages, veuillez cliquer ici.