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Le Rwanda entrave la justice pour les victimes d’atrocités en RD Congo

Le chef rebelle Thomas Lubanga est, certes, en prison mais le Rwanda continue de soutenir son co-accusé, Bosco Ntaganda

Publié dans: The Guardian

Traduction française de la tribune d'Anneke van Woudenberg parue dans The Guardian le 11 juillet 2012

La condamnation mardi de Thomas Lubanga, un chef rebelle de l'est de la République démocratique du Congo, constitue l'une des rares victoires jamais remportées par les victimes congolaises d'atrocités. Il n'y a eu que trop peu de cas dans lesquels la justice a pu être rendue, au cours des 13 années que j'ai passées à documenter les violations des droits humains commises en RD Congo par Lubanga et par d'autres. Ce verdict a été l'un de ces moments.

Le procès qui s'est tenu à La Haye et s'est soldé par la condamnation de Lubanga à 14 ans de prison pour avoir utilisé des enfants soldats est, de la part de la Cour pénale internationale (CPI), un signal fort qu'il s'agit là d'un crime grave, passible de toute la rigueur de la loi. Le verdict constitue un ferme avertissement à l'adresse des chefs de guerre et des commandants militaires à travers le monde qui ont recours à des enfants pour livrer leurs guerres, qu'ils sont susceptibles d'en répondre ultérieurement devant la justice.

Mais il est également important pour une autre raison: il permet de donner un coup de projecteur sur le co-accusé de Lubanga, Bosco Ntaganda, qui est toujours en fuite dans l'est de la RD Congo et qui bénéficie du soutien d'officiers de l'armée rwandaise. Ntaganda était le chef des opérations militaires sous les ordres de Lubanga et il fait l'objet d'un mandat d'arrêt de la CPI pour des crimes similaires. Contrairement à Lubanga, il a évité l'arrestation, a rejoint un autre groupe armé et, en 2009, a été promu général dans l'armée congolaise. Sa promotion a constitué un camouflet pour ses victimes. Non seulement Ntaganda s'est vu décerner le grade le plus élevé et a pu mener grand train dans les meilleurs restaurants de l'est de la RD Congo, mais les forces placées sous son commandement ont continué d'utiliser des enfants soldats et de commettre des meurtres et des viols.

Le gouvernement congolais a rejeté les appels à l'arrestation de Ntaganda, et affirmé que ce dernier était nécessaire à la poursuite du processus de paix dans l'est de la RD Congo. Mais les victimes de Ntaganda et les activistes congolais de la cause des droits humains n'ont pas été dupes de cet argument. Pour eux, Ntaganda est l'illustration même du climat d'impunité qui est l'une des plaies de la RD Congo.

Lubanga a la particularité peu glorieuse d'être la première personne à avoir été jugée et condamnée par la CPI. Ce tribunal, mis sur pied en juillet 2002, a mis six ans à juger l'affaire. De nombreuses difficultés sont apparues tout au long du chemin, notamment le manquement par l'accusation à son obligation de communiquer certains éléments de preuve à la défense et de se conformer à une décision de justice lui ordonnant de révéler certaines autres informations. Cesproblèmes ont été surmontés par la suite et le nouveau procureur de la CPI devrait s'assurer que les leçons de ces erreurs seront retenues.

Mais maintenant, il se peut que Ntaganda sente le filet se resserrer autour de lui. En mars, après le verdict de culpabilité prononcé contre Lubanga et de nouvelles tentatives du gouvernement congolais d'affaiblir l'assise du pouvoir de Ntaganda, ce dernier s'est mutiné et a organisé une nouvelle rébellion, par un groupe armé appelé le M23. Ses forces ont continué à commettre des crimes. Le procureur de la CPI a demandé la délivrance d’un second mandat d'arrêt contre lui pour des meurtres, des pillages et des viols commis lorsqu'il était membre de la milice de Lubanga. Dans une volte-face déterminante, le gouvernement congolais a annoncé en avril qu'il était finalement disposé à l'arrêter.

Pas plus de 600 hommes environ ont rejoint la rébellion de Ntaganda, ce qui semblait indiquer que sa nouvelle cavale pourrait être de courte durée. Toutefois, la semaine passée, les rebelles du M23 de Ntaganda se sont emparés de plusieurs villes et villages sur le territoire de Rutshuru, brisant les défenses de l'armée congolaise et des Casques bleus des Nations Unies déployés dans la région.

L'aide militaire du Rwanda a été déterminante dans cette avance des rebelles congolais. Pendant des semaines, Human Rights Watch et d'autres organisations ont découvert des preuves que des responsables de l'armée rwandaise avaient fourni des armes, des munitions et des hommes à Ntaganda et à ses forces. Il a été autorisé à se rendre en territoire rwandais et des soldats rwandais ont traversé la frontière pour lui prêter main forte. Le 29 juin, un groupe d'experts de l'ONU a publié un rapport accompagné d'une annexe, dans laquelle était décrite en détail l'étendue du soutien militaire apporté par le Rwanda au M23, notamment l'implication personnelle de certains responsables de haut rang. Le gouvernement rwandais a vigoureusement démenti ces allégations mais, à la lumière de ces éléments de preuve, ses démentis sonnent creux.

Si des pays comme le Rwanda peuvent autoriser leur armée à aider un homme soupçonné de crimes de guerre par la CPI et lui permettre d'échapper à l'arrestation sans qu'il y ait de conséquences, alors les efforts de la justice internationale seront compromis.

Le président du Rwanda, Paul Kagame, effectue une visite au Royaume-Uni cette semaine. Le gouvernement britannique, qui est le principal fournisseur d'aide bilatérale au Rwanda, devrait saisir l'occasion pour faire savoir de manière ferme qu'il ne tolérera aucun octroi d’aide militaire à Ntaganda et que le Rwanda devrait jouer un rôle positif en l'arrêtant, afin qu'il soit jugé à La Haye. Cela renforcerait la CPI, et apporterait un certain soulagement aux milliers de victimes congolaises de ses crimes, qui attendent que justice leur soit rendue.

Anneke Van Woudenberg, chercheuse senior à Human Rights Watch, a travaillé sur la RD Congo pendant 13 ans et a rédigé de nombreux rapports sur la situation des droits humains dans ce pays.

 

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