Objet :Affaire Hissène Habré – Union africaine
Excellences,
Nous avons l’honneurde vous écrire au nom des victimes du régime de l’ancien président tchadien Hissène Habré, accusé de milliers d’assassinats politiques et de torture systématique, de 1982 à 1990. Les victimes luttent depuis plus de vingt-et-un ans pour traduire Habré devant la justice, et de nombreux survivants sont déjà décédés.
Comme vous le savez, en juillet 2006, les chefs d’Etats et de gouvernements de l’Union africaine ont suscité l’espoir des victimes lorsqu’ils ont donné mandat au Sénégal « de poursuivre et de faire juger, au nom de l’Afrique, Hissène Habré par une juridiction sénégalaise compétente avec les garanties d’un procès juste ». Après plus de cinq ans, le Sénégal n’a toujours pas exécuté ce mandat et a depuis informé l’Union africaine que Habré ne sera pas jugé au Sénégal.
Suite au refus du Sénégal de juger Habré, le gouvernement tchadien a pris la décision responsable le 22 juillet 2011 de demander au Sénégal d’extrader Habré vers la Belgique, pays qui en avait déjà fait la demande en 2005 (voir le communiqué officiel en pièce jointe). Les juridictions sénégalaises ont récemment déclaré irrecevable pour vice de forme une demande d’extradition belge, mais la Belgique a indiqué qu’elle enverrait une nouvelle demande d’extradition avant la fin du mois de janvier. Le 4 janvier dernier, le président sénégalais Abdoulaye Wade a annoncé qu’il extraderait Habré en Belgique si les juridictions approuvaient la requête.
Nous soutenons cette option, le temps étant le facteur clé de cette affaire. En effet, l’extradition de Habré en Belgique est l’option la plus pratique et la plus rapide pour s’assurer qu’il réponde enfin des accusations portées contre lui dans le cadre d’un procès juste et équitable.
En Belgique, un procès pourrait être organisé rapidement. Un juge d’instruction belge, assisté d’une équipe de police judiciaire spécialisée dans la poursuite des crimes contre l’humanité, a déjà instruit l’affaire pendant quatre ans. Ils se sont rendus au Tchad en 2002 où ils ont interrogé des anciens complices de Habré et des victimes de son régime, et analysé des milliers de documents d’archives de la police politique de Habré. Ce dossier solide a permis au juge belge d’inculper Habré pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture.
Nous prenons bonne note de la volonté du Rwanda d’organiser ce procès en réponse à une question de l’Union africaine. Cette position honore le Rwanda, pays qui a aussi souffert des atrocités commises sur son territoire.
Toutefois, nous estimons que poursuivre cette option remettrait en question les efforts de l’Union africaine de voir Habré jugé dans le strict respect du droit : le sort de cette affaire devrait être décidé par les tribunaux conformément aux obligations internationales liant le Sénégal. En effet, le droit offre une réponse claire au refus du Sénégal, pendant plus de cinq ans, de s’acquitter du mandat de l’Union africaine : l’extradition de Habré en Belgique.
Par ailleurs, nous craignons fort que des années supplémentaires ne soient nécessaires pour que le Rwanda mette en place un cadre juridique permettant à ses juridictions d’instruire des crimes sans aucun lien avec le pays, assure le financement, reprenne une instruction transnationale complexe et demande finalement l’extradition. Des années pendant lesquelles d’autres survivants risquent de s’éteindre.
Nous comprenons et partageons le souhait et la préoccupation de voir Habré jugé prioritairement en Afrique. Nous avons d’ailleurs mieux que quiconque œuvré sans relâche pendant des années pour que cette possibilité se réalise. Malgré tous nos efforts, force est de constater que la justice tant réclamée par les victimes est toujours hors d’atteinte et qu’elles sont soumises depuis 1990 à ce que l’Archevêque Desmond Tutu et 117 organisations de vingt-cinq pays africains avaient dénoncé en juillet 2010 comme un « interminable feuilleton politico-judiciaire ».
En juillet dernier, Madame Navi Pillay, Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a rappelé au Sénégal que « abriter une personne ayant commis des actes de torture et autres crimes contre l’humanité sans la juger ou l’extrader constitue une violation du droit international ». En novembre 2011, le Comité des Nations unies contre la torture a aussi rappelé au Sénégal ses obligations au regard de la Convention contre la torture de juger Habré ou de l’extrader vers un pays qui en fait la demande – dans ce cas la Belgique.
Aujourd'hui, l'option la plus réaliste pour éviter l'impunité des crimes de masse reprochés à Habré, option soutenue par le Tchad, est son extradition vers la Belgique, pour qu'il y soit jugé. Nous appelons l’Union africaine, à soutenir cette option pour que les victimes, enfin, obtiennent justice.
Nous vous remercions par avance pour votre attention, et vous prions de croire, Excellence, en notre plus haute considération.
Au nom de :
Association des Victimes de Crimes du Régime de Hissène Habré (AVCRHH)
Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des droits de l'Homme (ATPDH)
Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme (RADDHO)
Human Rights Watch
Fédération Internationale des ligues des Droits de l'Homme (FIDH)
Agir Ensemble pour les droits de l’Homme (AEDH)
Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme (LTDH)
Ligue Sénégalaise des Droits Humains (LSDH)
ACAT Sénégal
Organisation guinéenne des droits de l'Homme et du Citoyen (OGDH)
Association mauritanienne des droits de l'Homme (AMDH)
Ligue ivoirienne des droits humains (LIDHO)
Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH)
Association malienne des droits de l'Homme (AMDH)
Ligue togolaise des droits de l'Homme (LTDH)
Union interafricaine des droits de l'Homme (UIDH)
Ditshwanelo [Burundi]
Ligue ITEKA [Burundi]
Ligue des électeurs [République Démocratique du Congo]
Groupe Lotus [République Démocratique du Congo]
Commission international de juristes, Kenya
Mouvement pour la défense des droits de l’Homme [République centrafricaine]
Pièces jointes :
Communiqué de presse du gouvernement tchadien, 22 juillet 2011
Lettre du Comité contre la torture, 24 novembre 2011
Déclaration de Navi Pillay, 12 juillet 2011
cc: Missions de l’Union africaine à Addis Abeba