Excellences,
Nous, les représentants des organisations non-gouvernementales congolaises au Nord Kivu, venons auprès de votre haute autorité pour vous demander de renforcer immédiatement les forces de maintien de la paix en République démocratique de Congo, un renfort capable de nous protéger. Ceci pour accroître la capacité d'arrêter les atrocités qui continuent d'être commises de plus en plus à grande échelle contre les civils ici chez nous au Nord Kivu (RDC), faisant frontière avec le Rwanda et l'Ouganda.
Voici ci-dessous présenté un tableau triste, cynique, tragique, et très frustrant qui peint la situation de misère dans laquelle baigne la population du Nord Kivu. Nous sommes devenus anxieux, craintif, et complètement traumatisé par le rythme de l'insécurité ici chez nous. Nous ne savons à quel saint nous vouer car nous sommes condamnés à mourir suite aux exactions et aux multiples déplacements auxquels nous sommes soumis. Nous sommes abandonnés. Qui va nous protéger? Qui va nous assister? Les Nations Unies disent que toutes les personnes sont nées libres et égales dans leur dignité et leurs droits, mais notre dignité et nos droits sont violés chaque jour avec presque aucun cri de protestation. Est-ce que nous ne méritons pas la protection? Est-ce que nous ne sommes pas égaux aux autres?
Depuis le 28 août dernier les combats se sont intensifiés dans beaucoup des localités entraînant des tueries, des viols, des pillages, des recrutements forcés et de nouveaux déplacements des populations civiles. Ainsi la population a été plongée dans une misère indescriptible. Ces derniers jours les combats se sont approchés des grandes agglomérations comme la ville de Goma et ont envahi et déchiré le territoire de Rutshuru, en particulier la cité de Kiwanja où les morts civiles se comptent aujourd'hui par centaines.
La misère a trop duré pour les populations du Nord-Kivu et il est grand temps que le gouvernement et la communauté internationale protègent les populations civiles victimes des atrocités de combat.
Nous sommes conscients que lors de passage des plusieurs officiels de haut niveau cette année, vous et vos représentants avez recueilli bon nombre de témoignages vivants qui ne peuvent vous laisser insensibles vis-à-vis du drame que traverse la population de notre partie de la RDC.
Les différentes réunions diplomatiques et politiques organisées au courant des dernières semaines nous ont montré votre intérêt à trouver une solution urgente et durable susceptible d'asseoir la paix au Nord Kivu qui impliquerait la stabilité dans toute la région des Grands Lacs. Parmi les avancés le plus remarquables, nous notons l'implication directe du Rwanda dans la recherche d'une solution durable à la crise.
Tout en vous remerciant pour les différentes visites de réconfort et de vos préoccupations sur le drame ici à l'est du Congo, nous vous exhortons à passer de la théorie à la pratique en traduisant en actions vos aimables discours et messages. La diplomatie prend toujours du temps, et nous la comprenons, mais hélas nous n'avons pas de temps. La population du Nord Kivu est en risque aujourd'hui et chaque jour qui passe, plusieurs personnes meurent.
Depuis déjà plus de trois décennies, l'est du Congo est en guerre et les plus grandes victimes de cette guerre sont les civils, surtout les femmes et les enfants. Il y a eu beaucoup de tentatives d'apporter des solutions à la crise de l'est, mais sans succès. La dernière initiative en date est l'Acte d'Engagement de Goma signé par tous les belligérants en janvier 2008. Mais aujourd'hui, cela n'est plus respecté. Au lieu de la paix, on assiste à la continuation et à l'exacerbation des combats.
Ces derniers jours le territoire de Rutshuru est en proie à des hostilités. La ville de Kiwanja a été prise et reprise par le CNDP et c'est la population qui paie le prix. Nous assistons à un drame jamais vu et jamais entendu au monde où des populations civiles sont sommairement exécutées par balles ou à coups de machettes, de couteaux, de houes et de lances. Les cadavres jonchent les rues de la cité et les odeurs de cadavres en putréfaction accueillent tout passant. Signalons en passant que le nombre de cadavres déjà découverts n'est pas définitif car les fouilles se poursuivent et aux dernières nouvelles, d'autres cadavres sont enfermés dans des maisons ou plongés dans des latrines.
Pendant que l'armée de conquête de Laurent Nkunda conquière progressivement de nouvelles localités, l'armée congolaise prend fuite et dans sa fuite elle se livre aux tueries, au pillage, au viol et au vol créant ainsi le chaos et la débandade totale partout où elle passe. C'est le cas dans la ville de Goma, où plus de 20 civils ont été tués, plusieurs femmes violées, et des biens de valeur extorqués le 29 octobre dernier. À partir de la semaine passée, les localités de Kanyabayonga, Kirumba et Kayna sont envahies presque de la même manière qu'à Goma par les militaires FARDC qui fuient les combats.
Le recrutement forcé a pris une ampleur plus grave. Dans plusieurs localités de Rutshuru et Masisi, les groupes armés, en particulier le CNDP, passent de porte à porte pour forcer les jeunes garçons et les adultes - entre 14 et 40 ans - à aller au front sans formation militaire préalable. Pendant la semaine dernière, il y a des rapports attestant le recrutement des centaines des civils par force par le CNDP, surtout à Kitchanga, Kiwanja, Rutshuru, et Rubare.
Dans tous le cas, nous la population civile sommes prise en otage et attrapée entre plusieurs feux.
Les femmes sont comptées parmi les premières victimes. La violence sexuelle s'est gravement accentuée depuis la fin du mois d'août où les forces et les groupes armés réduisent les femmes à un champ de bataille.
Face à ses sentiments d'abandon à travers la population, le réflexe populaire d'autodéfense dont on ne connaît pas les limites est en train de prendre place. C'est le cas de Mai Mai à Kiwanja et sur l'axe Kanyabayonga.
La MONUC fait preuve d'insuffisance dans le respect de son mandat, celui de protéger les civils, au su et au vu du monde entier sans action concrète. Elle assiste, impuissante, à toutes les atrocités commises par les groupes et les forces armés. Parfois ses interventions avèrent tardives si pas inefficaces. Nous ne pouvons donc pas continuer à compter sur la MONUC pour nous protéger. Le cas de Kiwanja où les civils sont, au jour le jour, massacrés non loin de la base de la MONUC est frappant.
Nous vous demandons avec urgence de nous assister en ce moment très difficile. C'est absolument clair pour n'importe qui que nous avons besoin d'un renforcement de troupes capables de protéger effectivement et efficacement les civils tout en ayant des moyens pour faire face à une quelconque force d'agression. Et il faut que ça se passe rapidement.
Par conséquent, nous vous recommandons avec insistance à:
- Envoyer immédiatement les troupes européennes qui peuvent se déployer rapidement pour fournir la protection et la sécurité aux civils comme vous avez fait avec nos frères et soeurs à Bunia, Ituri, en juin 2003.
- Augmenter le nombre des troupes de la MONUC et lui donner un mandat qui lui permettra de protéger suffisamment les civils et d'en faire leur première priorité.
Vos Excellences, c'est le moment de sauver nos vies sinon il sera trop tard pour le regretter.
Veuillez agréer, Excellences, nos salutations distinguées.
Les représentants de 44 ONG congolaises au Nord Kivu :
- Action de Promotion et d'Assistance pour l'Amélioration du Niveau des Vies des Populations (APANIVIP)
- Action Paysanne pour la Reconstruction et le Développement Communautaire Intégral (APREDECI)
- Action pour la Promotion de la Participation Citoyenne - Nord Kivu (APPC/NK)
- Action pour la Promotion et la Défense des Droits des Personnes Défavorisées (APRODEPED)
- Action Sociale pour la Paix et le Développement (ASPD)
- Africa Justice Peace and Development (AJPD)
- Blessed Aid
- Bureau d'Information, Formation, Etude et Recherche en Développement (BIFERD)
- CADRE
- Campagne Pour la Paix (CPP)
- Centre d'Observation des Droits de l'Homme et d'Assistance Sociale (CODHAS)
- Centre de Recherche sur l'Environnement, la Démocratie et les Droits de l'Homme (CADERCO)
- Centre de Recherche sur l'Environnement, la Démocratie et les Droits de l'Homme (CREDDHO)
- Centre pour la Paix et les Droits de l'Homme - Peace and Human Rights Center (CPDH-PHRC)
- CEREBA/RDC
- Change Agents Peace Program (CAPP)
- Coalition pour mettre fin a l'utilisation d'enfants soldats en RDC /Coalition to Stop the Use of Child Soldiers in DRC
- CODHOP
- Collectif des Associations des Femmes Pour le Développement (CAFED)
- Collectif des ONG de Droits de l'Homme (CODHO)
- Collectif des Organisations des Jeunes Solidaires du Congo (COJESKI)/ Nord Kivu
- Conseil Régional des Organisations Non Gouvernementales de Développement (CRONGD)
- COPADI
- Encadrement des Femmes Indigènes et des Ménages Vulnérables (EFIM)
- GAMAC
- Group d'Etudes et d'Actions Pour un Développement Bien Défini (GEAD)
- Human Dignity in the World (HDW)
- Platform des Femmes du Nord Kivu pour un Développement Endogène (PFNDE)
- Programme de Lutte Contre l'Extrême Pauvreté et la Misère (PAMI)
- Promotion de la Démocratie et Protection des Droits Humains (PDH)
- Promotion et Appui aux Initiatives Féminines (PAIF)
- Réseau Congolais d'Action sur les Armes Légères et le Petit Calibre (RECAAL)
- Réseau d'Organisations des Droits Humains, d'Education Civique et de Paix (RODHECIP)
- Réseau Femme et Développement (REFED)
- Réseau Provincial des ONG de Droits de l'Homme (REPRODHOC)/Nord Kivu
- SAMS
- Société civile Territoire de Rutshuru
- Solidarité pour la Promotion sociale et la Paix (SOPROP)
- SOS/Grands-Lacs
- Syndicat des Associations Féminines pour un Développement Intégral (SAFEDI)
- Synergie des femmes pour les victimes des violences sexuelles (SFVS)
- Synergie des ONG locales pour les Urgences Humanitaires dans le territoire de Rutshuru
- UPADERI
- Villages Cobaye (VICO)