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(Nairobi, le 1er juillet 2010) - La multiplication des violations des droits humains risque de porter atteinte au processus électoral burundais à moins que le gouvernement ne prenne des mesures immédiates pour y remédier, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les dirigeants du parti au pouvoir et des partis de l'opposition devraient également émettre des consignes claires à l'intention de leurs membres, leur signifiant que les actes de violence ne seront pas tolérés.

La situation a commencé à se détériorer en mai dernier, après que 13 partis de l'opposition eurent rejeté les résultats d'élections communales historiques organisées au Burundi, invoquant des fraudes massives. Début juin, 12 d'entre eux ont formé une coalition, l'Alliance des Démocrates pour le Changement (ADC-Ikibiri), et ont annoncé un boycott du scrutin présidentiel du 28 juin. Le gouvernement a immédiatement qualifié le boycott d' « illégal ». Le Président en exercice, Pierre Nkurunziza, s'est dès lors retrouvé seul candidat à la présidence. La coalition a également menacé de boycotter les élections législatives prévues fin juillet.

Au cours des semaines qui ont précédé le scrutin présidentiel, le gouvernement a imposé de sévères restrictions à la liberté de circulation des leaders de l'opposition ; arrêté des dizaines de militants de l'opposition ; et interdit toutes les réunions des partis de l'opposition. Les arrestations se sont poursuivies dans la foulée du scrutin de lundi.

Les élections ont par ailleurs été entachées de violences politiques qui se sont intensifiées avec le lancement de la campagne présidentielle le 12 juin : près de 100 attaques à la grenade ont eu lieu ; au moins deux militants du parti au pouvoir et un militant de l'opposition ont été assassinés ; et des incendies criminels ont frappé au moins 35 permanences du parti au pouvoir. Les attaques à la grenade et les incendies visaient la plupart du temps le parti au pouvoir, tandis que les arrestations et les restrictions à la liberté de circulation visaient dans tous les cas des membres de l'opposition politique.

« Le Burundi se trouve à une dangereuse croisée des chemins, et des personnes manifestement mal intentionnées de chaque côté du fossé politique cherchent à exploiter les récentes tensions », a déclaré Rona Peligal, directrice à la Division Afrique de Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait lever les restrictions inutiles frappant les libertés fondamentales, et les personnes qui fomentent la violence devraient mettre un terme à leurs activités. »

Le gouvernement burundais devrait immédiatement rétablir les droits civils et politiques des membres de l'opposition qui ne sont inculpés d'aucune infraction, entre autres le droit à organiser des réunions et à se déplacer, a souligné Human Rights Watch. [Il] Le gouvernement devrait en outre veiller à la libération sans délai des membres de l'opposition à l'encontre desquels il n'existe aucun élément démontrant des agissements criminels.

Human Rights Watch a également appelé les autorités burundaises à ouvrir une enquête sur tous les cas de violence politique et à faire en sorte que les responsables de ces actes, quelle que soit leur affiliation politique, soient traduits en justice.

Depuis le début du boycott décrété par l'opposition, trois personnalités politiques de premier plan - Pascaline Kampayano de l'Union pour la Paix et le Développement (UPD), Charles Niyungeko du Conseil National pour la Défense de la Démocratie (CNDD) et Alice Nzomukunda de l'Alliance Démocratique pour le Renouveau (ADR) - se sont vu empêcher de quitter le Burundi. Kampayano et Niyungeko ont été bloqués aux frontières du pays par la police locale aux frontières, laquelle n'a donné pour toute explication que le fait qu'elle avait reçu des ordres de ses supérieurs. Nzomukunda a été bloquée à l'aéroport international de Bujumbura le 27 juin alors qu'elle embarquait sur un vol à destination de Nairobi ; son passeport et son billet d'avion ont été confisqués. Elle a déclaré que le directeur général de la police l'avait informée qu'elle n'était pas autorisée à voyager car elle était soupçonnée d'avoir planifié une manifestation illégale.

À Bujumbura, la capitale burundaise, plusieurs sources dignes de foi ont signalé à Human Rights Watch que le gouvernement avait ordonné à la police de restreindre la liberté de circulation de tous les principaux leaders de l'opposition. Les responsables de la police contactés par Human Rights Watch se sont refusés à confirmer ou à démentir ces informations.

Selon des observateurs de l'ONU, au moins 55 militants de l'opposition ont été arrêtés rien qu'entre le 25 et le 28 juin, dont des membres haut placés des Forces Nationales de Libération (FNL) et du Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie (MSD), deux partis de l'opposition. Un journaliste qui a suivi de près les arrestations a informé Human Rights Watch qu'à la date du 29 juin, au moins 74 militants de l'opposition se trouvaient derrière les barreaux.

Certains ont été inculpés d'infractions graves telles que des « atteintes à la sûreté de l'État », dont Édouard Misago, membre du comité exécutif des FNL, détenu par le Service National de Renseignement. D'autres ont été accusés d'avoir joué un rôle dans les récentes attaques à la grenade qui ont coûté la vie à au moins 7 personnes et en ont blessé au moins 55 autres depuis le 11 juin ; ou de détention d'armes, alors que les partis de l'opposition ont affirmé que dans certaines de ces affaires, aucune arme n'avait été trouvée.

D'autres encore ont été accusés de participation à des « réunions illégales », notamment la secrétaire exécutive du MSD, Odette Ntahiraja, qui a été maintenue en détention pendant plusieurs jours avant d'être libérée. Ces actions ont fait suite à une décision prise le 8 juin par le Ministre de l'Intérieur Édouard Nduwimana, en vertu de laquelle seuls les partis prenant part à l'élection présidentielle pouvaient organiser des meetings ou des rassemblements, n'autorisant dans les faits à se réunir que le parti au pouvoir, le Conseil National pour la Défense de la Démocratie-Forces pour la Défense de la Démocratie (CNDD-FDD). La loi burundaise exige que les partis notifient à l'avance aux autorités locales les réunions qu'elles tiendront ; se mettre en défaut de le faire peut déboucher sur une amende mais ne constitue pas un motif d'arrestation.

Dans la province de Ngozi, un détenu au moins a simplement été inculpé d'être « FNL ». Un autre chef d'accusation fréquent est le fait d' « inciter la population à ne pas voter », ce qui n'est pas constitutif d'infraction au regard de la loi burundaise.

« Le boycott par l'opposition et les récentes attaques à la grenade ne justifient pas ces atteintes aux droits humains », a fait remarquer Rona Peligal. « La négation des droits humains élémentaires des membres de l'opposition n'est pas davantage susceptible d'apporter une solution à l'impasse politique. Les autorités devraient libérer les personnes qui ont été placées en détention, à moins qu'il n'existe des éléments de preuve spécifiques les associant à une infraction reconnue. »

Lors des élections communales du 24 mai, le parti au pouvoir a remporté 64 pour cent des voix. Les observateurs électoraux nationaux et internationaux ont déclaré qu'en dépit d' « irrégularités », les élections avaient été en grande partie libres et démocratiques. De leur côté, les partis de l'opposition ont dénoncé des fraudes. Ces partis ont déposé 36 plaintes différentes auprès des commissions électorales provinciales, comprenant des accusations de votes multiples ; de non-publication des procès-verbaux du décompte des voix ; et de non-respect des procédures requises en matière de dépouillement des urnes. La plupart de ces plaintes ont été rejetées par les commissions électorales provinciales au motif que ces faits n'avaient pas eu un impact significatif sur le résultat des élections.

Lors d'une conférence de presse qui s'est tenue le 1er juin, les ministres de la sécurité publique et de la défense ont accusé « ceux qui contestent les résultats des élections » de « perturber l'ordre public et la sécurité, en violation flagrante de la loi et du code électoral », a rapporté l'Agence de Presse Burundaise. Le Ministre de l'Intérieur Nduwimana a annoncé le 8 juin que tout citoyen avait le droit d'élire et d'être élu et que dès lors, un parti politique qui demandait aux gens de ne pas prendre part à un scrutin enfreignait la loi. La semaine suivante, plusieurs membres de l'ADC-Ikibiri ont été arrêtés à Bujumbura après avoir tenu des réunions avec leurs membres dans la ville de Rumonge, située dans le sud du pays.

En tant que partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi qu'à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, le Burundi est tenu de respecter les droits civils et politiques fondamentaux de toutes les personnes, y compris les droits à la liberté d'association, de réunion pacifique et de circulation, ce dernier comprenant le droit de quitter son pays. Ces droits ne peuvent être limités que par des lois claires, pour un motif légitime et de la façon la moins restrictive possible, et ne peuvent faire l'objet d'aucune discrimination, notamment fondée sur des convictions politiques.

« Les gouvernements étrangers qui ont soutenu le processus de paix au Burundi devraient s'atteler d'urgence - et en toute impartialité - à prévenir toute nouvelle détérioration de la situation », a souligné Rona Peligal. « Les diplomates étrangers ont critiqué publiquement la décision de l'opposition de se retirer des élections, mais rares ont été ceux qui se sont élevés avec autant de véhémence contre la réaction implacable du gouvernement. »

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