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Liban : Les autorités devraient cesser de harceler un défenseur des droits humains qui a documenté des actes de torture

Plusieurs ONG internationales et locales ont condamné les mesures d’intimidation visant les militants des droits humains

(Beyrouth, le 4 août 2011) - Les autorités libanaises devraient immédiatement cesser de harceler Saadeddine Shatila, représentant de l'organisation de défense des droits humains Alkarama, en guise de représailles pour son travail de recherche sur les cas de tortures perpétrées par les forces de sécurité ; cet appel a été lancé par onze organisations internationales et locales de défense des droits humains lors d'une conférence de presse aujourd’hui. Ces organisations ont aussi déploré les mesures d'intimidation utilisées à l'encontre des défenseurs des droits humains par les services de sécurité, mesures qui tendent selon elles à être systématiques. Elles ont en outre appelé les autorités judiciaires libanaises à enquêter sur les allégations de tortures documentées par Alkarama.

Saadeddine Shatila a été convoqué au siège des services de renseignement de l'armée libanaise à Beyrouth le 25 juillet dernier à 8 heures. Il a été libéré à 20h après avoir été interrogé sans interruption pendant sept heures, principalement sur son travail de documentation sur les violations des droits humains au Liban et en particulier sur les cas de tortures. Alkarama a soumis ces cas aux procédures spéciales des droits humains de l'ONU, en particulier au Rapporteur spécial sur la torture. Le 26 juillet, le procureur militaire Saqr Saqr a interrogé Shatila de nouveau et l'a renvoyé vers le juge d'instruction de l'armée, Riad Abu Ghida. Shatila a été accusé d'avoir "publié des informations de nature à nuire à la réputation de l'armée".

« Au lieu d'enquêter sur un défenseur des droits humains, la justice libanaise ferait mieux d'ouvrir une enquête sur les allégations de tortures que les organisations des droits humains ont documentées », a déclaré Michael Romig, représentant d'Alkarama. Et d'ajouter: « C'est encore une mesure d'intimidation qui est dirigée contre ceux comme Saad qui documentent les abus commis par les forces de sécurité libanaises. »

L'affaire de Saad illustre parfaitement les mesures d'intimidation et de persécution dirigées contre d'autres militants au Liban pour leurs activités de défenseurs des droits humains. Le 22 mars, le procureur général, Sa'id Mirza, a ouvert une enquête contre le Centre libanais des droits humains (CLDH), suite à une plainte déposée par Amal, parti politique dirigé par Nabih Berri, porte-parole du parlement, contre l'organisation pour avoir publié un rapport le 10 février accusant des membres d'Amal d'avoir commis des actes de tortures.

Au cours de l'interrogatoire, les représentants du CLDH n'ont pas pu obtenir de copie de la plainte déposée contre eux. Les autorités judiciaires auraient dit au CLDH qu'ils avaient été accusés d' « incitation aux dissensions confessionnelles », en vertu de l'article 317 du code pénal libanais. Jean Fermaini, juge d'instruction du quartier de Baabda est chargé de l'enquête et la prochaine audience est prévue pour le 11 octobre.

Le 9 octobre 2010, Ghassan Abdallah, directeur général de l'Organisation palestinienne pour les droits de l'homme (OPDH), a été interrogé par un agent des services de renseignement libanais. L'interrogatoire a porté sur l'affiliation de l'OPDH au Réseau euro-méditerranéen des droits de l'homme (REMDH) et sur le séminaire que l'organisation avait organisé en partenariat avec le Comité du dialogue libano-palestinien (LPDC) sur le système des permis imposé par l'armée pour l'accès au camp de réfugiés de Nahr El-Bared. L'interrogatoire a duré trois heures. On lui a dit que dorénavant s'il souhaitait renouveler son permis d'accès au camp, il devrait passer à chaque fois par les services de renseignement de l'armée.

Le 27 novembre, les services de renseignement de l'armée ont interrogé Hatem Meqdadi, le coordinateur des activités de l'OPDH au camp de Nahr El-Bared, sur le travail de documentation des violations des droits humains par son organisation, sur les réunions du directeur général et sur ses relations avec les ambassades étrangères. Hatem a été détenu jusqu'au 1er décembre à la base militaire de Qubbeh et a été maltraité. Les agents l'ont forcé à se déshabiller complètement, l'ont privé de sommeil et l'ont nourri seulement une fois.

Lors d'une visite au camp de Nahr El-Bared le 11 mai, un agent de l'armée a demandé dit à M. Abdallah de se rendre au bureau local des services de renseignement de l'armée, où un officier de l'armée lui a ordonné de quitter le camp. L'OPDH a écrit plusieurs fois aux autorités libanaises pour leur demander de justifier légalement cet ordre mais n'a reçu aucune réponse. Le bureau de l'OPDH au camp Nahr El-Bared a dû être fermé à cause de ce harcèlement.

« Le Liban se félicite toujours d'avoir une société civile dynamique mais ses services de sécurité semblent déterminés à faire taire les voix qui en émergent », a déclaré Nadim Houry, directeur du bureau de Beyrouth de Human Rights Watch. « Le gouvernement libanais devrait envoyer un message clair à ses services de sécurité et leur donner l'ordre de mettre un terme aux mesures d'intimidation contre les défenseurs des droits humains. »

Préoccupation majeure des défenseurs des droits humains au Liban, la torture reste une pratique courante dans les centres de détention libanais. Les organisations locales et internationales des droits humains ont réuni des témoignages de nombreux détenus qui disent avoir été battus et torturés au cours des interrogatoires dans des centres de détention à travers tout le pays au cours des cinq dernières années. C'est particulièrement vrai pour ceux contrôlés par le ministère de la Défense et la Section des renseignements des forces de la sécurité intérieure.

L'article 401 du Code pénal libanais prévoit des sanctions pénales pour l'extorsion d'aveux par usage de la violence mais la justice libanaise n'ouvre que rarement, voire jamais, des poursuites contre des agents de l'Etat coupables d'actes de tortures. Selon les organisations de défense des droits humains, il n'y aurait eu qu'une condamnation depuis 2004: un agent de police a été inculpé pour avoir battu un suspect lors d'un interrogatoire. Le ministère de l'Intérieur n'a pas rendu publics les résultats de l'enquête ouverte en août 2008 sur les allégations de mauvais traitements commis dans les prisons libanaises.

Les États ont l'obligation de protéger les défenseurs des droits humains contre les risques qu'ils encourent du fait de leurs activités. En 1998, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté une déclaration sur les défenseurs des droits humains qui rappelle le droit des personnes et des associations de « promouvoir la réalisation et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

La Déclaration rappelle aussi le devoir des Etats de « prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d'autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire » dans le cadre de leur activités de promotion des droits humains.

Les organisations signataires de ce communiqué de presse sont: Fondation Alkarama, Association Libanaise pour l'Education et la Formation (ALEF - Act for Human Rights), Centre Libanais pour les Droits de l'Homme (CLDH), l'Organisation palestinienne pour les droits de l'homme (OPDH), Réseau arabe d'ONG pour le développement (ANND), Human Rights Watch (HRW), Amnesty International (AI), Association Justice et Misericorde (AJEM), Restart Rehabilitation Center of the victims of Torture (Restart), Association palestinienne pour les droits de l'homme (witness) et Ruwad Frontiers.

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