Publié dans Le Temps
Depuis l'accession de Barack Obama à la Maison-Blanche, beaucoup se demandent quel sera le sort réservé aux droits de l'homme. Huit ans de «bushisme» ont transformé la vision que les défenseurs des droits humains avaient des Etats-Unis. Directeur exécutif de Human Rights Watch depuis 1993, Kenneth Roth confie ses espoirs et ses craintes.
Le Temps: Quel changement va apporter l'administration de Barack Obama en matière de droits
de l'homme?
Kenneth Roth: La présidence de George W. Bush fut un désastre en matière de droits humains. Barack Obama a déjà commencé à changer de cap. Il y a quelques jours, le président américain a, contrairement à son prédécesseur, interdit à la CIA d'utiliser certaines techniques d'interrogation de terroristes présumés. Il vient d'exprimer sa volonté de fermer les commissions militaires dans un délai de 120 jours. Quant au camp de Guantanamo, il veut le fermer en l'espace d'un an. La question est de savoir comment.
- Que recommandez-vous?
- Il était question, jusqu'ici, de deux solutions: soit on juge tous les détenus de Guantanamo, soit on les libère. Mais, maintenant, une troisième option se fait jour: certains pensent qu'il faudrait transférer Guantanamo aux Etats-Unis. Cette solution serait une catastrophe, et nous exhortons l'administration Obama à la rejeter.
- La communauté internationale doit-elle aider la Maison-Blanche
à fermer Guantanamo?
- Quand George Bush était encore au pouvoir, la prison de Guantanamo était le problème de son administration. Avec l'avènement de Barack Obama, Guantanamo est le problème de tous. Si on maintient ce camp ouvert, on contribue à créer de nouvelles générations de terroristes. Les autres Etats et l'Europe doivent donc aider Barack Obama. Je suis très content de voir que la Suisse se dit prête à coopérer.
- La fermeture de Guantanamo est-elle suffisante pour tirer un trait sur huit ans de sape des droits
de l'homme?
- Non. C'est pourquoi Human Rights Watch appelle à créer une commission vérité pour examiner exactement ce qui s'est passé dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. La création d'une telle institution peut aider à ne pas répéter cet horrible chapitre de l'histoire des droits de l'homme aux Etats-Unis. Mais Barack Obama n'en veut pas. Pour lui, il faut se tourner vers l'avenir. C'est une erreur de vouloir mettre sous le tapis les pratiques passées. On prend le risque de créer un précédent. Le jour où les Etats-Unis seront à nouveau confrontés à une menace très sérieuse, le danger est qu'on retombe dans les travers de l'ère Bush.
- Quel autre changement prônez-vous?
- Au plan bilatéral, George Bush a apporté son soutien inconditionnel à des Etats qui ont violé massivement les droits de l'homme: l'Ethiopie, l'Arabie saoudite, l'Egypte, l'armée pakistanaise ou encore Israël. J'espère que Barack Obama ne se contentera pas d'élaborer une stratégie commune de ce type pour combattre le terrorisme, mais qu'il va aussi défendre les droits de l'homme dans un respect mutuel. J'ai l'impression que la Maison-Blanche a, ces dernières années, promu des dictatures pour détourner les critiques relatives à ses propres pratiques.
- Et au plan multilatéral?
- Barack Obama veut donner un signal fort, montrer que les Etats-Unis veulent désormais coopérer. L'une des manières de le faire serait de signer à nouveau le Statut de Rome (Bill Clinton l'avait signé avant que George Bush ne retire la signature). Cela mettrait un terme au djihad américain contre la Cour pénale internationale et montrerait que Washington souhaite le bien de l'institution. Par ailleurs, même si certains Américains en souhaitent la destruction, les Etats-Unis doivent faire acte de candidature au Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Cela pourrait se décider en février. Barack Obama peut ainsi rompre avec le statut d'exception fabriqué par Bush et réintégrer le concert des nations.