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Émirats arabes unis : Un rapport met en évidence la nécessité de protéger les travailleurs

Un rapport indépendant sur les projets de Saadiyat appelle à des réformes urgentes

(Beyrouth) –Un rapport publié par une société d’audit indépendante souligne la nécessité pour les entreprises impliquées dans les projets de l’île de Saadiyat aux Émirats arabes unis (EAU) de s’assurer que leurs projets respectent les normes internationales pour les travailleurs migrants, a déclaré Human Rights Watch.

Selon ce rapport publié le 23 septembre 2012 par la société d’audit indépendante PricewaterhouseCoopers (PwC), l’entreprise publique responsable du projet d’envergure d’Abou Dabi sur l’île de Saadiyat, la « Tourism Development and Investment Company » (TDIC) rencontre «d’importantes difficultés » pour appliquer les principes de base auxquels elle s’était engagée en termes de conditions de travail. L’île de Saadiyat accueillera des antennes des musées du Louvre et du Guggenheim et un campus de l’Université de New York, et a déjà fait l’objet de critiques en ce qui concerne le respect des droits des travailleurs migrants.

« Les inquiétudes soulevées dans le rapport par le consultant indépendant qu’ils ont désigné,devrait servir de piqûre de rappel au gouvernement ainsi qu’à son agence de développement et alarmer les institutions culturelles et universitaires impliquées dans le projet de Saadiyat » a déclaré Joe Stork, directeur adjoint de la division Moyen-Orient à Human Rights Watch. « Dans une région où l’exploitation des travailleurs est monnaie courante, les codes de bonne conduite ne sauraient se substituer à une bonne législation et à sa mise en œuvre effective. »

PwC s’est entretenu avec 1 341 travailleurs entre juin 2011 et mai 2012 afin d’évaluer le respect par le promoteur, TDIC, de ses engagements en matière de conditions de travail, réunis dans un code appelé « Employment Practices Policy » (EPP) développé par celui-ci en 2009 sur la base du droit du travail des EAU.

Le rapport de PwC de 34 pages égrène et détaille une série de violations de l’EPP ainsi que du droit du travail des EAU. Il affirme que 75 % des travailleurs interrogés ont payé des frais de recrutement et que 77 % d’entre eux ont payé leur visa ainsi que leurs frais de transport, bien que ceux-ci soient en principe à la charge de l’employeur. Selon les recherches de Human Rights Watch, ces frais de recrutement sont le principal facteur menant au travail forcé aux EAU. 20 % des travailleurs interrogés ont signalé des prélèvements illégaux sur leurs salaires.

Concernant les conditions de vie des travailleurs, PwC a découvert que 45 % des personnes interrogées ne vivait pas dans le « village » construit pour les travailleurs de Saadiyat, souvent vanté, mais dans d’autres logements. L’audit a aussi confirmé le bienfondé des plaintes des travailleurs concernant les installations sanitaires rudimentaires ainsi que les dysfonctionnements du système de climatisation dans les habitations du « Village », alors que l’agence de développement décrit sur son site internet ce village comme « un modèle de bonne pratique ».

PwC indique qu’il est nécessaire de clarifier ce qui est considéré comme eau potable durant les mois d’été et de définir ce que sont des « installations sanitaires adéquates ». L’audit révèle par ailleurs que l’entrepreneur n’a pas assuré le transport des travailleurs vers Abou Dabi pour leur seul jour de repos hebdomadaire. PwC note que « la TDIC rencontre de sérieuses difficultés dans la mise en œuvre de l’EPP, dans le contexte complexe du secteur du bâtiment au Moyen Orient, dont les pratiques et les normes ne sont pas nécessairement en adéquation avec les exigences de l’EPP. »

Le rapport de PwC a aussi révélé que deux entrepreneurs s’étaient vu offrir des incitations financières afin de se mettre en conformité avec l’EPP.

Pour Joe Stork, « la révélation selon laquelle une société publique de développement propose de payer des entrepreneurs pour qu’ils respectent des règles fondées sur le droit du travail aux EAU, au lieu de les sanctionner lorsqu’ils ne les respectent pas, révèle l’état déplorable du système de protection des travailleurs aux EAU ainsi que l’inefficacité de son cadre légal ».

En janvier 2011, une entreprise de BTP britannique, Mott McDonald, chargée d’un audit par l’Université de New York, a publié son rapport de conformité, concluant qu'il y avait « de nombreuses preuves » montrant que l’Université de New York « prend au sérieux les droits des travailleurs». PwC, pour sa part, a observé des améliorations notables dans certains domaines, notamment la santé et la sécurité. Elle a également révélé que 97 % des travailleurs interrogés étaient en possession de leur passeport, une nette amélioration puisqu’auparavant, les employeurs avaient pour habitude de confisquer les passeports des employés afin qu’il leur soit plus difficile de changer d'employeur ou de se plaindre des abus subis.

Le rapport de PwC analyse également de façon précise la complexité du système de recrutement transnational, qui affecte tous les travailleurs migrants dans les Émirats arabes unis.  Ce rapport indique que les entrepreneurs ont reconnu recruter des travailleurs étrangers par le biais d’agences de recrutement basées aux EAU, qui à leur tour recrutent des travailleurs à travers un réseau d'agences dans les pays d'origine des travailleurs et de leurs représentants dans les différentes villes et villages. PwC désigne la pratique de faire payer le voyage ainsi que les frais de visa aux travailleurs comme étant un « problème crucial qui doit être résolu ».

En mars, Human Rights Watch a publié un rapport de suivi, faisant suite à son rapport de 2009 sur les conditions de travail sur l’île de Saadiyat (« l’île du Bonheur»). Dans celui-ci, il est mentionné « qu’une majorité de travailleurs continuent à évoquer le paiement de frais de recrutement », en violation du droit du travail Émirats arabes unis. Conformément aux termes du EPP, Human Rights Watch a déclaré que le promoteur doit prendre un « engagement sans équivoque pour s'assurer que les travailleurs soient remboursés des frais de recrutement qu’ils ont pu payer afin d’obtenir un emploi sur l'île ».

Le 24 mars 2011, le promoteur a répondu aux premiers résultats de ce rapport de suivi de Human Rights Watch, affirmant que 13 969 travailleurs sur 15 354 avaient signé un accord dans lequel ils déclaraient ne pas avoir payé de frais de recrutement. Le promoteur a affirmé qu'il était encore en train de traiter le reste des déclarations des travailleurs interrogés par Human Rights Watch et a remis en cause les résultats de l’enquête de Human Rights Watch. Cependant, le rapport de PwC met en doute les affirmations du promoteur selon lesquelles les travailleurs ne payaient pas de frais de recrutement.

Le sultan Al Mahmoud, directeur exécutif de la performance stratégique au sein de la TDIC et président du Comité pour la Responsabilité sociale au sein de l’entreprise publique, a déclaré le 23 septembre 2012 que le rapport de PwC a démontré que « des progrès liés au travail et aux conditions de vie ont été réalisés à différents niveaux et maintenus », sans reconnaître que le rapport a également révélé des failles systémiques dans les pratiques d’emploi aux Émirats arabes unis.

Le rapport de PwC souligne le besoin urgent d'une réforme du cadre juridique et réglementaire aux EAU, qui, en l’état actuel, facilite l'exploitation des quatre millions de travailleurs migrants présents dans le pays, selon Human Rights Watch. Les travailleurs migrants qui ne travaillent pas sur les projets très médiatisés ne bénéficient pas de l’évaluation indépendante de leurs conditions de vie et de travail par des sociétés d’audit mondialement reconnues, a affirmé Human Rights Watch.

Les syndicats sont interdits aux EAU. Les travailleurs migrants sont soumis à un risque d'exploitation inhérent à la kafala, un système de recrutement basé sur le parrainage, ce qui rend plus difficile pour un travailleur de quitter un employeur qui ne respecte pas ses droits. De plus, les employés rencontrent de graves difficultés pour accéder à la justice, a déclaré Human Rights Watch.

« Il est grand temps que les dirigeants des EAU fassent en sorte que tous ceux qui travaillent dans le pays soient protégés contre les mauvais traitements », a déclaré Joe Stork. «Tant que les EAU ne seront pas capables de faire respecter leurs lois pour protéger les travailleurs, les institutions étrangères doivent faire preuve d’une extrême prudence afin de ne pas se trouver impliquées dans des projets qui violent les normes internationales minimales en matière de travail et de respect des droits humains. »

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