(Sarajevo, le 4 avril 2012) – Les Roms, les Juifs et d'autres minorités nationales en Bosnie-Herzégovine restent exclus de la participation à la politique nationale vingt ans après le début de la guerre dans cette région, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. La Bosnie doit éliminer la discrimination ethnique à l'encontre des minorités nationales de sa constitution, de ses lois et de ses institutions publiques, a ajouté Human Rights Watch.
Le rapport de 62 pages, intitulé « Second Class Citizens : Discrimination Against Roma, Jews, and Other National Minorities in Bosnia and Herzegovina » (« Citoyens de seconde classe : Discrimination contre les Roms, les Juifs, et autres minorités nationales en Bosnie-Herzégovine »), met en évidence la discrimination contre ces groupes. Cette discrimination découle en grande partie de la Constitution bosniaque de 1995, qui impose un système de gouvernement fondé sur l'ethnicité et qui exclut ces groupes des hautes fonctions politiques. Le rapport montre également l'impact plus large de la discrimination sur la vie quotidienne des Roms en ce qui concerne l'accès au logement, à l'éducation, aux services de santé et à l'emploi.
« La constitution de la Bosnie a été conçue pour aider à mettre fin à la guerre », a déclaré Benjamin Ward, directeur adjoint de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Mais la discrimination politique envers les minorités n'a pas sa place dans un pays européen moderne. Il est grand temps de procéder à une réforme. »
En décembre 2009, la Cour européenne des droits de l'homme a statué dans l’affaire Sejdic et Finci contre la Bosnie-Herzégovine que la constitution du pays est discriminatoire envers les Roms et les Juifs, en violation du droit relatif aux droits humains. La constitution interdit à quiconque n’appartient pas à l'un des trois principaux groupes ethniques du pays – les Bosniaques, les Croates et les Serbes – de se présenter comme candidat à la présidence tripartite nationale ou à la Maison nationale des peuples, l'une des deux chambres parlementaires.
Plus de deux ans après la décision de la Cour européenne, la Bosnie n'a pas encore révisé la Constitution ni mis un terme à la discrimination envers les minorités nationales au sein du système politique, a déclaré Human Rights Watch. Des élections nationales ont eu lieu en octobre 2010 sous l'ancien gouvernement, mais l'impasse ethnique a empêché la formation d'un nouveau gouvernement pendant plus d'un an. Le gouvernement nouvellement formé n'a pas encore pris de mesures à cet effet.
Une discrimination similaire existe au sein du gouvernement local, avec l’allocation d’ emplois dans les deux « entités » de la Bosnie, la République serbe et la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine, selon l'origine ethnique dans le cadre de leurs propres constitutions, en se basant sur le recensement de 1991. Ce recensement comptait moins de 9 000 Roms, car de nombreux Roms à l’époque s’étaient identifiés comme « Yougoslaves », mais selon les estimations actuelles le nombre réel pourrait avoisiner 100 000 Roms. Le recensement de 1991 comptait environ 30 000 autres membres de minorités nationales, notamment 500 Juifs.
L'Union européenne et les États-Unis, qui ont aidé à élaborer la constitution de Bosnie en 1995 à la fin des guerres dans la région, ont une obligation spéciale de faire pression sur ce pays pour réaliser des changements constitutionnels, a indiqué Human Rights Watch. L'UE a fait de la modification de la constitution une condition des négociations relatives à l’adhésion de la Bosnie à l'UE, mais suite à des tentatives infructueuses de réforme constitutionnelle en 2006 et 2009, l'UE et les États-Unis ne sont plus activement impliqués dans ce processus de réforme.
Human Rights Watch a également examiné la discrimination quotidienne que subissent les Roms dans l'accès au logement, l'éducation, la santé et l'emploi, en raison de la complexité des règles et des obstacles financiers, et le lien à la discrimination dans la politique et le gouvernement. Ces problèmes sont les suivants :
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Le logement : Un grand nombre de Roms en Bosnie vivent dans des campements informels qui manquent de stabilité et de sécurité pour leurs familles. Les expulsions forcées sont un danger toujours présent, et le gouvernement n'a pris aucune disposition en matière de logements de remplacements convenables pour ceux qui sont expulsés. Les expulsions forcées ont constitué un problème particulier à Mostar, avec quelques familles roms expulsées à deux reprises au cours des deux dernières années. Plus récemment, en octobre 2011, 100 Roms ont été laissés sans logement convenable après une expulsion pour faire place à des logements pour d'autres Roms. Aucun de ces expulsés n’a été relogé.
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L’éducation : Les familles roms à travers la Bosnie sont confrontées à des obstacles financiers concernant la scolarisation, notamment les repas, les manuels scolaires, les vêtements et le transport, que le gouvernement ne fournit généralement pas. En conséquence, les enfants roms ont de faibles taux de scolarisation dans de nombreuses régions du pays, avec seulement un tiers des enfants roms fréquentant l'école primaire à l’échelle nationale, comparativement à 93 pour cent de tous les enfants du pays.
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L'emploi : La principale source de revenus pour la plupart des familles roms est le recyclage des métaux usés et la mendicité dans les rues. Bien que le gouvernement ait mis en place un programme d'emploi pour les Roms, très peu de Roms ou d’employeurs ont participé, parce que peu de Roms sont officiellement enregistrés comme chômeurs. L'accès à l'emploi de la fonction publique dans la Fédération et la République serbe est entravé par des exigences constitutionnelles de combler les postes en fonction des affiliations ethniques dans le recensement de 1991.
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Les soins de santé : Dans la Fédération, les Roms doivent s'inscrire auprès des bureaux de chômage dans les 30 jours suivant la perte d'un emploi pour bénéficier de la couverture santé, une règle que beaucoup n’apprennent qu’une fois la date limite passée. Durant une grande partie de 2011, le canton d'Herzégovine-Neretva, qui comprend Mostar, a violé la loi de la Fédération en ne finançant pas les soins de santé des jeunes enfants, des femmes enceintes et des personnes âgées, une situation qui a particulièrement affecté les Roms.
Fika Ahmetovic, 31 ans, et ses quatre enfants ont été expulsés de leur abri de fortune, qui ne disposait pas de structures stables, d'électricité ou d'eau, situé dans un campement improvisé dans la ville de Mostar, en octobre 2011. Lorsque Human Rights Watch s'est entretenu avec Fika Ahmetovic avant l'expulsion, elle a indiqué que cela ne signifierait pas seulement l’obligation de trouver un nouveau terrain sur lequel construire un nouvel abri de fortune. L’expulsion signifierait également des perturbations dans la fréquentation scolaire pour ses deux enfants ainés. Pour le plus jeune de ses enfants, qui souffre de problèmes de santé graves, cela signifierait également la perturbation probable des soins médicaux, que la famille ne serait plus en mesure de payer avec son maigre revenu provenant du recyclage de la ferraille.
La Bosnie a pris des engagements de haut niveau pour résoudre les problèmes de droits humains vécus par les Roms, par le biais d'un programme à l'échelle européenne appelé la Décennie de l'inclusion des Roms. Mais très peu a été réalisé dans la pratique, a constaté Human Rights Watch, en partie en raison de la faible priorité accordée par le leadership politique à l'amélioration de leur situation.
Certains responsables en Bosnie ont déclaré que les besoins des trois principaux groupes ethniques du pays – désignés dans la Constitution comme « peuples constitutifs » – devraient avoir la priorité sur ceux des minorités nationales.
Lors d’un entretien avec Human Rights Watch, Damir Dizdarevic, ministre adjoint du Travail et de l'Emploi au ministère des Affaires civiles, a affirmé : « Ce pays n'a pas la capacité d'aider ne serait-ce que les peuples constitutifs, sans parler des Roms. »
« Les Roms sont victimes de discrimination et d'exactions dans toute l'Europe », a conclu Benjamin Ward. « La différence en Bosnie est que leur exclusion de la politique nationale et du gouvernement local empêche leur triste sort d'être reconnu. »