(Genève) - Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU est passé à côté d'une belle occasion d'agir pour lutter contre les atteintes aux droits humains dans le monde des affaires, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Le 16 juin 2011, le Conseil a avalisé une série de « Principes directeurs sur les droits de l'homme dans le monde des affaires » et annoncé l'instauration d'un groupe de travail et d'une réunion annuelle des représentants d'entreprises, de gouvernements et de la société civile dont la mission sera de diffuser ces principes et d'en débattre. Les principes sont le produit du mandat de John Ruggie, professeur à Harvard et représentant spécial de l'ONU sur les questions relatives au monde des affaires et aux droits de l'homme depuis 2005.
Le Conseil n'a pas établi de mécanisme permettant d'assurer l'application des mesures élémentaires destinées à la protection des droits humains qui sont exposées dans les Principes directeurs, a commenté Human Rights Watch. Les Principes directeurs n'édictent pas de « norme mondiale », contrairement à ce qu'affirment certains.
« Dans les faits, le Conseil a avalisé le statu quo : un monde dans lequel les entreprises sont encouragées à respecter les droits humains mais sans y être contraintes », selon Arvind Ganesan, directeur de la division Entreprises et droits humains à Human Rights Watch. « Des principes directeurs ne suffisent pas - nous avons besoin d'un mécanisme permettant d'examiner de près la manière dont les entreprises et les entreprises appliquent ces principes. »
Human Rights Watch a rendu compte d'un large éventail d'abus dans le secteur des affaires à travers le monde. Parmi les exemples tirés de rapports récents figurent des viols collectifs commis par des agents de la sécurité des mines en Papouasie Nouvelle-Guinée, des représailles contre des travailleurs tentant de se syndicaliser aux États-Unis, des cas de saturnisme parmi des enfants travaillant dans des usines en Chine et le recours à une main-d'œuvre infantile pour des travaux dangereux dans le secteur de la culture du tabac au Kazakhstan. Bien que de telles pratiques aillent à l'encontre des nouveaux Principes directeurs, la résolution du Conseil ne prévoit aucun dispositif pour empêcher de tels abus ou y donner suite, a déclaré Human Rights Watch.
Le Conseil a ignoré les recommandations formulées par plusieurs dizaines de groupes de la société civile, dont Human Rights Watch, réclamant un suivi efficace des travaux de John Ruggie, avec un mécanisme permettant de savoir si les entreprises et les gouvernements appliquent bel et bien ces principes. Au lieu de cela, le Conseil a décidé de créer un groupe de travail composé de cinq membres qui seront désignés en septembre 2011, dont la mission sera de promouvoir et de faire connaître les Principes directeurs. Le Conseil invitera ce groupe à envisager les différentes options et à formuler des recommandations pour permettre aux victimes d'obtenir réparation plus facilement.
Le Conseil a également décidé d'instaurer un nouveau Forum sur les entreprises et les droits de l'homme qui réunira chaque année gouvernements, entreprises et autres entités afin d'étudier d'une manière très générale la mise en œuvre des Principes directeurs. Le Conseil a ainsi tenu compte de l'avis des organisations du monde des affaires, qui s'opposaient à un examen plus détaillé et se sont nettement prononcées en faveur d'un forum plus timoré. On ignore dans quelle mesure ce forum est différent du Pacte mondial de l'ONU, initiative modeste lancée en 1999 pour traiter de la question de la responsabilité des entreprises.
« La création d'un forum de discussion supplémentaire sur les devoirs des entreprises ne suffit pas pour répondre aux besoins des victimes de pratiques abusives dans le monde des affaires », a précisé Arvind Ganesan. « Si l'engagement à l'égard de ces principes est réel, pourquoi les entreprises et les gouvernements devraient-ils avoir peur d'en examiner sérieusement la mise en œuvre ? »
L'approche minimaliste du Conseil des droits de l'homme contraste fortement avec la décision prise le même jour par l'Organisation internationale du travail (OIT) de créer un nouveau traité historique pour protéger les droits des travailleurs domestiques, a commenté Human Rights Watch.
Le nouveau traité de l'OIT contient des dispositions détaillées au titre desquelles les gouvernements sont tenus de réguler les agences de recrutement privées et d'enquêter sur les plaintes déposées.
« Une majorité écrasante de membres de l'OIT a tenu à défendre les droits humains malgré l'opposition de certains gouvernements et entreprises », a observé Arvind Ganesan. « Mais malheureusement, les membres du Conseil n'ont pour l'instant pas fait preuve d'un réel leadership pour resserrer les normes de responsabilité des entreprises. »Les Principes directeurs, dont l'objectif est de conférer « un point de référence officiel global », ont été qualifiés par les gouvernements qui siègent au Conseil des droits de l'homme de « recommandations exhaustives ». Cependant, Human Rights Watch estime que les Principes directeurs ne constituent qu'une partie de la réponse qu'il convient d'apporter et qu'ils n'ont jamais été prévus pour fonctionner de manière autonome.
Les Principes ont été élaborés après que le Conseil avait demandé à Ruggie d'« opérationnaliser » - autrement dit de traduire en termes concrets - le cadre de référence des Nations Unies « Protéger, respecter et réparer » qu'il a développé en 2008 et que le Conseil a avalisé.
Ce cadre énonce trois grands concepts s'appuyant sur des principes de droits humains déjà anciens : les gouvernements ont le devoir de protéger les individus et les communautés contre les atteintes aux droits humains, y compris dans le contexte d'activités commerciales ; les entreprises se doivent de respecter tous les droits ; et les victimes devraient bénéficier d'un accès accru aux mesures de réparation en cas d'atteintes. Human Rights Watch a décrit le Cadre 2008 de l'ONU comme offrant un point de référence utile.
Les Principes directeurs indiquent des mesures fragmentaires à prendre pour mettre à exécution le Cadre de l'ONU, selon Human Rights Watch. En janvier, 125 organisations, dont Human Rights Watch, ont fait savoir ensemble qu'elles déploraient qu'une version préliminaire des Principes directeurs soit à plusieurs titres moins rigoureuse que les normes de droits humains actuellement en vigueur. Les révisions apportées à cette version n'ont pas complètement réussi à remédier à ces insuffisances. Par exemple, les Principes directeurs abordent brièvement l'accès à la justice pour les victimes d'abus commis par des entreprises, sans pour autant faire référence au droit humain international bien établi du droit à une réparation effective.
« Au bout de six ans d'existence, le Conseil des droits de l'homme est loin de réaliser tout son potentiel en matière de droits humains dans le monde des affaires », a conclu Arvind Ganesan. « Nous espérons que les gouvernements envisageront désormais des mesures plus puissantes pour s'assurer que toutes les entreprises se conforment aux normes de droits humains. »