(Djakarta, le 5 juillet 2007) – Dans les Hautes Terres du Centre de la province reculée de Papouasie, région fermée aux observateurs extérieurs, la police semble commettre régulièrement et en toute impunité de graves exactions, notamment des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et des viols, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Les brutalités policières endémiques suscitent une méfiance plus profonde encore à l’égard du gouvernement national de Djakarta et risquent d’attiser les tensions séparatistes.
Le rapport de 93 pages, intitulé « Out of Sight: Endemic Abuse and Impunity in Papua’s Central Highlands » (« A l’abri des regards : Exactions endémiques et impunité dans les Hautes Terres du Centre de la Papouasie »), est le produit de plus d’un an de recherches. Il décrit les exactions quotidiennes commises par les policiers et autres forces de sécurité dans la région montagneuse et isolée des Hautes Terres du Centre, dans la province indonésienne de Papouasie située dans la moitié occidentale de l’île de Nouvelle-Guinée.
L’une des conclusions principales du rapport est que les policiers, en particulier les officiers de la BRIMOB (Brigade de police mobile, le corps d’élite paramilitaire utilisé dans les situations d’urgence), sont responsables de la plupart des graves violations des droits humains perpétrées dans la région aujourd’hui, bien que certains témoignages de traitements brutaux infligés par des soldats indonésiens continuent de faire surface.
« Les conditions qui règnent dans les Hautes Terres du Centre de la Papouasie constituent un test important permettant de voir comment les forces de sécurité indonésiennes remplissent leur fonction lorsque les tensions politiques sont élevées et que les régions sont fermées aux observateurs extérieurs », a expliqué Joseph Saunders, directeur adjoint de la division Programmes de Human Rights Watch. « La police est en train d’échouer lamentablement à ce test. »
Le nouveau rapport fait suite à celui publié par Human Rights Watch en février, « Protest and Punishment : Political Prisoners in Papua » (« Contestation et punition : Les prisonniers politiques en Papouasie »), lequel décrivait les restrictions sévères frappant la liberté d’expression, de réunion et d’association en Papouasie.
Bon nombre des exactions policières décrites dans le rapport sont particulièrement cruelles. Un homme a confié à Human Rights Watch ce qui est arrivé lorsque 12 officiers de la BRIMOB les ont arrêtés, lui et quelques amis, pour avoir pacifiquement hissé le drapeau de l’indépendance :
Mes dents sont tombées. Le sang a coulé de ma bouche. On m’a frappé. On m’a donné deux coups de pied et puis deux autres dans le ventre. On m’a donné des coups de pied dans le nez, la bouche et les dents. D’autres coups de pied ont été ordonnés et cela a recommencé. Je n’arrivais plus à compter le nombre de coups. J’ai vu que tous mes amis recevaient le même traitement. Ils saignaient également et on leur interdisait de se rendre aux toilettes. Ils nous ont donné l’ordre d’avaler notre sang. Je saignais du nez. Ils nous ont à nouveau ordonné d’avaler le sang. Je ne connais pas le nom de l’officier qui commandait. Ils nous ont tous donné des coups de poing, à tour de rôle.
Un autre homme a déclaré avoir été battu par la police alors qu’il assistait à l’arrestation d’une autre personne:
On m’a frappé dans le dos avec le canon d’un fusil et on m’a donné des coups de poing au visage. Ma bouche et mes yeux étaient tout contusionnés et en sang. J’ai eu la tête qui tournait et je suis tombé. Cinq membres de la police et de la BRIMOB ont immédiatement commencé à me donner des coups de pied. Ils portaient tous des uniformes officiels complets et des armes … J’étais à peine conscient lorsque cinq policiers m’ont fait monter dans la voiture. Pendant qu’ils m’emmenaient, ils m’ont frappé trois fois dans le dos avec la crosse de leurs fusils et ensuite, dans la voiture, j’ai été battu avec une matraque.
Human Rights Watch a adressé un courrier au chef de la police et au chef de l’armée en Papouasie, demandant des informations sur tous les cas décrits dans le rapport, mais aucune réponse ne lui est parvenue à ce jour.
Le manque d’imputabilité des responsabilités au niveau interne et le piètre fonctionnement du système judiciaire font qu’en Papouasie, l’impunité pour les auteurs d’exactions est la règle.
« Personne n’est poursuivi pour les crimes que nous avons décrits », a déploré Saunders. « La police agit comme si elle ne connaissait d’autre loi que la sienne ».
Les provinces indonésiennes de Papouasie et de Papouasie occidentale sont fermées aux observateurs extérieurs des droits humains. Les journalistes y ont un accès extrêmement limité. De nombreux diplomates ont confié à Human Rights Watch qu’ils avaient de la difficulté à appréhender la situation dans ces provinces en raison du peu de reportages indépendants couvrant les conditions qui y règnent. Les informations fiables sur la région reculée des Hautes Terres du Centre sont encore plus difficiles à obtenir.
Human Rights Watch a appelé le gouvernement indonésien à ouvrir les provinces aux observateurs indépendants afin d’accroître la quantité et la qualité des informations relatives aux conditions existantes et de permettre la conduite d’enquêtes indépendantes et transparentes.
« En maintenant la région fermée à tout contrôle extérieur, les responsables à Djakarta reçoivent des comptes rendus déformés et partiaux de ce qui s’y passe », a expliqué Saunders. « Si les autorités ont réellement le souci de mettre le doigt sur les problèmes et de dégager des solutions durables, il est essentiel que les informations soient fiables ».
Pendant des années, la région des Hautes Terres du Centre a été le théâtre de confrontations souvent intenses entre les unités de la police et de l’armée indonésiennes et les petites cellules de guérilleros de l’Organisation pour la libération de la Papouasie (Organisasi Papua Merdeka, ou OPM). La guérilla indépendantiste a mené des attaques armées répétées de faible intensité contre les forces de sécurité indonésiennes, lesquelles continuent de procéder à des opérations de « nettoyage » dans les zones civiles, semant la peur et la panique et poussant de nombreux villageois à fuir leurs habitations.