Notre réf. :TG AFR 17/2011.003
Son Excellence Paul Biya
Président de la République du Cameroun
Secrétariat du Président de la République
BP 100
Yaoundé
République du Cameroun
Le 21 septembre 2011,
Lettre ouverte au président de la République du Cameroun, M. Paul Biya
LES LOIS ÉRIGEANT EN INFRACTION LES PRATIQUES HOMOSEXUELLES VIOLENT LE DROIT INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS HUMAINS
Monsieur le Président de la République,
Nous souhaitons par la présente exprimer nos vives préoccupations au sujet du recours au droit pénal, de plus en plus fréquent ces derniers mois au Cameroun, pour punir les relations homosexuelles entre adultes consentants ainsi que l’expression de genre ne correspondant pas aux modèles normatifs.
Au cours des six derniers mois, à Yaoundé et à Douala, 10 personnes voire plus ont été arrêtées en vertu de l’article 347 bis du Code pénal camerounais. Cet article érige en infraction les « rapports sexuels [de toute personne] avec une personne de son sexe ».
- Jean-Claude Roger Mbede a été interpellé à Yaoundé le 2 mars 2011. Reconnu coupable, il a été condamné à trois ans d’emprisonnement le 28 avril 2011.Il est incarcéré à la prison centrale de Nkondengui, à Yaoundé.
- Jonas (19 ans) et Frankie (25 ans) ont tous les deux été arrêtés à Yaoundé, le 25 juillet 2011. Ils sont maintenus en détention à la prison centrale de Nkondengui.
- Quatre hommes ont été appréhendés en août 2011. L’arrestation de l’un d’entre eux, Joseph Magloire Ombwa (46 ans), a eu lieu à son domicile. Sylvain Séraphin Ntsama (34 ans) et Emma Loutsi Tiomela (17 ans) ont quant à eux été arrêtés alors qu’ils rendaient visite à Joseph Magloire Ombwa, qui se trouvait alors en détention dans un poste de police de Yaoundé. Le quatrième homme, Nicolas Ntamack (19 ans), a été interpellé à son domicile, à Ntsama. Nous avons été informés que Joseph Magloire Ombwa avait subi un examen proctologique par un médecin militaire. Les demandes de mise en liberté sous caution des quatre hommes ont été rejetées, et ils ont été placés en détention provisoire le 26 août.
- Stéphane Nounga et un autre homme, uniquement identifié comme Éric O., ont été appréhendés fin août, après avoir été dupés par un homme qui les a emmenés de force à un poste de police de Yaoundé situé à proximité, où ils ont été placés en détention. Les deux hommes ont par la suite été remis en liberté après l’intervention de leurs avocats.
- Jean Jules Moussongo a été interpellé à Douala le 6 septembre, après que les parents d’un jeune homme eurent demandé aux gendarmes de procéder à son arrestation, car il aurait cherché à avoir des contacts avec leur fils. Jean Jules Moussongo a été relâché le 8 septembre, les parents respectifs des deux hommes étant semble-t-il parvenus à un accord.
Selon les informations que nous avons reçues, certains au moins de ces hommes ont subi des actes de torture et d’autres mauvais traitements en détention.
En outre, un grand nombre des personnes arrêtées ont été prises pour cibles du fait de leur orientation sexuelle supposée et non de leur participation présumée à des actes interdits. Comme le révèle le rapport de 2010 intitulé Criminalisation des identités. Atteintes aux droits humains au Cameroun fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, qui met en évidence les violations des droits des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transgenres, les personnes inculpées et déclarées coupables au titre de l’article 347 bis sont exposées à des risques accrus de violence et de discrimination dans les prisons, et peuvent voir leur santé mise gravement en danger en raison des violations qu’elles subissent et des difficultés d’accès aux soins et aux médicaments.
L’article 347 bis enfreint les traités internationaux et régionaux relatifs aux droits humains que le Cameroun a signés et ratifiés, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Outre le climat de peur qu’elle instille et l’impunité dont elle fait bénéficier les policiers qui arrêtent, torturent et frappent les personnes soupçonnées d’être lesbiennes, gays, bisexuelles ou transgenres, cette loi entrave les initiatives dans le domaine de la santé, en particulier celles visant à lutter contre le VIH/sida et tentant d’atteindre des groupes vulnérables, y compris des hommes ayant des relations homosexuelles, car elle pousse les gens à se cacher et les empêche d’accéder à des informations et des services sur des relations sexuelles plus sûres.
Nous sommes également préoccupés par les informations faisant état d’une proposition de loi visant à alourdir la peine pour les actes homosexuels et à la porter à 15 années d’emprisonnement ainsi qu’à une amende de deux millions de francs CFA. Si cette loi était votée, les membres de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et transgenre seraient encore plus vulnérables à la violence et à la discrimination aux mains d’acteurs étatiques comme non étatiques.
Par conséquent, nous engageons le gouvernement camerounais à :
-
relâcher immédiatement et sans condition les personnes détenues au titre de l’article 347 bis ou détenues uniquement en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre réelle ou supposée, et à abandonner toutes les charges retenues contre ces personnes ;
-
mettre fin aux arrestations, aux détentions, aux poursuites et aux autres formes de persécution et de discrimination visant les personnes soupçonnées d’être lesbiennes, gays, bisexuelles ou transgenres ou réputées l’être ;
- abroger l’ensemble des dispositions législatives érigeant en infraction les rapports homosexuels entre adultes consentants, et retirer les propositions de loi visant à alourdir les peines pour ce type de rapports.
Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération.
Parfait Behen
Président
Alternatives Cameroun
Au nom de Salil Shetty
Secrétaire général
Amnesty International
Alice Nkom
Directrice générale
Association pour la défense des droits des homosexuel(le)s (ADEFHO)
Kenneth Roth
Directeur général
Human Rights Watch
Cary Alan Johnson
Directeur général
Commission internationale pour les droits des gays et des lesbiennes
cc: Laurent Esso, Secretary-General at the Presidency
Philémon Yang, Prime Minister
Amadou Ali, Deputy Prime Minister, Minister of Justice, Keeper of the Seals
Henri Ayissi Eyebe, Minister of Foreign Affairs
Andre Mama Fouda, Minister of Public Health
Marafa Hamidou Yaya, Minister of State for Territorial Administration and Decentralization