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Sénégal : Le Tchad demande l’extradition de l’ancien dictateur Hissène Habré vers la Belgique

Une coalition d’organisations soutient cette démarche visant à obtenir justice pour les victimes

(Bruxelles, le 22 juillet 2011) - Le Sénégal devrait, comme le lui a demandé le gouvernement tchadien, procéder rapidement à l'extradition de Hissène Habré vers la Belgique, pour qu'il y soit jugé pour crimes contre l'humanité commis durant son régime de 1982 à 1990, a déclaré aujourd'hui une coalition d'associations de victimes et d'organisations de défense des droits humains.

Dans un communiqué signé du secrétaire d'État aux affaires étrangères Mahamat Bechir Okoromi, le gouvernement tchadien a annoncé aujourd'hui qu'il souhaite que le Sénégal extrade Hissène Habré vers la Belgique, qui lui en a fait la demande en 2005 et l'a réitéré en 2011.

Hissène Habré vit depuis 20 ans au Sénégal. Le 10 juillet, le président du Sénégal Abdoulaye Wade avait voulu l'expulser au Tchad, avant de revenir sur cette décision face à la réprobation générale due surtout aux craintes de mauvais traitements auxquels aurait été exposé l'ancien dictateur. Ces dernières semaines, l'Union africaine, la haut commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme et les victimes tchadiennes ont réclamé de concert un procès dans les meilleurs délais ou l'extradition de Habré.

Dans une interview avec le journal français La Croix, le président Wade a déclaré que si la Cour sénégalaise, actuellement en train d'examiner la dernière demande d'extradition émise par Bruxelles, juge celle-ci légale, « Hissène Habré pourrait être extradé en Belgique d'ici à la fin du mois de juillet. »

« Après ces vingt longues années, il est maintenant temps que le Sénégal donne aux victimes la justice qu'elles réclament », a déclaré Jacqueline Moudeina, Présidente de l'Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des droits de l'Homme (ATPDH) et avocate des victimes. « Dès lors que le Sénégal refuse de juger Habré et que celui-ci ne peut être renvoyé au Tchad, la seule option est de l'extrader en Belgique où il pourra avoir un procès équitable. »

Cette prise de position du Tchad est soutenue par plusieurs organisations, dont l'Association des Victimes des Crimes du Régime de Hissène Habré (AVCRHH), l'ATPDH, la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme (RADDHO), la Ligue Sénégalaise des Droits Humains et Human Rights Watch (HRW). Pour ces organisations, la Belgique représente le dernier espoir de voir un jour Hissène Habré répondre de ses crimes : la justice belge a instruit le dossier pendant quatre ans et pourrait juger l'ancien dictateur dans les meilleurs délais.

Elles ont noté qu'en 20 ans aucun autre État n'avait demandé son extradition et que même si par extraordinaire, un État africain se déclarait disposé à juger Habré, son procès serait encore reporté de quatre à cinq années au minimum, le temps que le régime juridique se mette en place, le financement se trouve et l'enquête reprenne.

Habré a d'abord été inculpé au Sénégal en 2000 pour crimes contre l'humanité et actes de torture. En 2000 et 2001, dans des décisions rendues dans un contexte d'interférences politiques, dénoncées par les Nations Unies, les juridictions sénégalaises se sont déclarées incompétentes pour juger Habré au Sénégal. En 2001, le Président Abdoulaye Wade, a déclaré: « Le Sénégal n'a ni la compétence ni les moyens de le juger. Le Tchad ne veut pas le juger. Si un pays, capable d'organiser un procès équitable - on parle de la Belgique - le veut, je n'y verrais aucun obstacle ». Le Président Wade avait, à maintes reprises, indiqué qu'il ne s'opposerait pas à une extradition, y compris hors du continent.

Les victimes se sont alors tournées vers la justice belge qui a réclamé son extradition en 2005. Le Sénégal a cependant refusé cette demande et saisi l'Union africaine du dossier. En juillet 2006, l'Union africaine a donné mandat au Sénégal de juger Habré « au nom de l'Afrique », et le Président Wade a déclaré accepter ce mandat. Pendant cinq ans pourtant, le Sénégal n'a cessé de dresser des obstacles à l'organisation du procès avant de finalement annoncer, le 10 juillet dernier, qu'il ne jugerait jamais Habré.

La Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'Homme, Navi Pillay, a souligné dans une déclaration du 12 juillet que la suspension du transfert de Hissène Habré ne devait pas signifier un retour au « statu quo » et que « Habré ne devrait pas continuer à vivre en toute impunité au Sénégal, comme il le fait depuis ces vingt dernières années ». Elle a également noté qu'« abriter une personne ayant commis des actes de torture et autres crimes contre l'humanité sans la juger ou l'extrader constitue une violation du droit international. »

Les victimes et organisations de défense des droits humains ont déclaré qu'elles avaient toujours cherché à ce que le procès ait lieu en Afrique mais qu'il n'y avait plus aujourd'hui d'option réaliste sur le continent. Même l'Union africaine n'exclut plus désormais un procès en Belgique. Dans son rapport intérimaire en prévision du Sommet de Malabo, qui s'est tenu du 30 juin au 1er juillet dernier, la Commission de l'Union Africaine avait en effet proposé le réexamen de cette option en raison de la « difficulté à trouver une solution africaine ». Dans leur résolution, les chefs d'État et de gouvernement ont demandé « instamment au Sénégal d'assumer sa responsabilité juridique » et de « juger rapidement M. Hissène Habré » ou « l'extrader vers tout autre pays susceptible de le juger ».

"Bien sûr nous aurions préféré voir Habré jugé par nos frères africains », a déclaré Clément Abaifouta, président de l'Association des Victimes des Crimes du Régime de Hissène Habré (AVCRHH), qui a été contraint de creuser les fosses de plus de 500 de ses compagnons de cellule lorsqu'il était prisonnier sous le régime de Habré. « Mais le gouvernement du Sénégal s'est joué de nos attentes pendant trop longtemps. Nous avons besoin de voir Habré porté devant la justice avant que les derniers survivants ne meurent. »

Habré a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, jusqu'à ce qu'il soit renversé par Idriss Déby et s'exile au Sénégal. Son régime à parti unique a été marqué par des atrocités commises à grande échelle, notamment par des vagues d'épurations ethniques. Les archives de la police politique, la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), découvertes par Human Rights Watch en 2001, ont révélé les noms de 1 208 personnes exécutées ou décédées en détention. Un total de 12 321 victimes de graves violations des droits humains sont mentionnées dans les dossiers.

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