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Thaïlande: Les pratiques à l'égard des réfugiés sont improvisées et inadéquates

Le confinement dans des camps et l’absence de permis de travail génèrent stagnation économique et violations des droits humains

(Bangkok, le 13 septembre 2012) – La politique suivie par la Thaïlande à l'égard des personnes réfugiées sur son territoire les expose à des traitements arbitraires et abusifs, malgré l'expérience acquise pendant des décennies par ce pays qui a accueilli des millions de réfugiés, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui.

Ce rapport de 143 pages, intitulé: « Ad Hoc and Inadequate: Thailand’s Treatment of Refugees and Asylum Seekers » («Le traitement par la Thaïlande des réfugiés et des demandeurs d'asile est improvisé et inadéquat»), constate que la politique suivie par la Thaïlande vis-à-vis des réfugiés n'a pas de fondement juridique et met les réfugiés de toutes nationalités en situation d'être exploités ou arbitrairement arrêtés et expulsés. Le rapport met l'accent sur le sort des réfugiés birmans, qui forment le plus important groupe de réfugiés vivant actuellement en Thaïlande. Il examine le traitement et les conditions de vie des réfugiés birmans dans les camps installés sur la frontière birmano-thaïe, ainsi que des Birmans vivant à l'extérieur de ces camps et qui ne sont pas considérés officiellement comme des réfugiés. Le rapport examine également l'impact des changements politiques intervenus récemment en Birmanie sur les perspectives de rapatriement des réfugiés et sur les obstacles qui subsistent dans la résolution de ce très ancien problème.

«La Thaïlande présente aux réfugiés birmans un choix inique, entre croupir pendant des années dans des camps situés dans des zones isolées et travailler hors de ces camps sans aucune protection contre une éventuelle arrestation suivie d'expulsion», a déclaré Bill Frelick, directeur du programme Réfugiés à Human Rights Watch et co-auteur du rapport. «Les réfugiés en provenance d'autres pays sont à peine tolérés et sont parfois arrêtés et détenus pour des durées indéterminées par les autorités thaïes».

La Thaïlande n'a pas ratifié la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et ne dispose pas, dans son arsenal juridique, de loi sur les réfugiés ou de procédures opérationnelles en matière d'octroi du droit d'asile. Elle considère les réfugiés de toutes nationalités vivant hors des camps de réfugiés spécifiquement destinés aux Birmans comme étant dans le pays en situation illégale.

Le gouvernement thaïlandais n'a enregistré officiellement comme réfugiés qu'environ 60% des 140.000 personnes vivant dans les neuf camps de réfugiés établis le long de la frontière birmane et il leur fournit une protection minimale, à condition qu'ils restent sur place. Le gouvernement, qui n'a traité que très peu de nouveaux dossiers de réfugiés dans ces camps depuis le milieu de l'année 2006, n'a toujours pas immatriculé les 40% restants de la population des camps, ce qui rend ces personnes particulièrement vulnérables.

Les Birmans qui se trouvent en dehors des camps sont passibles d'arrestation et d'expulsion immédiate, à moins qu'ils se présentent non pas comme des réfugiés mais comme des travailleurs migrants et se soumettent à des procédures coûteuses, difficiles et souvent entachées de corruption, pour obtenir le statut de travailleur migrant. Les travailleurs migrants légalement reconnus reçoivent un visa de séjour de deux ans, renouvelable une fois, à l'expiration duquel ils doivent regagner leur pays d'origine. Cette obligation de retour au pays a pour effet de décourager les réfugiés de demander le statut de travailleur migrant.

«La Thaïlande devrait donner à tous les demandeurs d'asile une chance équitable de revendiquer le statut de réfugié et devrait autoriser les réfugiés à circuler et à travailler», a ajouté Bill Frelick. «Cela permettrait aux réfugiés d'acquérir des capacités professionnelles et de réduire les possibilités qu'ils soient victimes d'exploitation, tout en leur permettant de contribuer à l'économie de la Thaïlande».

La Thaïlande n'autorise pas le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) à procéder à la détermination du statut de réfugié pour les demandeurs d'asile en provenance de Birmanie, du Laos ou de Corée du Nord. Le HCR est autorisé à décerner des certificats de «personnes relevant de sa compétence» à d'autres réfugiés, mais ces documents ne constituent pas une autorisation de travail et offrent très peu de protection quand leurs détenteurs sont interpellés par la police dans la rue ou à leur domicile.

L'évolution de la situation en Birmanie pourrait avoir un effet sur la politique thaïlandaise en matière de réfugiés, a estimé Human Rights Watch. Après des décennies de conflits ethniques armés et de répression en Birmanie, les récents changements – y compris la signature d'accords préliminaires de cessez-le-feu entre le gouvernement birman et presque tous les groupes armés non étatiques – font entrevoir la possibilité que les ressortissants birmans réfugiés dans les camps en Thaïlande le long de la frontière puissent regagner leur pays. Mais de gros obstacles demeurent, dont l'absence d'accords politiques solides, la présence de champs de mines et le refus de la Birmanie de permettre au HCR de travailler du côté birman de la frontière.

«La Thaïlande, et c'est tout à son honneur, attend de voir comment la situation va évoluer en Birmanie et ne semble pas insister en faveur d'un retour précipité des réfugiés birmans dans leur pays », a souligné Bill Frelick. « Le moment est donc propice pour les responsables thaïs pour réfléchir de manière créative et stratégique aux meilleurs moyens de préparer les réfugiés à un futur retour en toute sécurité et à une bonne réintégration en Birmanie. »

La politique thaïlandaise consistant à restreindre les mouvements des réfugiés birmans dans les camps et à leur interdire de travailler a conduit à des dysfonctionnements sociaux. En conséquence de cette politique, les réfugiés risquent d'être très mal préparés pour une bonne réintégration dans leurs communautés d'origine lorsqu'ils regagneront leur pays, a affirmé Human Rights Watch.

La plupart des camps se trouvent dans des régions montagneuses isolées, accessibles uniquement par des chemins de terre. Certains sont surpeuplés et les moyens de subsistance de base, tels que la nourriture et les tentes, ont été réduits du fait que les bailleurs de fonds internationaux ont reporté leur attention sur des programmes d'aide à l'intérieur de la Birmanie. L'isolement des camps a facilité les abus de pouvoir et l'impunité pour les auteurs de violations des droits humains, y compris pour des responsables thaïs dont le mandat est de protéger les réfugiés.

La peur, l'incertitude et un sentiment d'impuissance contribuent à l'adoption par les réfugiés des camps d'une attitude fataliste quand il s'agit d'approcher la police et d'autres responsables de la sécurité pour réclamer justice.

« Nous sommes en territoire thaïlandais, donc nous devons être dociles », a déclaré l'un d'eux. « Nous ne pouvons pas faire entendre notre voix et nous devons être patients et passifs. Si nous nous exprimons trop, nous serons encore plus sévèrement enchaînés. »

Parmi les résidents des camps les plus éduqués et les plus qualifiés, beaucoup – dont de nombreux enseignants et personnels de santé – ont émigré dans des pays extérieurs à la région, en conséquence de quoi la population restée dans les camps se retrouve avec un réseau d'entraide sociale diminué et des capacités réduites pour faire face aux difficultés. Au bout de tant d'années passées sous un régime de restriction de circulation et de dépendance de l'aide extérieure, de nombreux résidents des camps subissent des violences familiales, souffrent de dépression et d'autres problèmes sociaux et psychologiques.

La politique thaïlandaise considère que le statut de réfugié ne peut s'appliquer aux ressortissants birmans se trouvant hors des camps. Les autorités traitent les réfugiés qui quittent les camps comme des immigrants illégaux, passibles d'arrestation. La police thaïe, les soldats ou les membres des groupes paramilitaires qui appréhendent des résidents des camps hors des limites de ces camps choisissent soit de les y renvoyer, souvent après avoir exigé d'eux l'accomplissement d'un travail ou des pots-de-vin, soit de les conduire dans l'un des Centres de détention pour immigrants illégaux de Thaïlande, d'où ils sont renvoyés en Birmanie.
 

Certains réfugiés ont affirmé à Human Rights Watch que les autorités thaïlandaises les brutalisaient lorsqu'elles les arrêtaient en dehors des camps. Un homme d'ethnie Karen, âgé de 33 ans et vivant dans le camp de Mae La, a raconté, après avoir été arrêté par la police thaïe en mai 2008: « Ils m'ont demandé de l'argent.… J'ai dit: ‘Je n'ai pas d'argent.’ Alors l'un d'eux a commencé à me frapper ici et puis là [dans le dos et les épaules] deux fois et il m'a donné un coup de pied.… Ils ont fouillé notre sac pour trouver de l'argent. Ils ont demandé 2.000 baht [64 dollars] et nous n'avions pas une telle somme. Alors il a cherché dans mon sac, a trouvé ma carte d'identité du HCR et l'a confisquée. »

La Thaïlande devrait travailler avec le HCR pour créer un système équitable et transparent de filtrage et d'enregistrement des réfugiés pour les 40% de la population des camps qui ne sont toujours pas immatriculés, a déclaré Human Rights Watch. Le gouvernement devrait engager des discussions avec les chefs de file des réfugiés, les organisations non gouvernementales, le HCR et les bailleurs de fonds, en vue d'effectuer une transition ordonnée vers un modèle de camp ouvert, qui permette aux réfugiés de devenir auto-suffisants et les prépare à leur réinsertion en Birmanie quand il sera sans danger pour eux d'y retourner.

Certains donateurs, notamment les Européens, ont déjà commencé à orienter leur assistance vers ce qu'on appelle une «stratégie de moyens d'existence», afin de développer les capacités des réfugiés à vivre et à travailler hors de l'environnement d'un camp. Une telle approche ne sera efficace que si les réfugiés sont autorisés à sortir des camps pour travailler, a affirmé Human Rights Watch.

«Les autorités thaïlandaises devraient faire en sorte que tous les réfugiés, y compris ceux des camps, aient accès sans restriction au système judiciaire thaï et que les policiers et autres responsables qui rançonnent et maltraitent les réfugiés soient dûment sanctionnés ou traduits en justice», a conclu Bill Frelick. «Une politique permettant aux réfugiés de participer aux prises de décision concernant leur avenir et d'améliorer leurs capacités serait non seulement bénéfique à court terme pour la Thaïlande, mais elle ouvrirait aussi la voie à des rapatriements volontaires et durables qui génèreraient de la bienveillance envers la Thaïlande après le départ des réfugiés».

Les ressortissants birmans arrêtés en dehors des camps ne passent d'ordinaire qu'entre quelques jours et une semaine dans les Centre de détention pour immigrants, avant d'être expulsés ou libérés. Mais les autorités thaïes utilisent rarement les fonds du gouvernement pour expulser des personnes vers des pays non limitrophes de la Thaïlande, les détenant indéfiniment jusqu'à ce que les membres de leurs familles leur fournissent des billets d'avion. Des migrants sans moyens financiers ou des réfugiés qui ne veulent pas retourner dans leur pays de crainte d'y être persécutés peuvent passer très longtemps – parfois des années – dans les Centres de détention pour immigrants, même s'ils n'ont pas été condamnés à une détention de longue durée.

Un réfugié népalais détenu dans un de ces centres a indiqué à Human Rights Watch que bien qu'officiellement reconnu par le HCR comme réfugié, il avait été détenu pendant trois ans et neuf mois:

La Bible parle de l'enfer. Ici, c'est une partie de l'enfer …. Je suis avec 80 personnes dans une pièce, nous sommes parfois 150, et nous avons trois latrines. Il y a constamment des problèmes…. Si vous n'obéissez pas au règlement, on vous met les menottes, pendant une semaine, deux semaines…. Nous n'avons pas de téléphone…pour recevoir des informations de l'extérieur.

 Le gouvernement thaï devrait ratifier la Convention sur les réfugiés de 1951 et son Protocole additionnel de 1967 et adopter des lois régissant le statut des réfugiés, afin de s'acquitter des obligations découlant de la convention et d'établir des procédures équitables d'octroi du droit d'asile. La Thaïlande devrait rendre le statut de réfugié accessible à toutes les nationalités selon les mêmes critères, conformément à la définition internationalement reconnue du réfugié, y compris en ce qui concerne la protection des personnes fuyant un conflit. Et elle devrait libérer immédiatement les personnes reconnues comme réfugiés par le HCR et cesser de détenir indéfiniment des personnes pour forcer leurs familles à payer pour leur expulsion.

Les organisations et les bailleurs de fonds internationaux devraient continuer à fournir de la nourriture et d'autres articles d'aide humanitaire aux réfugiés qui n'ont pas de moyens de subsistance ou qui ont besoin d'une aide temporaire avant de parvenir à l'auto-suffisance, a déclaré Human Rights Watch. Les autorités thaïlandaises devraient immédiatement faire en sorte que tous les réfugiés – y compris ceux qui vivent dans des camps – aientaccès sans restriction au système judiciaire thaï et que les policiers et autres responsables de la sécurité qui rançonnent et maltraitent les réfugiés, les demandeurs d'asile et les migrants, soient sanctionnés ou traduits en justice.

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