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Il y a vingt ans, Hissène Habré, le dictateur du Tchad, est renversé et fuit au Sénégal. Les portes de ses prisons ont été ouvertes et je suis rentré dans ma famille comme un squelette ambulant. J'ai vu mourir des centaines de mes codétenus et j'ai juré devant Dieu d'obtenir justice en leur nom. Pendant deux décennies j'ai été fidèle à cette quête, et notre but semblait presque atteint en novembre dernier lorsque les bailleurs de fonds internationaux ont accepté de financer le procès de Habré au Sénégal.

Mes espoirs, et ceux de mes camarades survivants, ont cependant volé en éclats en décembre lorsque le Président du Sénégal, Abdoulaye Wade, a déclaré qu'il en « avait assez » de l'affaire Habré, et qu'il prévoyait de l'expulser du Sénégal.

Si le Président Wade en « a assez », que croit-il que nous ressentions ?

Tout a commencé en janvier 2000, quand nous sommes allés au Sénégal avec d'autres survivants - dont certains sont maintenant décédés - pour porter plainte. Nous pouvions à peine y croire quand un juge sénégalais a inculpé Habré de crimes contre l'humanité.

Néanmoins, après que Wade ait été élu Président du Sénégal, le juge d'instruction a été muté et les juridictions sénégalaises se sont déclarées incompétentes, ce qui attira la condamnation des Nations Unies. Nous n'avons pas abandonné pour autant et nous avons porté plainte en Belgique. Un juge belge et son équipe se sont rendus au Tchad. Je les ai emmenés dans mes anciennes geôles et ils ont visité les fosses communes, tandis que les témoins faisaient la queue pour raconter leur histoire. Le juge a saisi les archives abandonnées de la police politique de Habré, découvertes par Human Rights Watch et qui font état de la mort de 1208 prisonniers et du mauvais traitement de 12 321 victimes, dont moi-même.

En 2005, le juge belge émettait un mandat d'arrêt international à l'encontre de Habré, mais au lieu d'ordonner son extradition, le Président Wade renvoya l'affaire à l'Union africaine (UA) qui, en 2006, mandata le Sénégal pour juger Habré « au nom de l'Afrique ». Pourtant quatre ans plus tard, le Sénégal n'avait même pas encore commencé les préparatifs, exigeant le versement de l'intégralité des fonds pour le procès. Nous savons tous que Habré a utilisé les millions de dollars volés au trésor tchadien pour se construire un mur de protection au Sénégal.

Heureusement, le 24 novembre, les bailleurs de fonds se sont réunis à Dakar et ont engagé l'ensemble les fonds nécessaires. La Cour de Justice de la CEDEAO avait déclaré entre-temps que le Sénégal devait juger Habré devant une juridiction spéciale, et l'UA a indiqué qu'elle aiderait le Sénégal à effectuer les arrangements nécessaires. Le ministre de la Justice du Sénégal a d'ailleurs déclaré que la table ronde des bailleurs était « le parachèvement du long processus de préparation, devant aboutir au démarrage effectif du procès ».

Nous avons donc été choqués lorsque, deux semaines plus tard, le Président Wade annonça « que l'Union africaine reprenne son dossier... sinon Hissène Habré je vais le renvoyer quelque part. Moi maintenant, j'en ai assez... je vais m'en débarrasser. Point final ».

Le Comité des Nations Unies contre la Torture, qui avait condamné le Sénégal en 2006 pour violation de son obligation de faire juger Habré, a répondu à cette déclaration en rappelant au Sénégal son obligation de juger ou d'extrader l'ancien dictateur. De son côté, l'Union africaine a dépêché à Dakar son Commissaire à la paix et à la sécurité, M. Ramtane Lamamra, qui a présenté au Président Wade un projet permettant de répondre à la décision de la Cour de la CEDEAO par la création d'une juridiction spéciale au sein des tribunaux sénégalais, dans les limites des ressources budgétaires disponibles et avec la participation de deux juges nommés par l'UA. Nous espérons vivement que le Président Wade acceptera cette proposition.

Quand la Cour pénale internationale a émis un mandat d'arrêt international à l'encontre du Président soudanais Omar el-Béchir pour des crimes commis au Darfour, plusieurs dirigeants africains ont affirmé que la CPI ne visait que l'Afrique. Mais le vrai problème semble être l'impuissance de l'Afrique face aux crimes commis par les dirigeants africains. Le Président Wade a l'opportunité de changer cela.

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Souleymane Guengueng est le fondateur de l'Association des Victimes des Crimes de Répressions Politiques au Tchad. Il vit en exil à New York.

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