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Par la présente, nous voudrions exprimer notre inquiétude au sujet de certains éléments du projet de loi relatif « à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile ». Dans sa rédaction actuelle, ledit projet énonce des garanties procédurales qui, aux termes de la Convention relative au statut des réfugiés, sont insuffisantes pour protéger contre un renvoi lorsqu’il existe un risque de persécution.

Par la présente, nous voudrions exprimer notre inquiétude au sujet de certains éléments du projet de loi relatif « à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile ». Dans sa rédaction actuelle, ledit projet énonce des garanties procédurales qui, aux termes de la Convention relative au statut des réfugiés, sont insuffisantes pour protéger contre un renvoi lorsqu’il existe un risque de persécution. Au regard de la Convention contre la torture et de la Convention européenne des droits de l’homme, ces garanties sont également insuffisantes pour protéger contre un renvoi lorsqu’il y a risque de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Nous aimerions attirer votre attention sur ce point dans l’espoir que vous aborderez ce sujet lorsque le projet de loi sera examiné à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Le projet de loi crée un recours suspensif à la frontière contre les décisions de refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile. Un recours suspensif protège le requérant contre tout renvoi jusqu’à ce qu’un juge ait statué sur sa demande. Aux termes de l’article 6 dudit projet, les étrangers qui se verraient refuser l’entrée en France au titre de l’asile disposeraient d’un délai de 24 heures pour présenter au juge administratif compétent une demande de référé-liberté. Pendant cette période, ils ne pourraient faire l’objet d’un éloignement. Bien que l’introduction d’un recours suspendrait alors automatiquement l’application d’une mesure d’éloignement jusqu’à ce que le juge ait statué sur la demande, d’autres aspects de la procédure de requête en référé-liberté demeureraient inchangés. En particulier, la disposition relative au tri des requêtes resterait d’application, disposition qui autorise les juges des référés à rejeter les demandes qu’ils estiment manifestement mal fondées sans tenir d’audience publique.

A nos yeux, les sauvegardes introduites dans la proposition de réforme restent insuffisantes pour répondre à l’obligation qui incombe à la France en vertu du droit international des droits humains de protéger les personnes contre le refoulement. Elles ne sont pas davantage en phase avec le jugement récent émis contre la France par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Gebremedhin c. France. Ce point est important car les changements proposés constituent une réponse aux conclusions de la Cour établissant, en avril 2007, que la France avait violé le droit à un recours effectif d’un demandeur d’asile érythréen placé en zone internationale d’attente à l’aéroport Charles de Gaulle. Le demandeur d’asile s’était vu refuser l’entrée en France, où il souhaitait demander l’asile. La Cour a estimé que le recours dont il disposait pour faire appel de cette décision—le référé-liberté—était inopérant car il n’avait pas d’effet suspensif.

Compte tenu que le but de la nouvelle loi est d’améliorer les garanties procédurales à la lumière du jugement émis dans l’affaire Gebremedhin, les changements proposés suscitent à nos yeux deux préoccupations majeures.

Tout d’abord, les réformes proposées créent un recours restreint présentant des conditions qui risquent d’être difficiles à remplir pour de nombreux demandeurs d’asile. Nous souscrivons à l’opinion experte exprimée sur ce point par des organisations non gouvernementales nationales, l’ANAFE, la CIMADE et l’ACAT. Ces trois organisations ont fait part de leur inquiétude quant au fait que le référé-liberté ne constitue pas un recours effectif pour les demandeurs d’asile placés en zone d’attente. Le délai de 24 heures est trop court eu égard à la complexité de la procédure de demande et aux difficultés pratiques auxquelles sont confrontées ces personnes pour se procurer une assistance juridique. Des demandes incomplètes et remplies à la hâte risquent d’être considérées comme manifestement mal fondées et d’être rejetées lors de l’opération de « tri », laquelle autorise le juge administratif à débouter les demandeurs sans tenir d’audience publique. Cette décision n’est pas susceptible d’appel. Il convient de noter que le référé-liberté de Gebremedhin a été rejeté de cette manière.

Notre seconde préoccupation naît du fait que la réforme n’accorderait le droit à un recours suspensif qu’aux demandeurs d’asile maintenus en zone internationale d’attente et elle priverait de cette garantie fondamentale d’autres catégories de personnes susceptibles de renvoi alors qu’il existe un risque pour leur sécurité. Il s’agit notamment des personnes soupçonnées de terrorisme dont l’éloignement de France a été ordonné par un arrêté ministériel d’expulsion ainsi que des demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée en vertu de la procédure prioritaire. Ladite procédure est utilisée lorsque les demandes sont considérées comme étant manifestement non fondées ou lorsque les personnes sont des ressortissants de pays considérés comme des « pays d’origine sûrs ».

Dans notre rapport de juin 2007, « Au nom de la prévention : Des garanties insuffisantes concernant les éloignements pour des raisons de sécurité nationale », nous analysons les procédures administratives relatives à l’éloignement de France des personnes soupçonnées de terrorisme. Nous arrivons à la conclusion que l’absence de recours automatiquement suspensif dans ces cas expose les personnes concernées à un renvoi alors qu’il existe un risque pour leur sécurité.

Ce risque est particulièrement grand dans les affaires relatives aux personnes soupçonnées d’implication dans le terrorisme. Le Ministère de l’Intérieur a le pouvoir d’ordonner l’expulsion d’urgence des personnes soupçonnées de liens avec le terrorisme en invoquant « la nécessité impérieuse de protéger la sécurité du public et la sûreté de l’État ». Les personnes qui craignent d’être torturées ou d’être soumises à d’autres mauvais traitements interdits dans leurs pays d’origine peuvent présenter une requête en référé-liberté. Pour aboutir, cette requête doit faire la preuve que l’expulsion constitue une violation grave et manifestement illégale d’un droit fondamental. Néanmoins, le simple fait de former un référé-liberté ne suspend pas l’application de l’arrêté d’expulsion et les autorités peuvent encore légalement éloigner l’intéressé avant que le juge administratif ait statué sur le recours. Bien que le Ministère de l’Intérieur sursoie généralement à l’éloignement jusqu’à ce que le juge ait émis un arrêt, une pratique courante ne peut se substituer à une garantie procédurale inscrite dans la loi.

Les personnes faisant l’objet d’un arrêté ministériel d’expulsion peuvent également demander l’asile, généralement selon la procédure accélérée prévue pour les personnes placées en rétention dans l’attente de leur éloignement. Toutefois, la législation française relative à l’asile prévoit une exception liée à la sécurité nationale, laquelle prive les personnes considérées comme des menaces pour la sécurité nationale du droit de demeurer en France jusqu’à la conclusion de la procédure d’examen de leur demande d’asile. Cela signifie que les intéressés peuvent être éloignés dès que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté leur demande, même si un recours est encore en instance devant la Commission des recours des réfugiés (CRR).

L’examen du dossier par la Commission des recours des réfugiés constitue une garantie capitale. A cet égard, le cas du Tunisien Adel Tebourski est instructif. Tebourski a été expulsé en août 2006, peu après que l’OFPRA eut rejeté sa demande d’asile. Deux mois plus tard, la CRR a jugé que l’OFPRA avait établi à tort qu’il n’existait pas de risque de torture. Bien que la CRR ait rejeté la demande d’asile de Tebourski en vertu de la clause d’exclusion de la Convention relative au statut des réfugiés, la reconnaissance du risque de torture en cas de renvoi aurait empêché la France d’expulser l’intéressé vers la Tunisie.

Aux termes du droit international des droits de l’homme et du droit relatif aux réfugiés, la France a l’obligation de procéder à un examen approfondi avant tout éloignement afin de s’assurer que la personne visée ne soit pas exposée à un risque de torture, de mauvais traitements interdits ou autres persécutions en cas de renvoi. Cette obligation s’applique à tous les cas, y compris ceux impliquant des personnes soupçonnées de terrorisme. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a toujours été d’avis que la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés exige que tous les recours concernant des demandes d’asile soient automatiquement suspensifs. La Cour européenne des droits de l’homme et le Comité de l’ONU contre la torture (CCT) attachent une importance particulière aux recours suspensifs dans les cas où il existe une présomption de risque de mauvais traitements.

Dans la décision prise dans l’Affaire Gebremedhin, la Cour européenne a réaffirmé son point de vue selon lequel l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit le droit à un recours effectif, « exige que l’intéressé ait accès à un recours de plein droit suspensif ». 1Selon la Cour, les obligations énoncées à l’article 13 ne peuvent être remplies que par une garantie formelle et ne relèvent pas « du simple bon vouloir ou de l'arrangement pratique ». 2

Le CCT a condamné la France à deux reprises pour avoir expulsé quelqu’un en dépit d’éléments probants indiquant un risque de torture en cas de renvoi. En 2005, le Comité a estimé que la France avait violé les obligations qui lui incombaient aux termes de la Convention contre la torture quand elle avait expulsé Mahfoud Brada vers l’Algérie en 2002, alors que l’appel qu’il avait interjeté devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux était encore en instance. En mai 2007, le Comité a de nouveau condamné la France pour l’expulsion de Tebourski vers la Tunisie en dépit du risque de torture. Dans les deux cas, la France a ignoré la demande formulée par le Comité de surseoir à l’exécution de la mesure d’expulsion.

La France a le droit de contrôler ses frontières et d’en exclure les étrangers qui constituent une menace pour sa sécurité nationale. Néanmoins, en vertu du droit international, elle a également l’obligation de veiller à la mise en place de sauvegardes efficaces pour protéger toutes les personnes faisant l’objet d’un éloignement contre le renvoi dans des pays où elles pourraient être soumises à des persécutions, notamment des actes de torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Nous vous prions instamment de profiter de l’occasion offerte par le projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile pour renforcer les garanties procédurales dans les cas d’éloignement :

  • En garantissant le droit à un simple recours avec effet automatiquement suspensif contre toutes les décisions d’éloignement, y compris les arrêtés ministériels d’expulsion, ainsi que contre le refus d’entrée sur le territoire français aux fins d’y demander l’asile. Le recours automatiquement suspensif contre les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière (APRF) constitue un modèle en la matière.
  • En veillant à ce que tous les demandeurs d’asile, y compris ceux qui font l’objet de la procédure prioritaire et ceux considérés comme des menaces pour la sécurité nationale, aient le droit de demeurer en France jusqu’à la conclusion de la procédure d’examen de leur demande d’asile. Le recours devant la Commission des recours des réfugiés contre une décision négative de l’OFPRA devrait avoir un effet suspensif.

Ces réformes aligneraient la loi et les procédures françaises sur le droit international et réaffirmeraient le principe selon lequel la lutte contre le terrorisme doit être menée dans le respect des droits humains.

Nous serions heureux de pouvoir discuter ces points avec vous au moment que vous jugerez opportun ou de répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir.

Nous vous remercions d’avance pour l’attention que vous voudrez porter à la présente et vous prions d’agréer, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, l’expression de notre très haute considération.

Holly Cartner
Directrice exécutive
Division Europe et Asie centrale

Jean-Marie Fardeau
Directeur
Bureau de Paris

1 Affaire Gebremedhin c. France, Arrêt du 26 avril 2007, Requête no. 25389/05, disponible sur www.echr.coe.int, para. 66.

2 Affaire Conka c. Belgique, Arrêt du 5 février 2002, Requête no. 51564/99, disponible sur www.echr.coe.int, para. 83.

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