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Tunisie : Les autorités devraient libérer un officier de police qui avait tenté de dénoncer d’éventuelles exactions

Samir Feriani a accusé des officiels du ministère de l’Intérieur de détruire des archives

(Tunis, le 9 juin 2011) - Les autorités tunisiennes devraient libérer l'officier de police Samir Feriani qui est actuellement en détention militaire, abandonner toute accusation contre lui qui ne serait fondée que sur ses efforts pour alerter l'opinion, et porter les autres accusations éventuelles devant un tribunal civil, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Feriani est un officier haut gradé qui dirige un programme de formation d'officiers au ministère de l'Intérieur.

Feriani est détenu depuis le 29 mai 2011, après avoir écrit une lettre au ministre de l'Intérieur, Habib Essid, où il nommait certains officiels actuellement haut-placés au ministère, responsables selon lui du meurtre de manifestants pendant la révolution tunisienne, ainsi que d'autres violations des droits humains. La lettre de Feriani accusait aussi des officiels du ministère d'avoir détruit des archives embarrassantes suite à la chute du président Zine el-Abidine Ben Ali le 14 janvier.

« À un moment où de nombreux Tunisiens pensent que les responsables qui ont terrorisé la population sous Ben Ali conservent d'importants pouvoirs au sein de l'institution sécuritaire, le gouvernement provisoire devrait encourager ceux qui tirent la sonnette d'alarme, et non pas utiliser les lois discréditées du gouvernement déchu pour les emprisonner », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

La lettre de Feriani affirmait que le 20 janvier, des véhicules du ministère de l'Intérieur s'étaient rendus dans un local hébergeant des archives du ministère et que des officiers avaient détruit des papiers et des cassettes, a dit à Human Rights Watch un de ses avocats, Samir Ben Amor, qui a lu la lettre. Feriani soutenait que le matériel visé par la destruction incluait des archives de l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP), qui d'après lui décrivaient les relations de Ben Ali avec le Mossad, l'agence de renseignements israélienne. Le siège de l''OLP était situé à Tunis de 1982 à 1994.

Après s'être d'abord adressé au ministre de l'Intérieur, Feriani avait porté ses accusations devant le bureau du Premier ministre, Béji Caïd Essebsi, a déclaré Ben Amor. Peu avant son arrestation, deux journaux tunisiens indépendants, El Khabir (« L'Expert ») et L'Audace, avaient commencé à rendre compte des accusations de Feriani.

Un juge d'instruction de tribunal militaire instruit actuellement au pénal les plaintes contre Feriani, accusé d'«atteinte à la sécurité extérieure de l'État », de diffuser des informations « de nature à nuire à l'ordre public » et d'« impute[r] à un fonctionnaire public ou assimilé des faits illégaux en rapport avec ses fonctions, sans en établir la véracité » (selon, respectivement, les articles 61, 121(3) et 128 du code pénal), a rapporté à Human Rights Watch un autre de ses avocats, Mohamed Abbou.

Feriani est détenu dans la caserne militaire d'El-Aouina, près de Tunis, depuis le matin du 29 mai, lorsque des policiers en civil l'ont intercepté au volant de sa voiture près de son domicile du Bardo, dans la banlieue de la capitale. Les autorités n'ont pas formellement avisé sa famille de son arrestation avant le matin suivant, a déclaré sa femme, Leïla Feriani, à Human Rights Watch. Feriani a été déféré au tribunal militaire plutôt que civil en raison à la fois de son statut d'officier de police et de la nature des accusations. Au contraire des tribunaux civils, les verdicts de tribunal militaire ne sont soumis à aucun appel concernant les faits. Un accusé ne peut faire appel du verdict d'un tribunal militaire que devant la Cour de cassation, qui ne peut annuler un verdict que sur la base d'une erreur de procédure ou d'application de la loi.

Le comité des droits de l'Homme des Nations-Unies, qui interprète le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a énoncé que les tribunaux militaires devaient servir uniquement à juger des civils dans des cas exceptionnels, et ce à condition que le droit des accusés à un procès équitable soit entièrement respecté.

La famille et les avocats de Feriani ont pu lui rendre visite lors de son maintien en détention. Cependant le juge d'instruction militaire, Wahid Bounnani, a seulement autorisé la défense à consulter une copie du dossier, mais pas à l'emporter, allant à l'encontre des pratiques établies de longue date par la justice en Tunisie, a déclaré Ben Amor, l'avocat de la défense.

À ce jour, Feriani n'a pas été accusé d'avoir divulgué des informations classées confidentielles, ni d'avoir violé son obligation professionnelle au secret.

Les accusations contre Feriani que le tribunal militaire est en train d'examiner prévoient toutes des peines de prison. Elles faisaient partie de l'arsenal légal répressif utilisé par le gouvernement de Ben Ali pour punir les dissidents et réduire au silence les militants des droits humains. En 2005, Abbou, l'avocat de la défense de Feriani, a été condamné à 18 mois de prison pour un article où il comparait les prisons tunisiennes à Abou Ghraïb, la prison dirigée par les Etats-Unis en Irak ; un article que le tribunal avait jugé « susceptible de perturber l'ordre public ».

Toutes ces dispositions légales demeurent en vigueur, mais depuis la chute de Ben Ali et la mise en place d'un gouvernement provisoire, le pouvoir judiciaire ne les a presque jamais invoquées.

« La réponse adéquate aux accusations de Feriani serait de lancer une enquête à leur sujet », a déclaré Sarah Leah Whitson. « En le détenant, les autorités découragent d'autres personnes qui voudraient alerter l'opinion, et révèlent à quel point il est urgent, pour la Tunisie post-Ben Ali, d'amender ses lois répressives, en particulier celles qui prévoient des peines de prison pour des délits liés à la liberté d'expression. »

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