(New York) - La délivrance par la Cour pénale internationale d'un mandat d'arrêt contre le président du Soudan Omar el-Béchir démontre que même les personnes haut placées peuvent avoir à répondre de massacres, viols et actes de tortures dont ils seraient responsables, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les juges de la CPI ont approuvé le mandat d'arrêt à l'encontre d'el-Béchir, premier chef d'Etat en exercice ainsi mis en cause par la Cour, pour son rôle dans l'organisation de violentes opérations de contre-insurrection au Darfour. El-Béchir est accusé de crimes contre l'humanité et crimes de guerre.
« Ce mandat d'arrêt délivré par la Cour pénale internationale est l'équivalent d'un avis de recherche visant el-Béchir », a déclaré Richard Dicker, le directeur du programme Justice internationale au sein de Human Rights Watch. « Même les chefs d'Etat ne sont pas assurés d'être au-dessus de la loi pour des crimes atroces. Ce mandat d'arrêt signifie que le Président el-Béchir doit répondre des horreurs commises au Darfour, et infirme les démentis répétés de Khartoum quant à sa responsabilité. »
La cour n'a pas confirmé les trois chefs d'accusation pour génocide requis par le procureur de la CPI. Pour pouvoir parler de génocide, il faut qu'il soit prouvé que les crimes ont été commis précisément « dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux » sur la seule base de son identité.
« Le génocide est toujours un crime extrêmement difficile à prouver », a expliqué Richard Dicker. « Mais le président el-Béchir est loin d'être tiré d'affaire, puisqu'il est accusé de crimes contre l'humanité ainsi que de crimes de guerre, dont de nombreux cas de viols, meurtres et tortures commis dans le cadre d'un plan gouvernemental. »
Selon le statut de la CPI, le procureur, s'il obtient des preuves pour appuyer l'accusation, a la possibilité de réclamer un amendement au mandat d'arrêt afin d'y inclure le génocide.
Le 14 juillet 2008, le procureur de la CPI avait requis la délivrance d'un mandat d'arrêt contre Omar el-Béchir. Après cette requête, les responsables du gouvernement soudanais avaient implicitement mais aussi explicitement menacé de représailles les forces internationales pour le maintien de la paix ainsi que les travailleurs humanitaires. Le 25 juillet dernier, Bona Malwal, conseiller du président soudanais, a déclaré au sujet des forces du maintien de la paix : « Le monde doit savoir que suite à la mise en accusation de notre président, nous ne pouvons plus être responsables de la sécurité des forces étrangères au Darfour. » Le président el-Béchir a également menacé d'expulser les forces internationales pour le maintien de la paix si un mandat était délivré.
Le Conseil de sécurité de l'ONU, ses Etats membres, le secrétariat de l'ONU, l'Union Européenne et l'Union Africaine ont chacun un rôle crucial à jouer pour répondre rapidement aux éventuelles représailles gouvernementales au Darfour suite à la délivrance du mandat d'arrêt.
« Le gouvernement soudanais a l'obligation de garantir la sécurité dans le pays et le Conseil de sécurité devrait l'inciter de manière décisive à remplir cette obligation », a affirmé Richard Dicker. « On ne devrait pas permettre à Khartoum de se servir du mandat d'arrêt comme prétexte pour multiplier ses pratiques d'obstruction aux efforts fournis par les forces du maintien de la paix et les travailleurs humanitaires au Darfour. »
Une résolution du Conseil de sécurité oblige le gouvernement du Soudan à faciliter le déploiement de la Mission des Nations Unies et de l'Union Africaine au Darfour (MINUAD) et à coopérer avec la CPI. Conformément au droit international, le Soudan a l'obligation de protéger ses civils et d'autoriser un accès complet, sans danger et sans encombre au personnel venant en aide à ceux qui en ont besoin. Le mandat d'arrêt ne modifie ni ces obligations, ni les engagements de Khartoum à appliquer l'accord de paix global signé en 2005 avec le gouvernement du sud Soudan.
« Le Conseil de sécurité et les gouvernements concernés devraient imposer des sanctions ciblées contre les officiels soudanais responsables de toutes représailles violentes, et envisager de prendre d'autres mesures telles que d'imposer davantage de restrictions bancaires ou de renforcer l'embargo sur les armes », à déclaré Richard Dicker.
La CPI est une institution judiciaire indépendante. Bien que le Soudan ne soit pas partie au Traité de Rome qui a établi la CPI, il est soumis à la compétence de cette dernière par l'intermédiaire de la résolution du Conseil de sécurité. Selon le statut de la CPI, la qualité officielle d'un chef de l'Etat en exercice n'accorde pas l'immunité face à la responsabilité pénale.
Outre le mandat d'arrêt contre le président el-Béchir, la CPI a délivré deux autres mandats en relation avec le Darfour. Le 27 avril 2007, la Cour a lancé des mandats d'arrêt contre Ahmed Haroun, le ministre d'état soudanais aux Affaires humanitaires, et contre Ali Kosheib, chef d'une milice « Janjawid ». Le procureur a également réclamé des mandats d'arrêt contre trois chefs rebelles, auteurs présumés d'attaques contre les soldats du maintien de la paix à Haskanita en octobre 2007. Cette requête est actuellement examinée par la Cour.
À ce jour, le Soudan refuse de coopérer avec la CPI. Aucune suite n'a été donnée aux mandats d'arrêt déjà émis. Haroun conserve son poste officiel de ministre aux Affaires humanitaires. Le 24 novembre, accusés d'avoir fourni des informations à la CPI, trois défenseurs des droits humains ont été arrêtés et torturés par le gouvernement soudanais.
« Khartoum doit coopérer avec la Cour », a conclu Richard Dicker. « Ne disposant pas de forces de police propres, la CPI a besoin d'un soutien fort de la part des gouvernements pour s'assurer que tous ceux qui sont accusés de crimes soient arrêtés. »
Contexte
Conformément à la résolution du 31 mars 2005, le Conseil de sécurité a déféré la situation au Darfour au procureur de la CPI pour enquête et inculpation. Cette décision a été prise en conformité avec la recommandation d'une commission d'enquête internationale. Cette dernière a jugé que des violations du droit international humanitaire et relatif aux droits humains continuaient d'être commises au Darfour et que le système judiciaire soudanais n'avait pas la volonté et était dans l'incapacité de s'attaquer à ces crimes. La situation au Darfour est la première à avoir été déférée à la CPI par le Conseil de sécurité.