(New York, le 2 décembre 2010) - Les États membres de la Cour pénale internationale (CPI), qui se réuniront pour la première fois depuis la conférence de révision de la CPI organisée à Kampala en mai et juin 2010, devraient tenir leurs promesses et s'engager davantage en faveur de la justice internationale, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
Human Rights Watch a appelé les gouvernements à accorder une attention particulière au renforcement de la coopération avec la CPI et à l'accroissement de l'assistance apportée aux juridictions nationales pour réprimer le crime de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. La session annuelle de l'Assemblée des États parties débutera le 6 décembre au siège des Nations Unies à New York. Les 114 pays membres, dont trois nouveaux États, y prendront part.
« Les membres de la CPI devraient tirer parti des bases importantes posées à Kampala », a déclaré Elizabeth Evenson, juriste au programme de justice internationale de Human Rights Watch. « Cette réunion des États parties est le moment pour les gouvernements de prendre de nouvelles mesures concrètes visant à ce que les responsables des crimes internationaux les plus graves soient traduits en justice. »
La tenue de la conférence de révision de Kampala était une obligation au regard du Statut de Rome, le traité établissant la cour. La conférence devait avoir lieu sept ans après l'entrée en vigueur du statut en 2002 pour examiner tout amendement éventuel au traité.
La CPI est tributaire des gouvernements pour faire appliquer ses décisions et l'assister dans ses enquêtes et poursuites. Les réactions brutales suscitées par les mandats d'arrêt délivrés par la cour à l'encontre du Président soudanais Omar el-Béchir ont montré à quel point il était important que le mandat de la cour bénéficie d'un soutien public vigoureux, a souligné Human Rights Watch. L'organisation de défense des droits humains a appelé les États membres à intensifier et à conjuguer leurs efforts pour garantir la coopération, d'une part en créant un groupe de travail permanent sur la coopération au sein de l'Assemblée des États parties, et d'autre part en nommant un facilitateur chargé de multiplier les manifestations de soutien à l'égard du mandat de la CPI dans les débats à l'ONU.
« Les États membres de la CPI devraient redoubler d'efforts pour appuyer la CPI et s'aider mutuellement à coopérer avec la cour face à l'opposition persistante de Béchir et de ses alliés », a relevé Elizabeth Evenson. « Ils devraient se donner les moyens de tirer parti des occasions qui se présentent à l'Assemblée générale de l'ONU et au Conseil de sécurité tout au long de l'année. »
La CPI devrait également être davantage en prise directe avec l'Union africaine, et les États membres devraient faire en sorte que cela devienne une réalité, a déclaré Human Rights Watch.
Lors de la conférence de révision, près de 40 pays se sont spécifiquement engagés à apporter à la cour une assistance concrète et accrue. Human Rights Watch a invité les gouvernements à communiquer les mesures prises pour respecter ces engagements et à faire de nouvelles promesses d'assistance lors de la réunion de décembre.
Human Rights Watch a en outre recommandé aux gouvernements de renforcer la capacité de l'Assemblée des États parties à promouvoir les efforts conjugués visant à améliorer les procès intentés au niveau national pour des crimes relevant de la compétence de la CPI. Cette dernière n'agit que dans les cas où les tribunaux nationaux n'ont pas la volonté ou sont dans l'incapacité d'engager des procès dignes de ce nom dans leurs pays, et la portée de son action est limitée à très peu de cas. Le rôle central joué par les tribunaux nationaux dans la traduction en justice de tous les auteurs des crimes internationaux les plus graves a fait l'objet d'une attention accrue lors des discussions de Kampala.
« Les membres de la CPI reconnaissent que l'impunité pour les crimes les plus graves doit également être combattue au niveau national, notamment en augmentant l'assistance afin de donner aux tribunaux nationaux les ressources dont ils ont besoin pour mener à bien cette tâche », a expliqué Elizabeth Evenson. « Pour que cela soit possible, l'Assemblée des États parties devrait établir de nouvelles relations entre la CPI et les programmes d'aide au développement. »
Les États membres décideront également du budget annuel de la CPI. La pression économique qui s'exerce sur les budgets nationaux semble alimenter l'intérêt des gouvernements membres pour un contrôle plus rigoureux de la cour. Un autre élément entrant en ligne de compte pourrait être le retard enregistré dans les procédures judiciaires, entre autres un récent report dans le premier procès de la CPI, celui de Thomas Lubanga, un chef rebelle congolais. Le procès de Lubanga a repris le mois dernier et la CPI a récemment entamé son troisième procès, celui de Jean-Pierre Bemba Gombo, ancien vice-président de la République démocratique du Congo, chef rebelle et leader d'un parti de l'opposition, accusé de crimes perpétrés dans un pays voisin de la RDC, la République centrafricaine.
La prochaine session de l'assemblée est censée mettre en place un groupe d'étude composé d'États membres et chargé d'examiner les questions liées au fonctionnement de la cour. Human Rights Watch convient que les États membres ont un rôle crucial à jouer en impliquant les responsables de la cour dans un dialogue stratégique, mais l'organisation de défense des droits humains appelle l'assemblée à veiller au strict respect de l'indépendance de la cour en tant qu'institution judiciaire.
Dans un mémorandum rédigé à l'intention des gouvernements le mois dernier, Human Rights Watch a attiré l'attention sur d'autres questions susceptibles d'être discutées. Il s'agit notamment du besoin de se préparer à l'élection de juges de la CPI et du prochain procureur de la CPI en choisissant uniquement les candidats les plus hautement qualifiés lors d'un vote qui se tiendra en 2011 ou au début de l'année 2012. Il s'agit aussi du besoin de garanties pour prévenir toute ingérence à caractère politique dans les travaux d'un mécanisme de contrôle indépendant de la CPI.
Contexte
La CPI est le premier tribunal mondial permanent mandaté pour traduire en justice les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de crime de génocide lorsque les tribunaux nationaux n'ont pas la volonté ou sont dans l'incapacité de le faire. Le traité établissant la CPI, le Statut de Rome, est entré en vigueur en 2002, quatre ans seulement après l'adoption du traité par 120 États lors d'une conférence organisée à Rome.
L'Assemblée des États parties a été créée par le Statut de Rome dans le but de donner des orientations générales pour l'administration de la cour. Elle est composée de représentants de chaque État membre et est tenue de se réunir au moins une fois par an, mais elle peut se réunir plus souvent s'il y a lieu.
La session annuelle de cette année suit la première conférence de révision de la CPI, organisée à Kampala (Ouganda) du 31 mai au 11 juin dernier. Le Statut de Rome dispose que sept ans après l'entrée en vigueur du traité, le secrétaire général de l'ONU doit convoquer une conférence de révision pour examiner tout amendement éventuel au traité.
Outre l'adoption de deux amendements - dont l'un concernant la définition du crime d'agression et les conditions pour que la cour exerce sa compétence sur ce crime - les États membres présents à la conférence de révision se sont livrés, dans le cadre d'un exercice de « bilan », à deux journées de débat sur la coopération, la complémentarité (ou renforcement des juridictions nationales pour réprimer les crimes relevant de la compétence de la CPI), l'impact du système du Statut de Rome sur les victimes et les communautés affectées, ainsi que sur la paix et la justice.
La compétence de la cour peut être déclenchée de l'une des trois façons suivantes. Les États membres de la CPI ou le Conseil de sécurité de l'ONU peuvent déférer une situation, c'est-à-dire un ensemble déterminé d'événements, au procureur de la CPI, ou le procureur de la CPI peut présenter, de sa propre initiative, à une chambre préliminaire composée de juges de la CPI une demande d'autorisation pour ouvrir une enquête.
Le procureur de la CPI a ouvert des enquêtes en République démocratique du Congo, dans le nord de l'Ouganda, dans la région soudanaise du Darfour, en République centrafricaine et au Kenya. Sur la base de ces enquêtes, 13 mandats d'arrêt et une citation à comparaître ont été délivrés. Le procureur a annoncé qu'il prévoyait de présenter à une chambre préliminaire de la CPI, vers la fin de ce mois, des dossiers à l'encontre de six personnes dans le cadre de l'enquête ouverte au Kenya.
Le procureur examine également un certain nombre de situations dans d'autres pays ailleurs dans le monde. Il s'agit notamment de la Colombie, de la Géorgie, de la Côte d'Ivoire, de l'Afghanistan et de la Guinée. L'Autorité Nationale Palestinienne a aussi demandé au procureur de la CPI d'accepter d'exercer sa compétence sur les crimes commis à Gaza.
Quatre personnes se trouvent aux mains de la CPI en détention préventive à La Haye. Trois autres qui sont accusées de crimes de guerre en rapport avec une attaque perpétrée contre les forces de maintien de la paix de l'Union africaine au Darfour se sont présentées volontairement lors des procédures préliminaires. La chambre préliminaire de la CPI a refusé de confirmer les charges pesant à l'encontre de l'une de ces trois personnes, Bahr Idriss Abu Garda. Une chambre préliminaire tiendra une première audience le 8 décembre pour confirmer les charges pesant à l'encontre des deux autres - Abdallah Banda Abakaer et Saleh Mohammed Jerbo Jamuson.
Bemba est la plus importante personnalité amenée à comparaître à ce jour. Le procès du chef rebelle congolais Thomas Lubanga Dyilo est en cours, à l'instar du procès conjoint des dirigeants rebelles congolais Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui.
Outre Béchir et deux autres individus recherchés en lien avec la situation au Darfour, les dirigeants de l'Armée de Résistance du Seigneur active dans le nord de l'Ouganda, ainsi que Bosco Ntaganda, ex-commandant rebelle aujourd'hui intégré au sein de l'armée nationale congolaise, font l'objet de mandats d'arrêt qui n'ont pas encore été exécutés.