(Londres, le 30 août 2011) – Les Forces armées soudanaises (FAS) se livrent à des bombardements sans discernement de zones civiles dans la région des monts Nouba au Sud-Kordofan et empêchent l'assistance humanitaire d'atteindre des personnes déplacées qui en ont désespérément besoin, ont affirmé aujourd'hui Amnesty International et Human Rights Watch.
Lors d'une mission d'une semaine menée dans la région fin août, des chercheurs des deux organisations ont enquêté sur 13 raids aériens effectués sur les localités de Kauda, Delami et Kurchi. Ces attaques ont causé la mort d'au moins 26 civils et en ont blessé plus de 45 depuis la mi-juin. Les chercheurs ont eux-mêmes vu des avions gouvernementaux tourner autour de zones habitées par des civils et larguer des bombes, forçant les habitants à se réfugier dans les montagnes et dans des grottes.
« Cette campagne incessante de bombardements tue et mutile des civils - hommes, femmes et enfants - et déplace des dizaines de milliers de personnes, les plongeant dans une situation désespérée de dépendance de l'aide internationale, tout en empêchant des communautés entières de faire des semailles et de nourrir leurs enfants », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch.
« Le gouvernement soudanais commet des meurtres en toute impunité et essaye d'empêcher le reste du monde de le savoir », a ajouté Donatella Rovera, conseillère senior à la division de réaction aux crises d'Amnesty International. « La communauté internationale, en particulier le Conseil de sécurité de l'ONU, doit cesser de détourner le regard et doit agir face à cette situation. »
Les civils n'ont aucun moyen de se protéger des bombardements effectués à l'aveugle. Des parents de victimes ont raconté leur calvaire à Amnesty International et à Human Rights Watch: « J'ai entendu des explosions, puis un voisin a ramené le corps de Maryam à la maison », a dit la mère de deux filles tuées lors d'un raid aérien. « Elle avait été touchée à la tête et une partie de sa tête avait disparu. Il m'a dit d'aller au cimetière car c'est là qu'on avait transporté le corps d'Iqbal. J'y suis allée mais ses blessures étaient tellement horribles que je n'ai pas pu regarder. »
Selon des groupes chargés de l'assistance sur le terrain, les bombardements, les attaques et les combats ont forcé plus de 150.000 personnes à abandonner leurs habitations dans les régions contrôlées par les forces d'opposition, où les restrictions imposées par le gouvernement ont empêché les organisations humanitaires de livrer de la nourriture et d'autres fournitures. Environ 5.000 personnes ont franchi la frontière du Sud-Soudan pour gagner une installation pour réfugiés dans l'état d'Unity.
Les bombes ont eu un impact dévastateur sur la population civile. Des communautés entières, qui ont été forcées de fuir leurs habitations par les bombardements à répétition, vivent dans des conditions difficiles dans des grottes, au sommet de montagnes, sous des arbres ou en pleine nature, loin des villes. Ils manquent de nourriture, de médicaments, d'installations sanitaires et d'abris contre les fortes pluies. De nombreuses familles déplacées ont dit aux chercheurs qu'ils mangeaient des baies et des feuilles et que leurs enfants souffraient de diarrhée et du paludisme.
Le 23 août, le président Omar el-Béchir, qui fait l'objet d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) sous l'accusation de graves crimes contre les civils au Darfour, région de l'ouest du Soudan, a annoncé un cessez-le-feu unilatéral de deux semaines au Sud-Kordofan, où les forces soudanaises affrontent des groupes d'opposition armés depuis début juin. Cependant, des organisations locales sur le terrain ont indiqué que malgré ce cessez-le-feu, le gouvernement continuait de bombarder les zones civiles. Béchir a également affirmé que ni les Nations Unies ni les organisations humanitaires internationales ne seraient autorisées à aider les personnes déplacées.
Pendant la semaine où les chercheurs étaient sur le terrain, des avions Antonov ont largué des bombes presque tous les jours sur des terres cultivées et des villages. Par exemple, le 14 août, un avion a largué des bombes près du village de Kurchi, à 70 kilomètres à l'est de Kadougli, détruisant la maison et les biens de Wazir al-Kharaba. Les chercheurs ont également photographié le larguage de trois bombes d'un Antonov près de Kurchi le 19 août à 17h15. Le 22 août, un homme a été gravement blessé à la jambe, une femme âgée a été touchée à la mâchoire et une école a été endommagée, du fait d'un autre raid aérien.
« Les attaques effectuées sans discernement contre les zones habitées par des civils et l'imposition de restrictions à l'aide humanitaire pourraient être assimilées à des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité » a averti Donatella Rovera. « Ce genre d'attaque doit cesser immédiatement et une évaluation indépendante des besoins humanitaires et la livraison d'aide d'urgence doivent être autorisées. »
Aucune cible militaire évidente n'était visible à proximité des lieux visés par les raids aériens que les chercheurs ont visités. Des témoins ont affirmé que les Antonov ou des avions de combat volant à haute altitude avaient largué les bombes sur des zones civiles à proximité desquelles il n'y avait, selon eux, aucune cible militaire.
Des experts en matière d'armement ont indiqué aux deux organisations que les munitions utilisées ne sont pas équipées d'un dispositif de guidage et sont souvent poussées à la main hors des appareils de transport Antonov ou larguées d'autres avions d'une manière qui ne permet pas une grande précision d'impact. L'utilisation dans une zone d'habitation civile d'armes qui ne peuvent pas être dirigées avec précision sur un objectif militaire, permet de qualifier ces frappes d'aveugles et elles constituent une violation du droit humanitaire international, ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch.
Dans les zones tenues par le gouvernement, les agences de l'ONU et d'autres organisations humanitaires ont affirmé avoir été empêchées d'atteindre de nombreuses personnes affectées, à cause de la situation en matière de sécurité et de sévères restrictions imposées par le gouvernement. Les autorités soudanaises ont empêché ces mêmes agences d'avoir accès aux civils et de leur apporter des secours dans les zones contrôlées par l'opposition en refusant d'autoriser leurs vols. Des pistes d'atterrissage pouvant être utilisées pour la livraison de l'aide humanitaire ont également été ciblées par les raids aériens. Les 14, 19 et 24 juin, des appareils gouvernementaux, parmi lesquels des avions de combat, ont largué des bombes sur et à proximité de la piste de Kauda.
Le gouvernement a affirmé le 20 août qu'il n'avait jamais imposé de restrictions d'accès aux monts Nouba. Mais Béchir a déclaré trois jours plus tard qu'aucune organisation internationale ne serait autorisée dans l'État du Sud-Kordofan et que seul le Croissant-Rouge soudanais serait habilité à livrer de l'aide.
En tant que parties au conflit, le gouvernement soudanais et les forces d'opposition doivent immédiatement permettre que l'aide humanitaire acheminée par voie aérienne ou terrestre atteigne toutes les populations affectées, où qu'elles se trouvent, ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch. Toutes les agences humanitaires doivent se voir accorder un accès sans restrictions pour porter secours aux populations civiles, qui ont un besoin urgent de nourriture, d'abris et d'autres prestations.
Le conflit entre le gouvernement soudanais et l'Armée de libération du peuple soudanais (ALPS) a commencé le 5 juin à Kadougli et à Um Durein, puis s'est rapidement étendu à d'autres villes et villages où étaient présentes à la fois les forces gouvernementales et celles de l'ALPS.
Les combats ont éclaté dans un contexte de tension croissante entre le Parti du congrès national (PCN) au pouvoir à Khartoum et le Mouvement de libération du peuple soudanais (MLPS) – le parti politique qui dirige désormais le Sud-Soudan indépendant – au sujet des dispositions à prendre dans l'état en matière de sécurité et des élections locales contestées, dans lesquelles le candidat sortant au poste de gouverneur, Ahmed Haroun, un ancien ministre chargé des affaires humanitaires qui est également l'objet d'un mandat d'arrêt de la CPI pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité au Darfour, a été réélu de justesse.
Au Sud-Kordofan, vivent d'importantes populations d'ethnie Nouba qui ont noué depuis longtemps des liens étroits avec l'ancien mouvement rebelle du sud, qui a combattu les forces du gouvernement soudanais dans les monts Nouba pendant la guerre civile soudanaise qui a duré 22 ans et a pris fin en 2005. Quand le Sud-Soudan est devenu indépendant le 9 juillet dernier, le MLPS opérant au Soudan a pris le nom de MLPS-Nord et le groupe armé d'opposition au Sud-Kordofan est devenu l'ALPS-Nord.
Les chercheurs d'Amnesty International et de Human Rights Watch n'ont pu se rendre sur la ligne de front ou pénétrer dans les zones contrôlées par les Forces armées soudanaises, où les violences ont commencé. Mais ils ont pu interroger de nombreuses personnes déplacées qui avaient fui les combats de Kadougli ou d'autres zones.
Des témoins ont rapporté que les soldats et les miliciens tiraient sur les gens dans les rues et, munis de listes des noms de partisans connus du MLPS, fouillaient certains quartiers maison par maison et procédaient à des arrestations à des points de contrôle. Les témoins ont également décrit des destructions, des pillages et des incendies d'églises et de maisons, y compris la destruction au bulldozer des maisons de membres notoires du MLPS.
Ces récits corroborent de nombreux éléments du rapport du Bureau du Haut Commissaire aux droits de l'homme des Nations Unies (HCR) publié le 15 août. Ce rapport était fondé sur des recherches effectuées par les observateurs des droits de l'homme de la Mission des Nations Unies au Soudan (MINUS) avant l'expiration du mandat de celle-ci début juillet, à l'approche de l'indépendance du Sud-Soudan. Selon Amnesty International et Human Rights Watch, le rapport décrit une tendance systématique à commettre des meurtres et des attaques contre des biens civils, qui peuvent être considérés comme des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.
Le gouvernement soudanais a rejeté les conclusions du rapport de l'ONU et demandé au Conseil de sécurité de reporter toute discussion au sujet du Sud-Kordofan jusqu'à ce qu'il ait terminé sa propre enquête sur la situation en matière de droits humains.
« Le Soudan semble tenter de camoufler de sérieuses violations des droits humains, tout en continuant de bombarder les civils et d'empêcher l'aide humanitaire d'arriver », a déclaré Donatella Rovera, d'Amnesty International. « Le Conseil de sécurité se tait depuis bien trop longtemps. Il ne doit pas rester silencieux alors que des civils sont sous les bombes. »
Le Conseil de sécurité s'est réuni le 19 août mais n'a pas réussi à s'entendre sur une déclaration condamnant les violations des droits humains au Sud-Kordofan ni à agir concrètement, pour une large part à cause des objections de l'Afrique du Sud, de la Russie et de la Chine.
« La position de l'Afrique du Sud est particulièrement perturbante,” a déclaré Daniel Bekele de Human Rights Watch. “En tant qu'État africain de premier plan, elle ne devrait pas tourner le dos à des victimes africaines au Sud-Kordofan. Au lieu de bloquer toute action, ce pays devrait mener la charge au Conseil de sécurité. »
Amnesty International et Human Rights Watch ont exhorté le Conseil de sécurité à condamner fermement et exiger la cessation des bombardements aveugles des zones habitées civiles et d'autres violations par le Soudan, à demander un accès sans restrictions à toutes les zones affectées pour les agences humanitaires et à agir concrètement pour faire en sorte qu'un dispositif indépendant de surveillance des droits humains soit établi à travers le Sud-Kordofan.
Les deux organisations ont également exhorté le Conseil à mettre en oeuvre les recommandations du Haut Commissaire aux droits de l'homme de mandater une enquête indépendante sur les violations présumées des droits humains et du droit humanitaire international commises au cours du conflit au Sud-Kordofan, et de faire rendre des comptes à leurs auteurs.
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Frappes aériennes gouvernementales sur les civils du Sud-Kordofan
Bombardements aveugles
Depuis début juin, les Forces armées soudanaises (FAS) ont effectué à de nombreuses reprises des frappes aériennes à l'aveugle sur des zones habitées civiles, tuant et blessant de très nombreux civils, ont affirmé Amnesty International et Human Rights Watch.
Les chercheurs des deux organisations ont enquêté sur 13 de ces attaques aériennes dans lesquelles des dizaines de civils, dont de nombreux enfants, ont été tués ou blessés et leurs biens ont été détruits. Certains ont été atteints dans leur maison ou alentour, d'autres l'ont été alors qu'ils cultivaient leurs champs ou allaient chercher de l'eau, ou étaient au marché de leur village.
Selon toutes les victimes et témoins interrogés sur les lieux des attaques aériennes, aucun combattant du groupe armé d'opposition, l'ALPS-Nord, ne se trouvait sur place avant ou au moment des frappes. Aucun des incidents sur lesquels a porté l'enquête ne s'est déroulé à proximité des lignes de front ou dans une zone de combats en cours.
Les témoignages ont été corroborés par des fragments de bombes, des projectiles n'ayant pas explosé, des cratères, des biens endommagés et d'autres indices matériels découverts sur les lieux des bombardements. Ils ont également été confirmés par d'autres pièces à conviction, parmi lesquelles des photos et des enregistrements vidéo effectués par des membres de ces communautés immédiatement après les attaques, ainsi que des archives médicales et les descriptions faites par le personnel soignant des blessures subies par les victimes qu'ils avaient traitées.
Les types de munitions utilisées et la manière dont elles l'ont été – larguées à haute altitude sans système de guidage – sont une preuve supplémentaire que les bombardements étaient effectués à l'aveugle, ce qui les caractérise comme illégaux au regard du droit humanitaire international.
Décès de femmes et d'enfants
Angelo al-Sir,un agriculteur âge d'une quarantaine d'années, a indiqué aux chercheurs que sa femme, mère de 10 enfants et enceinte, deux de ses enfants, son neveu et un autre parent, soit cinq personnes au total, ont été tués dans un raid aérien le 19 juin à Um Sirdeeba, un village situé à l'est de Kadougli:
« Ma femme, Mahasin, était en train de planter dans le champ à côté de notre maison quand nous avons entendu un avion, un Antonov, qui volait en cercle au dessus. Elle a crié aux enfants: ‘Couchez-vous à terre, les bombes arrivent.’ »
Une bombe est tombée et a explosé près de la maison familiale, avec des effets désastreux.
Mahasin, âgée de 35 ans, a été tuée sur le coup, décapitée par des éclats de bombe dans le champ voisin de la maison. Son fils de neuf ans, Yasser, qui était dans la cuisine pour aider sa soeur aînée Amal à préparer le repas, a été touché à la tête par des éclats qui ont perforé le mur de la maison. Ces shrapnels ont aussi atteint à la poitrine sa soeur âgée d'un an, Amani, et tué sur le coup leur cousin de quatre ans, Musa’ab al-Fakih, qui était assis à côté d'elle. Craignant d'autres frappes, al-Sir et son voisin ont emporté les enfants blessés, Yasser et Amani, vers la montagne proche mais les deux enfants n'ont survécu que quelques minutes.
Un autre parent âgé de moins de 30 ans, Alsafi al-Hassan, enseignant à l'école de la mosquée voisine et qui était hébergé par la famille al-Fakih, a lui aussi été tué par des éclats de bombe alors qu'il était assis sous un arbre dans la cour de la maison.
Plusieurs autres enfants des familles Al-Sir et Al-Fakih ont été blessés dans cette attaque. Amnesty International et Human Rights Watch ont rendu visite à cinq d'entre eux à l'hôpital, où ils étaient encore soignés deux mois après l'incident. Deux enfants, Ruba al-Sir et Abbas al-Fakih, âgés respectivement de 2 et 3 ans, ont reçu des blessures particulièrement graves à la poitrine et dans le dos et dans les deux cas, des éclats ont pénétré leurs poumons. Mawadda al-Fakih, âgée de 3 ans, a eu la jambe gauche partiellement déchiquetée et Saïda al-Sir, âgée de cinq ans, et sa soeur de 11 ans, Husna, ont subi des blessures semblables aux membres.
Des parents et des voisins ont indiqué à Amnesty International et à Human Rights Watch que d'autres bombardements avaient eu lieu depuis lors dans la région, dont l'un, une semaine plus tard, a causé la mort d'une petite fille.
Le 22 juin, une autre frappe sur Kauda, à 120 km à l'est de Kadougli, a tué une femme de 24 ans, Fawziya Ibrahim Kulul, qui était enceinte de huit mois et mère d'un garçon de trois ans, alors qu'elle faisait paître ses chèvres dans un champ près de sa maison. Les membres de sa famille et des voisins ont affirmé qu'au moins cinq bombes étaient tombées en cascade cet après-midi-là. La première a tué Fawziya Kulul et la dernière a explosé tout près du complexe d'une organisation non gouvernementale locale et a endommagé une maison alentour.
Le 26 juin, un avion a de nouveau lâché des bombes sur Um Sirdeeba, à quelque 200 mètres du lieu de l'attaque du 19 juin, tuant une petite fille de huit ans, Zarqa al-Saja, alors qu'elle tentait de s'abriter sous un arbre. Sa mère, Mariam Zanga, a raconté qu'elle et son mari étaient allés cultiver leur terre, laissant les enfants à la maison:
« Je suis allée aux champs et quand je suis rentrée à la maison, elle était déjà morte; je n'ai rien pu faire pour elle. Elle avait une grande blessure au ventre et ses intestins étaient à l'extérieur. »
Des éclats de bombe ont également blessé Najwa Daud, une voisine âgée de trois ans, et trois autres voisins ont été blessés à leur tour début août dans une nouvelle frappe aérienne.
Une autre attaque aérienne, menée le 26 juin contre le marché de Kurchi, a causé la mort de 13civils, dont cinq enfants et trois femmes, et blessé plus de 20 personnes.
Amnesty International et Human Rights Watch ont visité le site bombardé à Kurchi et interrogé 25 victimes, parents de victimes, ou autres témoins. Leurs témoignages détaillés, ajoutés à d'autres preuves, donnent une idée cohérente de ce qui semble bien avoir été une attaque aveugle contre des civils.
Trois des bombes ont explosé dans un périmètre d'environ 150 mètres sur 100 autour de la pompe à eau du village et de la place du marché, où les résidents – en particulier les femmes et les enfants – ont l'habitude de s'assembler. Avant l'attaque, le marché quotidien, maintenant déserté, était animé tous les jours.
La plupart des victimes sont des femmes et des enfants qui venaient chercher de l'eau, les autres faisaient leurs courses ou passaient par là. Parmi les morts, figurent une petite fille de quatre ans, Makalina Teimas Suleiman, et sa soeur de trois ans, Breskela. Leur soeur aînée Marcela, âgée de huit ans, a perdu la majeure partie du pied droit et une partie du gauche. Sur son lit d'hôpital, elle a raconté aux chercheurs:
« Nous étions près du puits quand l'avion est arrivé et tout le monde s'est mis à courir. Soudain j'ai eu très mal aux jambes. Maintenant, il faut que j'apprenne à marcher avec ces bâtons [des béquilles]; c’est très difficile. »
Des photos prises immédiatement après l'attaque montrent les corps de ses deux soeurs déchiquetés par les éclats de bombe dans un champ près du puits. Awatef Kober, la mère d'Iqbaal et Maryam Musa al-Rahima, a indiqué aux enquêteurs que ses filles étaient allées chercher de l'eau au puits quand les bombes ont explosé:
« J'ai entendu des explosions, puis un voisin a apporté le corps de Maryam à la maison. Elle avait été touchée à la tête et une partie de sa tête avait disparu. Il m'a dit d'aller au cimetière car c'est là qu'on avait transporté le corps d'Iqbal. J'y suis allée mais ses blessures étaient tellement horribles que je n'ai pas pu regarder.’ »
Une troisième soeur, Kechi, âgée de huit ans, a été blessée dans l'attaque mais a survécu. Au moment de l'attaque, la famille venait juste de regagner sa maison après s'être réfugiée dans des grottes dans des montagnes des environs, où ils avaient passé la plupart de leur temps à se protéger des bombardements. Ikhlas Hassan Jaden, âgée de 13 ans, était en train de porter son déjeuner à son frère dans une boutique du marché. Sa mère, Leila Ahmad, a dit aux enquêteurs:
« J'ai entendu trois explosions. J'ai couru au marché car mes enfants y étaient. A ce moment, j'ai vu des gens courir vers moi, portant ma fille. Ses jambes étaient brisées et déchiquetées. Nous l'avons emmenée à la clinique ici à Kurchi mais ils ont dit qu'elle était trop gravement blessée et devait être conduite à l'hôpital de Kauda. Elle est morte avant notre arrivée à l'hôpital. »
Walid Osman Ali, âgé de 32 ans, boucher de profession et père de deux jeunes enfants, a été tué alors qu'il tentait de s'abriter derrière une des échoppes. Le propriétaire de la boutique, Nabil al-Amin Kua, a décrit sa mort:
« Il était en train de recharger son téléphone quand nous avons entendu un avion. Je me suis jeté au sol derrière le magasin mais Walid est resté debout près du mur. De gros éclats ont été projetés contre le mur. Il a été touché partout, surtout au niveau de la taille. Il a été presque coupé en deux. »
En plus des 13 personnes tuées dans le bombardement du marché de Kurchi, plus de 20 autres ont été blessées. Parmi elles se trouve une fille de huit ans, Bibiana Isaac, qui était venue chercher de l'eau au puits. Le médecin qui l'a soignée a dit aux chercheurs que des éclats de bombe lui avaient brisé une vertèbre cervicale et qu'elle est désormais paraplégique.
Lors d'un autre raid aérien, le 2 juillet vers midi, deux femmes, Nunu Angelu Karki, 24 ans et mère d'un bébé de quatre mois, et Nidal Hashim Wagana, 23 ans, ont été tuées par des bombes à Saraf Jamus, un village près de Kurchi.
Le père de Nunu Karki a raconté que quand l'avion les a survolées, elle a couru dans les champs vers une tranchée individuelle que la famille utilisait comme abri anti-bombes, mais a été tuée avant d'avoir pu l'atteindre. Nairobi Luka, 12 ans, était avec elle mais s'en est tirée avec des blessures bénignes. Un voisin de huit ans, Shallu Bolis Abali, a également été légèrement blessé.
Amnesty International et Human Rights Watch ont aussi enquêté sur des bombardements survenus en août. Le 14 août, un avion a largué des bombes près du village de Kurchi, détruisant la maison et les biens de Wazir al-Kharaba, de ses deux femmes et de ses 11 enfants. Les chercheurs ont eux-mêmes vu des bombes être larguées d'un Antonov dans une zone située au sud de Kurchi le 19 août à 16h30. Le 22, au lendemain du départ des enquêteurs de la région, des bombes sont tombées sur Kauda, blessant un homme et une femme âgée et endommageant une école.
Violations du droit humanitaire international
Les bombardements effectués à l'aveugle sont des violations du droit humanitaire international. L'armée soudanaise et les combattants de l'ALPS-Nord, en tant que parties à un conflit armé intérieur, sont liés par le droit humanitaire international, qui interdit les attaques qui ne font pas de distinction entre des cibles civiles et militaires. Les attaques qui entraînent des dégâts civils hors de proportion avec les avantages militaires directs escomptés, sont également interdites.
Les attaques sont considérées comme aveugles quand elles ne sont pas dirigées contre un objectif militaire particulier ou quand elles sont menées selon des méthodes ou des moyens guerriers qui ne peuvent pas être dirigés contre un objectif militaire particulier, ou quand elles ne peuvent pas avoir un impact limité et qu'en conséquence, elles ne font pas de distinction entre civil et militaire. Les deux camps doivent prendre toutes les précautions possibles pour minimiser les dommages subis par les civils et leurs biens, ce qui inclut, quand les circonstances le permettent, d'envoyer des préavis concernant toute attaque pouvant affecter la population civile.
Les avions de type Antonov ne sont pas équipés de systèmes de guidage leur permettant de diriger leurs bombes sur des cibles militaires précises. En fait, les bombes sont larguées en les faisant rouler à la main par l'arrière de l'avion et les pilotes minutent le larguage en fonction d'un certain nombre de variables, dont la vitesse de l'appareil et son altitude. Une fois qu'une bombe est lancée, sa trajectoire ne peut pas être modifiée. Si des avions de combat larguaient de telles munitions non guidées sur des zones civiles, cela susciterait de graves préoccupations concernant le caractère aveugle ou disproportionné de ces attaques.
Des centaines de milliers de personnes obligées de fuir les bombes
Au moins 150.000 personnes ont dû fuir leurs habitations depuis le commencement du conflit début juin, selon des organisations humanitaires travaillant sur le terrain dans cinq localités tenues par le MLPS-Nord. Leur nombre pourrait être nettement supérieur, de fortes pluies, une pénurie de carburant et des préoccupations de sécurité ayant limité l'accès à de nombreuses zones contrôlées par le MLPS-Nord, où des dizaines de milliers de personnes déplacées se sont installées. En outre, ce nombre pourrait encore augmenter dans les prochains mois car les combats qui se poursuivent dans plusieurs zones entraînent de nouveaux déplacements.
Amnesty International et Human Rights Watchse sont entretenus avec environ 150 personnes déplacées. Elles vivaient dans des abris de fortune à proximité de gros rochers au pied ou au sommet de montagnes, où elles pouvaient trouver à se protéger en cas d'attaque aérienne, sous des arbres à l'écart des routes principales et des villes qui sont les plus susceptibles d'être bombardées, ou dans des écoles fermées pour les congés d'été.
D'autres avaient trouvé refuge dans des villes et des villages chez l'habitant, qui indiquaient n'avoir pas eu d'autre choix que d'aider des gens qui, sans cela, seraient contraints de vivre totalement à découvert. Dans un cas, les enquêteurs ont visité une zone où un millier de personnes avaient trouvé refuge dans des maisons abandonnées ou dans des grottes au sommet d'une montagne, fuyant les bombardements de leur village au pied de la montagne. 1.500 autres personnes, venues de villages éloignés et fuyant également des attaques aériennes, les y avaient rejointes.
Des besoins humanitaires pressants
Plus de deux mois après que les autorités soudanaises ont commencé à bloquer toute assistance humanitaire destinée aux zones tenues par le MLPS-Nord et à la plupart des régions tenues par le gouvernement dans l'état du Sud-Kordofan, plus de 150.000 personnes déplacées ayant fui les bombardements et d'autres attaques, ont un besoin urgent de nourriture et d'autres éléments d'aide humanitaire.
De nombreuses personnes déplacées ont indiqué à Amnesty International et à Human Rights Watchque n'ayant reçu que très peu, voire pas du tout, d'aide humanitaire, elles avaient dû manger des baies sauvages et des feuilles et en nourrir leurs enfants. Des communautés vivant dans toutes les zones sous contrôle de l'ALPS-Nord ont été dans l'impossibilité de cultiver leurs champs – ou de semer ne serait-ce qu'une partie de leurs récoltes habituelles – par crainte des attaques ou parce que leurs terres se trouvent dans des zones tenues par les FAS et sont inaccessibles. Les pénuries de nourriture sont susceptibles de s'aggraver.
Le 20 août, trois agences de l'ONU ont tenté d'effectuer une mission d'évaluation en indiquant à l'avance qu'elles souhaitaient se rendre dans “plusieurs endroits” du Sud-Kordofan, y compris des zones tenues par le MLPS-Nord. Elles ont été escortées par des responsables gouvernementaux soudanais, dont des membres des services de renseignement militaire, et n'ont pu visiter que Kadougli, ville sous contrôle du gouvernement. Les autorités leur ont refusé l'autorisation de se rendre dans d'autres régions.
Le 23 août, le président Béchir a déclaré qu'aucune agence étrangère ne serait admise dans l'état du Sud- Kordofan. Depuis lors, les employés de l'ONU ont confirmé à Amnesty International et à Human Rights Watch que les autorités de l'état continuaient de leur interdire un accès indépendant à de nombreux secteurs, notamment à toutes les zones tenues par l'opposition.
Blocage par le gouvernement de l’aide aux personnes deplacées
Depuis le début du conflit, les Nations Unies n'ont pu porter assistance qu'à une partie des personnes déplacées - dont le nombre total est estimé à plusieurs dizaines de milliers - essentiellement à Kadougli ou aux alentours, leur fournissant de la nourriture et d'autres produits de base. L'accès aux zones situées en dehors de Kadougli a été sévèrement limité pour l'ONU. Un petit nombre d'organisations humanitaires aux moyens réduits - des fournitures de base presque épuisées et une quantité limitée de véhicules, de pièces détachées et de carburant - s'efforcent avec peine d'assister une partie des quelque 150.000 personnes déplacées dans les zones du MLPS-Nord.
De nombreux employés des Nations Unies ont évacué Kadougli et d'autres localités du Sud-Kordofan, à cause du déclenchement du conflit début juin et des restrictions strictes imposées à leur capacité de mouvement en dehors de Kadougli, tandis que d'autres ont quitté les lieux à l'expiration du mandat de la mission de l'ONU le 9 juillet, jour où le Sud-Soudan a déclaré son indépendance.
Le 9 juin, les autorités soudanaises ont cessé d'autoriser des vols entre la capitale, Khartoum, et le Sud-Kordofan. Elles ont permis à l'ONU d'effectuer un certain nombre de vols entre le 21 et le 26 juin vers des villes tenues par le MLPS-Nord, dont Kauda, pour évacuer tous les personnels étrangers et quelques nationaux.
Le 20 juin, l'ambassadrice des États-Unis aux Nations Unies, Susan Rice, a affirmé devant le Conseil de sécurité que les autorités soudanaises « menaçaient d'abattre les avions de la MINUS effectuant des patrouilles, … [avaient] pris le contrôle de l'aéroport de Kadougli et refusé l'autorisation d'atterrir aux vols de la MINUS ». Le colonel Khalid Al-Sawarmi, porte-parole des FAS, a démenti ces affirmations.
Le gouvernement a cependant refusé d'autoriser des vols vers le Sud-Kordofan, sauf pour évacuer des employés ou du matériel.
Réserves de nourriture en baisse, menace de crise
Quand les combats ont éclaté, les entrepôts du Programme alimentaire mondial (PAM) à Kauda – ville qui est aux mains du MLPS-Nord depuis la mi-juin – contenaient 700 tonnes de nourriture. Après le départ du PAM en juin, les organisations humanitaires restées sur le terrain ont pris le relais et au cours des 60 jours suivants, ont distribué des rations pour 10 jours à quelque 100.000 personnes déplacées, selon les groupes humanitaires locaux. La nourriture restante correspond à une nouvelle ration de dix jours pour 23.000 personnes seulement.
Des dizaines de personnes déplacées, dans toutes les localités visitées par les enquêteurs, ont indiqué qu'ils avaient eux-mêmes rationné les quantités déjà limitées de nourriture qu'ils avaient reçues, puis avaient réussi à survivre pendant des semaines avec des baies sauvages et des feuilles, qu'ils utilisaient pour faire de la soupe. Des mères ont dit que leurs enfants souffraient de diarrhée. Elles ont affirmé n'avoir aucune idée de la façon dont elles pourraient maintenir leur famille en vie au cours des semaines à venir. Les personnes hébergées par des familles ont indiqué que leurs hôtes avaient très peu de nourriture à partager, voire pas du tout. Selon le PAM, le Sud-Kordofan a eu de mauvaises récoltes en 2009 et 2010, ce qui signifie que les habitants connaissaient des difficultés avant même que le conflit n'éclate.
La plupart des personnes interrogées ont affirmé qu'elles avaient été dans l'impossibilité d'effectuer des semailles – ou qu'elles en avaient fait beaucoup moins que d'habitude – parce qu'elles étaient terrifiées par la campagne intense de bombardements aériens menée par l'armée de l'air soudanaise en juin et juillet, les mois où les populations locales plantent le sorgho, l'aliment de base dans la région.
D'autres personnes, déplacées loin de chez elles, ont indiqué n'avoir rien pu semer parce qu'elles n'étaient plus en mesure d'atteindre leurs champs.
Les chefs de communautés locales ont affirmé que les rares personnes capables de se procurer du sorgho en échange de bétail ou d'argent, soit ne trouvaient pas assez de nourriture dans les marchés, soit ne pouvaient pas l'acheter en raison de prix trop élevés. Selon le PAM, les denrées disponibles sur les marchés sont en diminution car elles dépendent largement du commerce avec le nord, qui est désormais coupé des zones tenues par le MLPS-Nord. Les prix augmentent rapidement.
L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a indiqué s'attendre à une importante réduction des zones cultivées au Sud-Kordofan. Des représentants des autorités locales affirment que des pluies tardives vont aggraver le problème, débouchant sur des récoltes très mauvaises dans la plupart des secteurs en octobre et novembre. Selon le Système d'alerte rapide aux risques de famine (Famine Early Warning Systems Network), les estimations de pluviosité dans la région sont inférieures de 50% à la moyenne. Le Système indique que la situation en matière de nourriture et de subsistance des civils affectés par le conflit, y compris les déplacés, a déjà atteint le niveau de “crise” – un cran en-dessous du niveau d'“urgence.”
Des spécialistes de la nutrition ayant analysé la dynamique des événements au Sud-Kordofan craignent que le taux de malnutrition n'augmente, en raison des “effets cumulatifs de la faim, de la diarrhée, du paludisme et de la pneumonie.”
Nécessité d'autres formes d'assistance
Amnesty International et Human Rights Watchont indiqué que les personnes déplacées avaient également un besoin urgent d'une assistance non alimentaire. Depuis début juin, les organisations humanitaires ont distribué seulement 1.500 paquetages contenant couvertures, bâches en plastique, ustensiles de cuisine et moustiquaires. Elles disent qu'il ne leur en reste plus que quelques centaines. Dans l'une des zones visitées, les autorités locales ont indiqué que la principale raison pour laquelle des milliers de personnes déplacées vivaient dans des familles d'accueil qui avaient de la peine à les héberger, était que les déplacés n'avaient pas de bâches en plastique pour construire des toits pour des abris de fortune.
La situation actuelle sur le plan humanitaire rappelle celle qui prévalait pendant le conflit au Sud-Kordofan au début des années 1990, quand l'armée soudanaise avait bloqué toute aide destinée aux zones tenues par l'ALPS et forcé des milliers de civils à vivre dans des "camps de la paix" contrôlés par le gouvernement, pour pouvoir recevoir de l'aide. La famine avait fait rage et des dizaines de milliers de civils étaient morts de malnutrition et de maladie.
Obligation d'autoriser l'arrivée de l'aide à ses destinataires
Les lois de la guerre imposent à toutes les parties au conflit, y compris les autorités soudanaises, de permettre et de faciliter le transport rapide et sans obstacles des secours humanitaires impartiaux vers les civils qui en ont besoin, sans aucune distinction. Bien que les autorités soudanaises aient le droit de contrôler la livraison de l'aide, elles n'ont pas celui d'interdire arbitrairement aux organisations humanitaires d'accéder aux réfugiés et sont tenues d'accorder cet accès aux organisations qui fournissent des secours sur une base impartiale et non discriminatoire, si la survie de la population est menacée.
Le Soudan serait habilité à restreindre les mouvements des agences humanitaires dans les zones tenues par l'ALPS-Nord de manière temporaire, si ces limitations étaient justifiées par un impératif militaire véritable – la crainte que des opérations de secours puissent interférer avec des opérations militaires. Le gouvernement soudanais n'a pas démontré une telle nécessité.
Graves violations des droits humains à Kadougli
Le conflit au Sud-Kordofana commencé le 5 juin, quelques semaines après la rude prise de contrôle militaire par le gouvernement de la région contestée voisine d'Abyeiau mois de mai. Des combats entre les forces gouvernementales soudanaises et l'Armée de libération du peuple du Soudan (ALPS) ont éclaté à Kadougli et à Um Durein, puis se sont rapidement étendus à d'autres villes du Sud-Kordofan, où les forces du gouvernement et de l'ALPS étaient présentes.
Amnesty International et Human Rights Watch n'ont pas pu atteindre Kadougli et d'autres zones tenues par les FAS, mais les enquêteurs ont interrogé de nombreuses personnes qui avaient fui la ville dès le début du conflit et qui avaient été témoins ou avaient elles-mêmes subi des violations des droits humains par les forces soudanaises et les milices qui leur sont alliées. Tous ces témoignages, largement cohérents, indiquent que les forces gouvernementales, agissant de concert avec des milices armées, ont commis de graves violations des droits humains dans la région.
Les récits des témoins corroborent de nombreux éléments du rapport publié par l'ONU le 15 août, qui décrit de nombreux cas de meurtres extrajudiciaires et d'arrestations arbitraires, dont celles de membres du personnel des Nations Unies, effectuées après des fouilles de quartiers maison par maison et à des points de contrôle routiers, ainsi que d'autres violations.
Des dizaines de personnes ayant été témoins de ces violations ont affirmé que les forces gouvernementales, dont les Forces armées soudanaises, la Police centrale de réserve (PCR) et un groupe paramilitaire, les Forces de défense populaires (FDP), ainsi que les milices alliées, ont pilonné des quartiers résidentiels, pillé et brûlé des maisons et des églises, tiré sur des civils et arrêté illégalement et tué ceux qui étaient soupçonnés de liens avec le MLPS.
Meurtres extrajudiciaires
Amnesty International et Human Rights Watchont recueilli de nombreux témoignages d'exécutions extrajudiciaires de personnes considérées comme affiliées au MLPS, tant à Kadougli que dans d'autres zones du Sud-Kordofan.
Khaled Kuku Masubar, âgé de 37 ans, employé d'une organisation d'aide au développement à Kadougli et interrogé à Um Sirdeeba, a affirmé avoir vu un groupe de soldats à bord d'une camionnette pick-up abattre Rizik Rizgullah Kacho, un civil connu pour être membre du MLPS, devant l'hôpital. « J'ai entendu leur commandant dire, ‘Ceux-là, c'est le MLPS. Finissons-en avec eux.’” Masubar a également affirmé avoir vu des soldats tuer par balles un autre homme près d'une église, et aperçu de nombreux cadavres “en différents endroits dans la rue et sous un arbre. »
Des témoins ont affirmé que les agents du Service national de renseignement et de sécurité soudanais (NISS), d'autres forces de sécurité et des milices alliées possédaient des listes de sympathisants présumés du MLPS, qu'ils utilisaient pour procéder à des arrestations arbitraires lors de fouilles de maisons, à des contrôles routiers et dans les rues.
Dans certains cas, des résidents identifiés par les témoins comme partisans du Parti du congrès national, le parti politique au pouvoir au Soudan, guidaient les miliciens vers des membres connus du MLPS. Les forces de sécurité gouvernementales ont également pénétré à l'intérieur du “périmètre protégé” bordant le complexe de la mission de l'ONU à Kadougli et y ont effectué des arrestations, et ont même tué des gens à au moins deux reprises à proximité du complexe.
« Quelqu'un m'a dit que mon nom figurait sur la liste, alors j'ai décidé d'aller à la MINUS », a raconté L.K., une femme de 29 ans membre du MLPS. Alors qu'elle s'enfuyait vers l'enceinte de la mission le 11 juin, elle a vu trois cadavres près de la rivière. Près du complexe, elle a vu les forces de sécurité abattre deux jeunes.
« Ils [les membres de la police centrale de réserve] ont tué par balles deux garçons, Khaled, 18 ans, et Amr, 16 ans », a-t-elle ajouté. « C'étaient les fils de Saleh, le chauffeur d'Abdelaziz [al-Hillu], [vice-gouverneur et dirigeant du MLPS]. Ils ont tué ces deux garçons délibérément, j'ai vu quelqu'un les désigner et j'ai vu leurs corps après qu'ils eurent été abattus. Les cadavres étaient sur le sol. »
Un autre témoin, F.A., qui était aussi un membre local de la mission de l'ONU, a déclaré: « Le 7 juin, les FAS, les services du renseignement militaire et les milices ont commencé à arrêter des gens dans l'enceinte de la MINUS. » Elle a raconté comment le 8 juin, deux véhicules de la Police centrale de réserve se sont arrêtés à l'entrée principale de la mission et ont tué Nimiri Philip, qui travaillait sous contrat pour l'ONU:
« Ils se sont emparés de lui et ont essayé de le tuer devant l'entrée principale. Mais des femmes ont commencé à pleurer, alors ils l'ont fait monter dans un des véhicules, l'ont tué un peu plus loin et ont jeté son cadavre. »
Pillages et destruction de biens, y compris d'églises
Des dizaines de témoins interrogés par Amnesty International et Human Rights Watchont rapporté avoir vu des maisons et des églises pillées et détruites. « Ils ont emporté les toits en zinc et brûlé le reste », a déclaré R.H.A., une femme de 29 ans originaire d'Hagar Al Nar qui, de chez elle, a assisté au pillage et à l'incendie des maisons de certains de ses voisins.
Des membres du clergé ont affirmé que des soldats et des miliciens ont pillé les biens de quatre églises et du Conseil des églises du Soudan à Kadougli et ont détruit une église à Um Durein. Martin Boulos, un responsable religieux interrogé à Juba, a affirmé que, caché dans le périmètre du Conseil des églises du Soudan, il avait pu observer les miliciens et la police tirer à l'intérieur de la chambre d'hôtes et piller le secrétariat.
« Ils ont brisé toutes les vitres et les portes de la chambre d'hôtes, ont pris ce qu'ils voulaient et brûlé le reste », a dit un autre responsable de l'église. « Puis ils se sont dirigés vers le secrétariat et la cathédrale et ont cassé beaucoup de choses. »
La destruction délibérée de monuments religieux est un crime aux termes du droit humanitaire international.
Violence sexuelle
Plusieurs témoins ont également fait état de viols commis par des soldats gouvernementaux. R.K.A., une femme de 24 ans originaire d'un village au nord-est de Kadougli, a affirmé que sept soldats des FAS l'avaient violée dans les buissons près d'un point de contrôle routier à proximité de Heiban, alors qu'elle rentrait chez elle après l'éclatement du conflit à Kadougli.
« Ils ont pris mon appareil photo et mon sac avec mon passeport, et m'ont emmenée dans les buissons », a-t-elle dit. Après le viol, elle s'est enfuie jusqu'à Juba et est sans nouvelles de son fils et d'autres membres de sa famille, dont elle avait été séparée au moment de l'attaque et qui vivent dans une zone contrôlée par l'armée.
M.B.A., un avocat interrogé à Juba, a raconté que sa voisine et sa fille de 16 ans avaient demandé son aide après que des soldats eurent violé la fille à Kadougli, au troisième jour des combats. « La fille avait du sang sur les jambes », a-t-il dit. « Je lui donné un antibiotique et j'ai nettoyé sa blessure avec des chiffons et du sel. » M.B.A. a également indiqué avoir reçu un appel téléphonique d'une voisine de 25 ans, qui avait été violée chez elle par trois miliciens. « Elle ne pouvait pas bouger, ils l'avaient battue », a-t-il dit.
Retours forcés à Kadougli
Des témoins de Kadougli ont aussi affirmé que des responsables gouvernementaux avaient tenté de contraindre des personnes déplacées qui avaient trouvé refuge à la mission de l'ONU, de retourner à Kadougli durant les semaines consécutives au début du conflit. Le 20 juin, les autorités locales auraient pénétré à l'intérieur du “périmètre protégé” contigü au camp, où environ 10.000 personnes déplacées étaient réunies, et leur auraient ordonné de regagner leurs maisons à Kadougli ou de se rassembler dans les écoles et au stade de Kadougli. Le 18 juin, le gouverneur Haroun a annoncé dans les médias locaux que les fonctionnaires devaient rentrer chez eux, sous peine de ne pas recevoir leurs salaires.
Les Principes directeurs des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes à l'intérieur de leur propre pays soulignent que les personnes déplacées ont le droit de chercher refuge n'importe où dans le pays, ainsi que celui de ne pas être ramenés en un endroit où leur vie, leur sécurité, leur liberté et/ou leur santé seraient en danger.
Autres allégations
Des témoins, parmi lesquels des employés des Nations Unies, ont parlé aux enquêteurs de deux fosses communes dans la région de Kadougli – à Tillo et dans la vallée dans le village de Murta. Mais les chercheurs n'ont pu confirmer ces allégations, en raison de l'impossibilité d'accéder à ces lieux et du nombre limité de ces témoignages. Les enquêteurs ont également recueilli des informations crédibles selon lesquelles des mines anti-véhicules avaient été placées dans et autour de Kadougli et dans d'autres lieux stratégiques, mais ils n'ont pu établir lequel des deux camps en était responsable.