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RD Congo : Comment protéger les victimes mineures dans le cadre des procès pour violences sexuelles - quelques pistes

Article soumis au Programme de l’Union européenne pour la Restauration de la Justice à l’Est de la RDC (REJUSCO)

Introduction

Les victimes de graves crimes contre les droits humains ont besoin d'être soutenues, protégées et aidées durant leur quête de justice auprès des tribunaux. La protection d'une victime dans le contexte d'un procès est un impératif juridique, bien que dans nombre de pays ces mesures de protection présentent de sérieuses difficultés et soient souvent déficientes. Dans la République démocratique du Congo (ci-après le Congo), pays en proie à un conflit armé interminable et dont l'appareil judiciaire souffre de faiblesses, la tâche de protéger et soutenir les victimes qui recherchent réparation juridique est d'autant plus complexe. L'État n'a pas d'infrastructure, ni de moyens financiers ou de mécanismes opérationnels pour fournir la totalité du soutien dont les victimes ont tant besoin.  Et cependant, le besoin de justice est capital. Sans la participation des victimes et de personnes prêtes à témoigner, la possibilité de rendre justice et de mettre fin à la culture d'impunité souffre de graves limitations.

Cet article étudie les défis que pose le soutien à un groupe de victimes particulièrement vulnérables : les enfants victimes de violences sexuelles. Au Congo, il s'agit d'un groupe de victimes exceptionnellement  important. Le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), l'agence chargée de coordonner le travail sur les violences sexuelles au Congo, estime que 200 000 femmes et filles ont subi des violences sexuelles depuis 1998. Pour la seule année 2008, 16 000 cas ont été enregistrés, dont 65% concernaient des enfants, essentiellement des adolescentes.[1] Il est urgent d'assurer un soutien et une protection accrus à ces enfants et à leurs parents qui demandent justice. La protection des victimes implique une stratégie et des mesures destinées à assurer la sécurité physique et le bien-être psychologique, la dignité et le respect de la vie privée des victimes citées comme témoins dans une procédure criminelle ou qui sont en quête d'une réparation juridique.

Aux termes de la loi congolaise, les procureurs et les juges doivent prendre des précautions particulières pour protéger les victimes et les témoins de violences sexuelles.  Ainsi, la loi mentionne spécifiquement le recours à des audiences  à huis clos comme étant un des moyens de protéger une victime. La victime a également le droit de consulter un médecin et un psychologue.[2] Le droit international définit les principes de la protection des victimes et des témoins dans la Convention relative aux droits de l'enfant, dans le Statut de Rome et dans la Déclaration sur les Principes Fondamentaux de Justice pour les Victimes de Crimes et d'Abus de pouvoir de l'ONU. [3] Ces instruments juridiques décrivent une série de mesures qui doivent être prises afin de protéger les victimes. 

Expériences de mesures de protection au Congo

Les difficultés à fournir une protection physique

Plusieurs facteurs viennent compliquer la protection physique des victimes et des témoins de violences sexuelles dans l'Est du Congo.  Tout d'abord, l'appareil judiciaire et la police souffrent de faiblesses structurelles, ils manquent de ressources et sont souvent corrompus ; en fait, l'état de droit fait souvent défaut et les lois en vigueur concernant la protection des victimes et des témoins ne sont pas appliquées.

Deuxièmement, de nombreux auteurs de violences sexuelles  font partie de groupes armés, des forces armées ou la police. Souvent ces groupes protègent leurs membres, même lorsque ces derniers sont accusés de viol, et ils peuvent menacer ou attaquer des victimes de violences sexuelles qui ont osé engager des poursuites judiciaires. Dans certains cas, des victimes de violences sexuelles ont même été jetées en prison pour avoir essayé d'obtenir justice. Les vengeances ou menaces à l'encontre des victimes font rarement l'objet d'une enquête, de même que les autres actions destinées à faire entrave à la justice.

Enfin, le système carcéral est dysfonctionnel. Les mutineries sont monnaie courante et il est fréquent que les détenus et les prisonniers s'évadent.[4] En mai 2009, le colonel Kipanga, un officier supérieur, accusé de viol dans la province du Nord-Kivu, a réussi à s'échapper deux jours après son arrestation pour violences sexuelles. Il a été jugé par contumace. Dans une autre affaire, quelques mois seulement après la condamnation sans précédent  pour crimes contre l'humanité de sept soldats de l'armée nationale qui avaient violé au moins 119 femmes et filles à Songo Mboyo en avril 2006, les soldats reconnus coupables se sont échappés. Ils n'ont toujours pas été repris.

Le cas d'une fillette de neuf ans, violée par un capitaine de l'armée congolaise près de chez elle à Goma en mai 2008, illustre parfaitement ces problèmes. Les faits sont étayés par des témoignages et un certificat médical. Le capitaine a été emprisonné pendant plusieurs mois mais il n'a jamais été jugé et il a finalement été remis en liberté début 2009. Depuis lors, il a menacé la fillette et sa famille, déclarant qu'il se vengerait pour le temps passé en prison et qu'un jour, il leur ferait voir de quoi il était capable avec sa formation militaire. A ce jour la fillette et ses parents vivent dans la terreur.[5]

Les difficultés à assurer le confort psychologique de la victime

Les victimes de violences sexuelles souffrent fréquemment d'un traumatisme qui se manifeste de différentes manières comme le repli sur soi-même, les larmes, l'agitation, des douleurs généralisées et autres symptômes physiques, des insomnies, des pertes de mémoire.[6] Souvent, les victimes mineures souffrent aussi de stress post-traumatique.[7]

Les procès constituent généralement une expérience traumatisante et aliénante pour une victime mineure. D'après une étude effectuée aux États-Unis, environ 95% des mineurs victimes de violences sexuelles ont peur de témoigner devant un tribunal et de nombreux enfants racontent que le jour où ils ont témoigné a été le pire de toute leur vie. Les enfants ont également exprimé leur crainte de vengeance de la part de l'auteur des crimes, leur peur d'être envoyés en prison, d'être punis pour s'être trompés, d'avoir à prouver leur innocence, de pleurer au banc des témoins, d'avoir à décrire les détails des agressions en présence d'étrangers, et de ne pas comprendre les questions qui leurs sont posées.[8]

Cet impact traumatisant sur les victimes mineures et les témoins risque d'être similaire, voire aggravé dans un contexte comme celui du Congo où il est encore plus difficile de protéger les victimes de nouvelles violences, et où le traumatisme subi par les membres de la famille et les communautés qui constituent le monde de l'enfant est aussi immense. Une étude effectuée en Ituri, une région au nord-est du Congo affectée par la guerre, a montré que presque 40% de la population souffrait de symptômes cliniques sévères de stress post-traumatique.[9]

Les victimes sont traumatisées non seulement par les violences sexuelles, mais aussi par l'attitude négative manifestée par leur communauté. C'est particulièrement le cas pour les filles qui généralement dépendent d'une personne qui prend soin d'elles. Il arrive que des familles rejettent leur propre fille après un viol. Quand les filles sont exclues par leurs familles et doivent partir, elles sont exposées à de nouvelles violences. Très souvent les filles sont rejetées par leur fiancé et ont du mal à trouver un mari. La situation est particulièrement difficile pour celles qui ont eu un bébé à la suite d'un viol et dont l'histoire est souvent connue de leur communauté. Ces filles sont alors confrontées à la tâche difficile d'élever un enfant conçu durant un viol alors qu'elles-mêmes sont encore des enfants. De nombreuses filles quittent l'école après avoir été violées, pour raisons de santé, à cause du traumatisme, parce qu'elles sont envoyées ailleurs ou ne supportent pas le stigmate. Le soutien psychosocial dont ont besoin les filles qui ont subi des violences sexuelles exige des compétences spéciales, peu présentes dans un Congo déchiré par la guerre.

Le rôle limité des tribunaux dans la protection des victimes

A l'heure actuelle et en raison d'un manque de moyens financiers et de mécanismes appropriés, les tribunaux ne procurent que très rarement des soins médicaux, un soutien psychologique et des mesures de protection physique comme le déplacement et la réinstallation des victimes. Dans certains cas, des fonctionnaires de la justice ont fait preuve d'inventivité et  montré leur détermination à protéger victimes et témoins. En Ituri, lors d'un procès pour crime de guerre, un juge a organisé la protection et l'hébergement d'un témoin clé  en demandant l'aide de fonctionnaires de la Mission de l'Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (MONUC). Dans quelques autres cas, des juges et des procureurs ont utilisé leurs fonds personnels pour payer l'hébergement des victimes ou leur transport en toute sécurité  jusqu'au tribunal. Mais ce soutien relève de l'improvisation et les fonctionnaires des tribunaux n'ont pas de fonds propres.

D'ordinaire, les quelques mesures de protection qui existent sont mises en œuvre par des groupes de la société civile congolaise et des organisations internationales qui s'efforcent de combler les insuffisances du système. Mais sans contrat formalisé faisant appel à ces groupes pour la fourniture de ces services, et sans une formation, sans fonds et sans coordination, y compris la mise en place des meilleures pratiques et autres mesures en vue de minimiser les risques pour les acteurs de la société civile, de telles initiatives relèveront toujours du domaine de l'improvisation et il est peu probable qu'elles puissent être appliquées systématiquement lors de tous les procès.

Absence de soins médicaux et psychologiques

A ce jour, il est demandé à toutes les victimes de violences sexuelles de fournir un certificat médical au tribunal, spécifiant ce qui peut être confirmé médicalement du viol. En principe ces certificats doivent être délivrés gratuitement mais il arrive que les victimes aient à payer pour les obtenir. Contrairement aux dispositions de la loi, les tribunaux ne prennent en charge que rarement, pour ne pas dire jamais, le traitement médical des victimes dont les affaires passent en jugement. Il arrive que des victimes de violences sexuelles bénéficient de soins de santé gratuits proposés par certains organismes de santé aux victimes de violences sexuelles, généralement avec le soutien de donateurs internationaux. D'autres doivent payer leur traitement.

Les tribunaux ne proposent pas de soutien psychologique aux victimes de violences sexuelles, malgré les dispositions de la loi sur les violences sexuelles. Si les victimes bénéficient d'un tel soutien, c'est souvent grâce à des ONG congolaises, des ONG internationales ou d'autres agences de ce type. Il est nécessaire de renforcer les capacités dans le domaine du soutien psychologique ; le Congo n'a que peu de psychologues et encore moins de pédopsychologues.

Accompagnement

A l'heure actuelle, les tribunaux n'affectent pas un travailleur social permanent qui aurait pour mission d'accompagner l'enfant et sa famille avant, pendant et après le procès. Ce n'est certes pas une obligation légale, mais un tel accompagnement fournirait aux enfants et à leurs familles un soutien moral ainsi qu'une aide pratique et des informations. Il est très rare que des enfants reçoivent des explications des fonctionnaires de justice à propos du procès sous une forme qui leur convienne, et personne n'aide les parents à appréhender le processus juridique. Il arrive que des parents engagent des poursuites judiciaires parce qu'ils espèrent obtenir de l'aide pour payer les factures du médecin ou recevoir des indemnités.[10] S'ils n'ont aucune idée de ce qui peut ressortir d'un, les victimes et leurs parents risquent fort d'être déçus et d'être confrontés à un nouveau traumatisme. Lorsqu'ils décident de poursuivre une affaire, les avocats devraient garantir que c'est dans l'intérêt supérieur de l'enfant.

Les effets traumatiques de la démarche du procès sont apparus très clairement pendant l'un des premiers procès pour viol contre un soldat en juin 2003 à Bukavu, dans l'est du Congo. L'accusé appartenait à un groupe rebelle, le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma), et la victime était une fillette de huit ans, Lisette (son nom a été changé dans cet article pour protéger son identité).[11] Le procès qui était public attirait beaucoup d'attention au niveau local ; une ONG a même filmé les audiences. Lisette, déjà traumatisée par le viol, avait du mal à faire face au procès. Il n'y avait personne pour informer la fillette ou ses parents sur la procédure juridique ou pour aider la fillette à surmonter son traumatisme. Son père se souvient de ce que Lisette ressentait devant la salle du tribunal pleine à craquer et bruyante, et en présence de plusieurs caméras :

Elle était terrifiée... Chaque fois qu'on lui posait une question, elle me regardait. Je lui ai dit de parler plus fort. Mais elle ne voulait pas parler... Quand elle a vu le soldat, elle avait peur de dire quoi que ce soit. Elle est encore traumatisée. Même quand elle voit un soldat dans le voisinage, elle veut s'enfuir.[12]

Lisette n'a pas compris le jugement et a été perturbée par le fait que le soldat soit seulement mis en prison. Elle a déclaré qu'elle souhaitait qu'il soit exécuté. Personne dans le système judiciaire n'a fait le moindre effort pour comprendre son état psychologique ou pour lui apporter un quelconque soutien ou à sa famille. Plusieurs mois après le procès, Lisette semblait toujours être en état de choc.

Audiences à huis clos

Depuis l'adoption de la loi de 2006 sur les violences sexuelles,  lorsque la victime est un mineur, les audiences se déroulent systématiquement à huis clos. Le huis clos protège un enfant jusqu'à un certain point car le public n'est pas admis. Il est peu probable que se reproduise une situation comme celle vécue par la victime mineure de Bukavu en 2003. Les avocats congolais ont salué cette mesure comme une grande avancée.

Toutefois, les jugements prononcés après des audiences à huis clos sont rendus publics et mentionnent le nom de la victime, limitant ainsi les effets de la mesure. De plus, les victimes doivent quand même témoigner et rencontrer l'accusé, ce qui est un moment souvent particulièrement difficile pour l'enfant.

Déplacement et réinstallation, et autres mesures de protection physique

Les tribunaux ne disposent que rarement voire jamais des moyens nécessaires au déplacement et à la réinstallation des victimes afin d'assurer leur sécurité, et il n'y a à l'échelle nationale aucune disposition légale ou cadre pour le faire. En 2007 la Mission de l'Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (MONUC) a créé une Unité de protection afin que des mesures puissent être prises à l'égard des défenseurs des droits humains. Cette unité n'intervient pas pour la majorité des victimes ayant besoin de protection, mais son mandat comprend la protection des victimes de violences sexuelles. Elle a déplacé plusieurs victimes de violences sexuelles qui avaient besoin d'être protégées physiquement, notamment dans le cas de victimes qui avaient reçu des menaces de personnes proches de l'accusé pendant un procès.[13] Dans certains cas particulièrement sérieux, la MONUC réinstalle les victimes ailleurs dans le pays, soit à titre provisoire, soit à titre permanent.

Le mouvement des droits humains est bien organisé au Congo et les informations concernant les attaques contre des civils sont transmises à des organisations qui peuvent intervenir par le biais de ces réseaux. Souvent, les victimes reçoivent aussi un soutien pratique  informel de ces mêmes réseaux. Bien que le recours aux réseaux soit potentiellement en contradiction avec le principe de confidentialité inhérent aux mesures de protection des victimes, la protection ne peut se faire qu'avec la participation d'autres personnes. Toutefois, cela  signifie que les membres de ces réseaux prennent eux-mêmes des risques.

Les enseignements du Tribunal spécial pour la Sierra Leone

Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone a été créé en 2002 en tant que tribunal de juridiction mixte nationale et internationale, suite à un accord entre le gouvernement de Sierra Leone et les Nations Unies, pour engager des poursuites contre les auteurs des crimes graves perpétrés pendant la guerre en Sierra Leone. Le Tribunal a mis en place une Unité d'aide aux victimes et aux témoins qui a pris une série de mesures pour la protection physique et psychologique des victimes et des témoins au titre de la procédure judiciaire globale. Le système de protection des victimes et des témoins a relativement bien fonctionné, malgré quelques points faibles. Son expérience pourrait s'avérer utile au Congo.[14] Mais il ne faut pas oublier que le Tribunal spécial avait beaucoup plus de moyens matériels et financiers que les tribunaux ordinaires du Congo.

Au Tribunal spécial pour la Sierra Leone, l'identité de nombreux témoins et victimes n'était pas rendue publique ; ces derniers faisaient leur déposition derrière un paravent, sauf demande spéciale de leur part. Certains témoins ont pu parler au tribunal par le biais de matériel de déformation de la voix mais d'autres n'ont pas pu et il est possible qu'ils aient été reconnus à leur voix. A partir du moment où leur identité était révélée à la défense, ou plus tôt si l'un d'eux exprimait des inquiétudes quant à sa sécurité, la plupart des témoins étaient pris en charge et leur sécurité assurée dans des lieux protégés à Freetown. Pendant toute la durée du procès plusieurs dizaines de témoins et leurs familles ont pu bénéficier de cette aide. Afin d'accueillir ces témoins et de garantir la séparation de certains groupes les uns des autres, l'Unité d'aide aux victimes et aux témoins disposait de plusieurs lieux surveillés en permanence pour raisons de sécurité. Les témoins dont la sécurité était considérée comme menacée et dont la déposition était particulièrement importante ont bénéficié d'une protection de longue durée pendant tout le procès. Certains témoins étaient réinstallés dans le pays, dans d'autres pays de la région et, dans certains cas très rares, encore plus loin.[15]

En dépit des mesures de protection et de soutien prises par le tribunal, il y a eu des cas de menaces contre des témoins. Il a été rapporté à Human Rights Watch que certains témoins ont été identifiés et ont été la cible d'intimidations verbales, qu'ils ont été recherchés dans leurs villages, ou ont fait l'objet de menaces plus sérieuses. Dans un cas, un témoin protégé a été agressé verbalement dans l'enceinte même du Tribunal spécial. Des membres de la famille de deux des accusés ont hurlé le nom d'un témoin et des menaces à propos de son témoignage en direction d'un véhicule équipé vitres fumées dans lequel se trouvait ce dernier. On note aussi des cas où des témoins qui avaient été réinstallés hors du pays ont reçu des appels téléphoniques directs des accusés.

Human Rights Watch a appris que le tribunal collaborait avec la police locale pour mettre fin aux menaces généralisées contre les personnes qui témoignaient au Tribunal spécial. Dans le cas de témoins visés à titre personnel, les employés de l'Unité d'aide aux victimes travaillaient à assurer leur sécurité immédiate en faisant appel à la police locale, en envoyant les représentants du tribunal auprès d'eux ou en leur conseillant de quitter la région, selon les circonstances. L'unité effectuait ensuite une enquête sur l'incident, évaluait la situation du point de vue de la sécurité et, le cas échéant, réinstallait le témoin ailleurs. Dans certains cas, le tribunal aurait répondu aux menaces en supprimant les privilèges des détenus.[16]

Lorsqu'ils étaient à Freetown, les témoins bénéficiaient d'autres services importants destinés à assurer leur bien-être, notamment de soins médicaux et d'un soutien psychologique s'ils le souhaitaient. Ils avaient aussi une séance de préparation à la procédure en salle d'audience durant laquelle ils pouvaient voir les lieux et participer à une simulation d'interrogatoire. Le personnel de l'Unité d'aide aux victimes évaluait l'état des témoins et, le cas échéant, conseillait au Procureur de ne pas faire appel à un témoin donné s'il semblait que cela puisse lui être néfaste.[17] Les entretiens avec 200 victimes et témoins (dont 16 adultes victimes de violences sexuelles) au Tribunal spécial pour la Sierra Leone montrent que les victimes et les témoins avaient apprécié l'attitude sympathique et chaleureuse du personnel juridique, médical, des psychologues et du personnel de soutien. Cette attitude positive a été décrite comme l'une des expériences les plus importantes pendant le procès. Pour la plupart, les victimes interrogées avaient senti que la présence d'une personne de confiance prête à les soutenir pendant le procès les avait aidées à supporter la situation. Elles avaient particulièrement apprécié l'aide pratique et les conseils fournis par les avocats,  notamment à l'occasion de la discussion de leur déposition, les explications sur le processus juridique et ce qui se passe dans la salle d'audience ainsi que les explications concernant l'interrogatoire et la manière de répondre. Les victimes étaient moins satisfaites de la phase qui a suivi le procès durant laquelle le tribunal ne communiquait avec eux que de façon irrégulière et n'assurait aucun suivi.[18]

L'expérience au Congo de la Cour pénale internationale

La Cour Pénale Internationale (CPI), basée à La Haye, mène actuellement trois enquêtes au Congo et elle a commencé le premier procès découlant de ces enquêtes en janvier 2009. La CPI a mis en place des systèmes de protection et d'aide, mais ils demandent à être développés et étendus, en particulier une fois qu'ils auront été testés lors du premier procès. De même qu'avec le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, il y a des différences importantes entre la CPI et le système judiciaire congolais, notamment le niveau de ressources et les installations disponibles, le champ d'application et la forme des poursuites. Mais en plus des enseignements généraux qui peuvent être tirés des programmes et pratiques du tribunal de la Haye, l'expérience directe de la CPI au Congo peut ouvrir des perspectives importantes.

En dehors de la salle d'audience, les mesures mises en œuvre par l'Unité des victimes et des témoins comprennent un programme de déplacement et de réinstallation et un système de réaction immédiate aux menaces présentant un caractère d'urgence. L'Unité des victimes et témoins propose un soutien psychologique et d'autres formes d'aide aux personnes, notamment à celles qui font partie du programme de réinstallation ou qui doivent comparaître. Dans la salle d'audience, la Chambre de première instance peut prendre une série de mesures, notamment opter pour des séances à huis clos, autoriser un psychologue, un membre de la famille ou tout autre personne à assister à la déposition d'un témoin et à suivre l'interrogatoire. L'Unité des victimes et des témoins a également mis au point un programme qui permet de familiariser les témoins avec le travail de la CPI avant leur déposition.[19]

Lors de la mise en place du programme de réinstallation et du système de réaction en urgence, la CPI a travaillé directement avec des partenaires locaux au Congo. Parmi eux se trouvent des partenaires qui ont la capacité d'intervenir et d'extraire une personne pour la mettre en lieu sûr en cas de menace immédiate. La CPI a aussi cherché à travailler par le biais de réseaux de partenaires locaux pour fournir de l'aide aux personnes qui font partie des programmes de réinstallation.[20] L'expérience de la CPI en matière de mise en place et gestion de ces programmes pourrait être utile aux autorités congolaises qui essaient de procéder de la même façon. En outre, les professionnels de la protection de la CPI ont une grande expérience dans l'évaluation du niveau de danger dans les régions du Congo où la CPI mène des enquêtes.[21] S'il est clair que ces évaluations portent spécifiquement sur des menaces en rapport avec le travail de la CPI, les personnels de protection de la CPI seraient sans doute à même de transposer l'évaluation du risque pour leurs homologues congolais.

Il y a encore d'autres domaines où l'expérience de la CPI au Congo pourrait être pertinente pour les autorités congolaises qui cherchent à améliorer la protection et l'aide aux victimes de crimes. Le bureau du procureur de la CPI a adopté plusieurs stratégies destinées à minimiser les risques posés par les enquêtes et les poursuites, notamment en limitant le nombre de témoins nécessaires pour instruire une affaire et en soumettant les témoins et victimes mineures de crimes sexuels à une évaluation psychosociale obligatoire par le biais de son Unité Genre et enfants avant de commencer à les interroger.[22] Ces stratégies s'appliquent au travail de la Cour dans plusieurs situations propres à certains pays, des enseignements pourraient être tirés de l'application de ces stratégies au Congo. Un retour de la part des autorités congolaises pourrait aussi servir à améliorer les programmes de la CPI.

Recommandations

A l'Assemblée nationale du Congo :

  • Adopter la législation d'application de la Cour pénale internationale qui comporte des dispositions fortes pour la protection des victimes et des témoins.

Au ministère de la Justice du Congo :

  • Mettre en place un système de justice pénale qui se concentre sur les besoins des victimes et des témoins durant tout le processus judiciaire.
  • Lancer un programme de protection des témoins et des victimes, dirigé par un haut fonctionnaire du ministère de la Justice et doté de personnel et de fonds afin d'aider les tribunaux à l'appliquer. Ce programme comprendrait les mesures de protection décrites ci-dessous.

Aux cours congolaises (civiles et militaires) :

  • Désigner pour chaque enfant, dont le viol fait l'objet d'une enquête ou de poursuites, une personne qui l'accompagnera dans ses démarches. Ces chargés de dossier devront fournir aux enfants des informations sur le procès compréhensibles pour leur âge, ils devront soutenir l'enfant et être à l'écoute de ses inquiétudes. Le chargé de dossier devra aussi informer les parents ou personnes responsables de l'enfant du déroulement du procès et intervenir s'il pense qu'un procès n'est pas dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Les chargés de dossier seront recrutés et employés par les tribunaux et financés par le programme de protection des victimes et des témoins.
  • Offrir aux enfants victimes de violences sexuelles des soins médicaux complets et gratuits ainsi qu'un soutien psychologique. Si le tribunal ne paie pas ces frais, le chargé de dossier fera en sorte que chaque enfant ait accès à des soins médicaux et un soutien psychologique.
  • Prendre les mesures de protection qui s'imposent avant, pendant et après le procès pour les victimes mineures dont la sécurité physique ne peut pas être garantie. Cela pourrait impliquer, entre autres, mais sans caractère limitatif, des mesures de réinstallation, de préférence à l'intérieur du Congo. Renforcer le huis clos en ne divulguant pas le nom de la victime dans le jugement qui, lui, est rendu public.
  • Recourir à des enregistrements vidéo plutôt qu'un interrogatoire dans la salle d'audience en cas de traumatisme grave d'une victime mineure. Une telle mesure permet d'éviter une confrontation directe entre la victime et l'accusé, et limite le stress infligé à la victime.
  • Recourir à des personnes de confiance pour surveiller le bien-être des victimes, y compris après le procès.
  • Prendre des mesures pour protéger les défenseurs des droits humains et autres personnes qui assurent la sécurité des victimes.
  • Formaliser et coordonner les relations avec les ONG congolaises qui jouent un rôle prépondérant dans la mise en œuvre de mesures destinées à la protection des témoins et des victimes. Faire en sorte que des dispositions soient prises pour réduire au minimum les risques encourus par les ONG et leurs représentants lorsqu'ils prennent cette responsabilité.
  • Mettre au point une stratégie à long terme et complète pour la protection des victimes mineures. Si la MONUC, les ONG et autres acteurs sont à même d'appliquer cette stratégie, la branche judiciaire du gouvernement doit jouer un rôle de coordination et préparer un plan prévoyant ce qui se passera lorsque la MONUC quittera le pays.
  • S'assurer que les victimes mineures reçoivent un certificat médical concernant le crime ; ce certificat sera délivré par un médecin compétent, sans difficultés et gratuitement.
  • S'entretenir avec les enfants tant au début de l'enquête que par la suite en étant attentif et chaleureux. Dans la salle d'audience, le juge ou la défense poseront leurs questions en respectant la sensibilité des enfants. Le personnel de justice évitera de multiplier les entretiens avec les victimes.
  • Dans la mesure du possible, faire en sorte que les procès ne durent pas trop longtemps, ce qui entamerait l'endurance et la patience des jeunes victimes.
  • Appliquer les mesures légales en vigueur de protection des victimes et des témoins. En particulier, les accusés ou leurs proches devront faire l'objet de poursuites s'ils menacent ou s'ils attaquent les victimes ou font entrave à la justice.
  • Mettre au point des mesures de protection spéciales pour les affaires très sensibles, notamment celles qui mettraient en cause des (anciens) officiers supérieurs de l'armée ou des chefs rebelles. Si une chambre mixte était créée pour la poursuite de crimes de guerres et de crimes contre l'humanité au Congo, un tel mécanisme exigerait une politique ferme de protection des victimes et des témoins.

Aux bailleurs de fonds internationaux et aux agences, notamment le programme REJUSCO, aux initiatives des États membres de l'UE et des États-Unis :

  • Fournir une expertise technique et un soutien financier pour la protection des témoins et des victimes dans le cadre de mesures énoncées plus haut.

A la mission de l'ONU au Congo (MONUC) :

  • Étendre le programme de protection et fournir une assistance technique et pratique aux cours de justice pour qu'elles puissent appliquer les mesures de protection.

A la Cour Pénale Internationale (CPI) :

  • Partager son expertise et ses meilleures pratiques de protection des victimes et des témoins avec les cours de justice congolaises et leur fournir une assistance technique et pratique pour qu'elles puissent appliquer les mesures de protection.


[1] En vertu du droit international, toute personne âgée de moins de 18 ans est mineure.

[2] Loi 06/019 qui modifie et complète le Code de procédure pénale congolaise, 20 juillet 2006.

[3] Convention relative aux droits de l'enfant, Rés. AG 44/25, annexe, 44 UN Supp.AGDO (N° 49) à 167,  UN Doc. A/44/49 (1989), entrée en vigueur le 2 septembre 1990, ratifiée par le Congo en 1990 ; Statut de Rome de la Cour pénale internationale (Statut de Rome), UN Doc. A/CONF.183/9, 17 juillet 1998, entrée en vigueur le 1er juillet 2002, ratifiée par le Congo en 2002 ; Déclaration sur les Principes Fondamentaux de Justice pour les Victimes de Crimes et d'Abus de pouvoir de l'ONU, Rés. AG   40/34, U.N. Doc. A/RES/40/34, 29 novembre 1985. En outre, l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), en partenariat avec l'UNICEF, a mis au point une loi modèle destinée à protéger et soutenir les mineurs victimes de crimes, inspirée des Lignes directrices en matière de justice dans les affaires concernant les enfants victimes et témoins d'actes criminels du Conseil économique et social des Nations Unies. Voir ONUDC et UNICEF, Justice in Matters involving Child Victims and Witnesses of Crime: Model Law and Related Commentary, 2009, http://www.unodc.org/documents/justice-and-prison-reform/UNODC_UNICEF_Mo... (site visité le 22 septembre 2009).

[4] Human Rights Watch, Seeking Justice: The Prosecution of Sexual Violence in the Congo War, vol. 17, no. 1(A), March 2005, https://www.hrw.org/sites/default/files/reports/drc0305.pdf; Human Rights Watch, Les soldats violent, les commandants ferment les yeux  Violences sexuelles et réforme militaire en RD Congo, ISBN 1-56432-511-3, juillet 2009, https://www.hrw.org/fr/reports/2009/07/16/les-soldats-violent-les-command....

[5] Entretien de Human Rights Watch avec le père de la victime (en présence de la victime), Goma, 25 septembre 2009 ; entretien de Human Rights Watch avec un membre d'une ONG locale, Goma, 25 septembre 2009.

[6] On trouvera un bref résumé du syndrome traumatique de viol dans Droits et Démocratie, Documenter les violations des droits humains par des agents de l'État : la violence sexuelle (Montréal : Droits et Démocratie 1999), pp. 23-26), http://www.dd-rd.ca/site/publications/index.php?subsection=catalogue&lan... (site visité le 14 septembre 2009).

[7] Renee Z. Dominguez, Connie F. Nelke, and Bruce D. Perry, "Child Sexual Abuse," dans David Levinson, ed., Encyclopedia of Crime and Punishment (Thousand Oaks: Sage Publications, 2002), vol. 1, http://www.childtrauma.org/CTAMATERIALS/sexual_abuse.asp (site visité le 14 septembre 2009), pp. 202-207.

[8] Renee Z. Dominguez, Connie F. Nelke, et Bruce D. Perry, "Child Sexual Abuse," dans David Levinson, ed., Encyclopedia of Crime and Punishment.

[9] Petra Joosse, "Prevalence of severe clinical symptoms of posttraumatic stress in a war-affected population," Medair, Bunia, 2006, (Document archivé à Human Rights Watch).

[10] Entretien de Human Rights Watch avec le père de la victime, Bukavu, 16 octobre 2003.

[11] Human Rights Watch, Seeking Justice.

[12] Entretien de Human Rights Watch avec le père de la victime, Bukavu, 16 octobre 2003.

[13] Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec un fonctionnaire des Nations Unies, le 11 septembre 2009.

[14] Human Rights Watch, Justice in Motion. The Trial Phase of the Special Court for Sierra Leone, vol. 17, N°. 14(A), Novembre 2005, https://www.hrw.org/sites/default/files/reports/sierraleone1105wcover.pdf; Special Court for Sierra Leone, "Best Practice Recommendations for the Protection & Support of Witnesses: An Evaluation of the Victim and Witness Section," 2008, http://www.sc-sl.org/LinkClick.aspx?fileticket=0LBKqqzcrMc%3d&tabid=176 (site visité le 14 septembre 2009).

[15] Human Rights Watch, Justice in Motion.

[16] Human Rights Watch, Justice in Motion.

[17] Human Rights Watch, Justice in Motion.

[18] Special Court for Sierra Leone, "Best Practice Recommendations".

[19] Voir Human Rights Watch, Une Cour pour l'Histoire :Les premières années de la Cour pénale internationale à l'examen, 1-56432-359-5 , juillet 2008, https://www.hrw.org/fr/reports/2009/01/07/une-cour-pour-l-histoire.

[20]  Ibid., pp. 152-53, 156.   

[21] Ibid., pp. 159-60.

[22] Ibid., p. 154.  

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