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Tchad : Hissène Habré était informé des décès dans ses prisons

Les victimes attendent toujours le procès de l’ex-dictateur 10 ans après sa mise en accusation

(Dakar, le 29 janvier 2010) - A l'occasion du 10ème anniversaire de la première mise en accusation d'Hissène Habré au Sénégal, une nouvelle étude démontre que l'ancien dictateur tchadien était bien informé des politiques et des pratiques de sa police politique. Cette étude pourrait s'avérer cruciale dans les poursuites, toujours retardées, contre Habré qui est accusé d'avoir instauré la pratique systématique de la torture et d'avoir organisé le massacre de milliers d'opposants politiques durant son règne sur le Tchad de 1982 à 1990. 

Cette étude a été menée par le Groupe d'Analyse des Données de Droits Humains de Benetech (GADDH), une société américaine, sur la base de milliers de documents de la Direction de la Documentation et de la Sécurité d'Habré, la police politique d'Etat qui poursuivait les opposants et gérait les prisons sous le régime Habré. Les archives de la DDS furent découvertes par hasard par Human Rights Watch en 2001 dans les quartiers généraux abandonnés de la DDS à N'Djaména.

« Les preuves démontrent qu'Habré n'était pas un dirigeant distant qui ne savait rien au sujet de ces crimes », affirme Jacqueline Moudeina, Présidente de l'Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l'Homme et avocate des victimes. « Habré dirigeait et contrôlait les forces de police qui torturaient ceux qui s'opposaient à lui et ceux qui appartenaient simplement au mauvais groupe ethnique. »

Habré fut mis en accusation pour la première fois le 3 février 2000 par un juge sénégalais, avant que la justice sénégalaise ne se déclare incompétente et refuse de le juger. En 2006, le Sénégal a accepté le mandat de l'Union africaine de poursuivre Habré en justice, mais a depuis refusé d'agir avant d'avoir reçu 27.4 millions d'euros de la communauté internationale.

« Cela fait dix ans que le Sénégal a inculpé Habré pour la première fois, mais en dix ans, des milliers de mes camarades survivants sont décédés et nous ne sommes pas plus près du commencement du procès », affirme Souleymane Guengueng, 59 ans, qui est presque mort de fièvre dengue pendant les deux ans de mauvais traitements qu'il a subi dans les prisons tchadiennes. «  A moins que le Sénégal et l'Union africaine agissent vite, il n'y aura plus aucune victime lors du procès. »

L'analyse du GADDH démontre qu'il y avait une relation directe de supérieur- subordonné entre Habré et la direction de la DDS, nommée par lui. En outre, cette analyse démontre qu'Habré avait une connaissance des opérations menées par la DDS. L'analyse révèle qu'Habré a reçu 1265 communications directes de la DDS concernant l'état de 898 détenus. Un total de 12 321 victimes est mentionné dans les documents retrouvés et encodés, parmi lesquels figurent des informations concernant 1208 décès en détention.

« L'analyse des flux de documents menée sur plus de 2700 rapports administratifs illustre clairement le lien de commandement exercé par le Président Habré sur sa police secrète », affirme Romesh Silva, démographe au GADDH et principal auteur du rapport. « Notre analyse confirme que très tôt des comptes rendus sur les conditions de vie des prisonniers et sur le taux de mortalité étaient rédigés par la DDS. Le plus stupéfiant c'est que ces informations très précises collectées par Habré et la DDS pour documenter leurs propres abus peuvent maintenant servir à établir leur responsabilité. »

D'après le droit international, les individus peuvent être considérés pénalement responsables de graves violations des droits humains s'ils savaient ou auraient dû savoir que leurs subordonnés, sous leur autorité ou contrôle, commettaient des crimes et qu'ils n'ont pas empêché les crimes de se produire ou punit les responsables. Le Sénégal a annoncé qu'il ne ferait pas avancer l'affaire avant d'avoir reçu de la communauté internationale l'intégralité des fonds pour la tenue du procès que le Sénégal estime à 27.4 millions d'euros, dont 8 millions pour la reconstruction du Palais de Justice. L'Union européenne, la Belgique, la France, les Pays-Bas, et la Suisse ont accepté de contribuer au financement du procès, mais attendent la présentation d'un budget « crédible ». Le Tchad a quant à lui offert 3 millions comme contribution « initiale ». En décembre, une équipe conjointe de l'Union européenne et africaine s'est rendue au Sénégal et devrait prochainement proposer un budget révisé.

En juillet 2006, l'Union africaine a mandaté le Sénégal de poursuivre Habré « au nom de l'Afrique ». Le sommet des chefs d'Etat et des gouvernements de l'UA qui se tient à Addis-Abeba du 31 janvier au 2 février, doit traiter d'un rapport relatif aux avancées du Sénégal concernant les préparatifs du procès. Les victimes d'Habré et leurs soutiens appellent l'UA à faire pression sur le Sénégal pour faire avancer le dossier.

« C'est une honte pour l'Afrique », affirme Dobian Assingar de la Fédération internationale des ligues des Droits de l'Homme, également président d'honneur de la Ligue tchadienne des droits de l'Homme. « Cette affaire est une opportunité historique pour l'Afrique de démontrer qu'elle est capable de lutter contre l'impunité. A la place, l'Afrique fait preuve de défaillance à l'égard des victimes. »

Les victimes d'Habré vont commémorer les dix ans de sa mise en accusation, lors d'une série d'activités organisées à N'Djaména, la capitale du Tchad.

A propos du GADDH

Le Groupe d'Analyse des Données de Droits Humains de Benetech crée et développe des solutions de gestion de l'information, et conduit des analyses statistiques pour des projets dans le domaine des droits humains. Basé à Palo Alto, en Californie, les analyses menées par le GADDH ont été utilisées par neuf commissions vérité dans le monde, des tribunaux pénaux internationaux, ainsi que de nombreuses organisations non-gouvernementales de défense des droits humains. Le GADDH utilise des méthodes scientifiques pour créer des systèmes d'archivages sur les conflits passés et fournir des preuves tangibles permettant d'établir la responsabilité d'auteurs de crimes. Pour en savoir plus : http://www.hrdag.org/

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