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Union africaine Addis-Abeba Ethiopie

Le 29 janvier 2007

Excellences,

Human Rights Watch se permet de s’adresser à vous avec le plus grand respect afin de demander à ce que l’Assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement africains, réunis au Huitième Sommet de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba, donne une priorité absolue à la protection des civils au Darfour (Soudan) et des réfugiés au Tchad. Dans ce but, Human Rights Watch aimerait attirer l’attention de l’Assemblée sur trois de ses préoccupations essentielles: (1) les effets désastreux de la politique gouvernementale soudanaise au Darfour, (2) l’intensification de la crise au Tchad et (3) les efforts du Soudan pour accéder à la présidence de l’Union africaine.

La situation au Darfour (Soudan)

La situation au Darfour s’est considérablement détériorée en 2006. Des centaines de milliers de civils ont été déplacés à plusieurs reprises par de violentes attaques commises par tous les belligérants au cours de l’année, et plus particulièrement par les Forces armées soudanaises ainsi que leurs milices armées. Des milliers de civils ont été victimes d’attaques, notamment de viols et d’autres violences sexuelles, de meurtres, de déplacements forcés et de pillages. Les rapports de la Mission de l’Union africaine au Darfour (AMIS) et de la Mission des Nations Unies au Soudan (UNMIS) confirment que le gouvernement soudanais continue à attaquer des civils, soit par des bombardements aériens aveugles ou par des attaques ciblées au sol. En dépit des efforts des médiateurs de l’Union Africaine qui ont négocié l’accord de paix sur le Darfour (APD), aucune amélioration n’a été constatée sur les points essentiels dont dépend tout progrès au Darfour: la poursuite en justice des criminels, la protection des civils, et la cessation du nettoyage ethnique qui a commencé depuis 2003.

Au lieu d’agir dans le sens de l’apaisement, le gouvernement soudanais a repris, avec force, fin 2006, sa politique de recrutement et de soutien logistique et financier des milices. Il continue de jouer sur les différences ethniques entre les communautés au Darfour pour alimenter les graves tensions et les violences intercommunautaires. Le gouvernement soudanais n’a fait aucun effort sérieux pour mettre un terme à l’impunité dont jouissent les auteurs des crimes internationaux au Darfour. Aucun responsable civil ou militaire de haut niveau, même de niveau intermédiaire, n’a été poursuivi, ni n’a même fait l’objet d’une enquête pour crimes graves commis au Darfour. Au contraire, le gouvernement soudanais entretient l’impunité institutionnelle des responsables, en recourant à des lois et des décrets présidentiels pour amnistier les commanditaires des crimes et en décourageant activement ceux qui chercheraient à engager des procédures en justice.

De plus, le Soudan a, en 2006, multiplié les obstacles qui entravent l’accès au Darfour, alors que cette région traverse l’une des plus graves crises humanitaires que connaît le monde et que plusieurs millions de personnes dépendent toujours de l’aide humanitaire internationale, totalement ou en partie. Pour les médias et les associations internationales de défense des droits de la personne humaine, l’accès à cette zone demeure limité ou inexistant. Les responsables soudanais imposent des restrictions bureaucratiques croissantes aux agences humanitaires qui tentent d’opérer dans la région. Ces initiatives s’inscrivent clairement dans une politique qui vise à limiter la libre circulation de l’information en provenance du Darfour, en particulier au moment où le Soudan continue d’ignorer les nombreux accords de cessez-le-feu et les engagements qu’il a pris de s’abstenir d’attaquer les civils et leurs biens.

Alors qu’il se révèle totalement incapable de protéger ses citoyens au Darfour, le gouvernement soudanais s’obstine à résister à toute tentative internationale visant à améliorer la protection des civils, notamment le déploiement d’une force de l’ONU demandé par les Nations Unies en août 2006 et par l’UA lors de plusieurs réunions du Conseil de Paix et de Sécurité tenues l’année dernière. Bien que le gouvernement ait donné son accord pour le déploiement d’une force hybride UA-ONU en novembre 2006 lors de la réunion d’Addis-Abeba, les responsables soudanais continuent à entretenir une confusion totale sur leur intention réelle et reviennent même sur leurs promesses antérieures.

Attaques contre les civils dans l’Est du Tchad

L’intensification du conflit armé dans l’Est du Tchad et ses conséquences pour des centaines de milliers de civils tchadiens inquiètent fortement Human Rights Watch. Certes, une partie de la violence peut clairement être attribuée à des facteurs internes mais des liens existent également entre le conflit tchadien et la crise du Darfour. Les milices appuyées par le gouvernement soudanais sont actives dans la zone frontalière et certaines se sont livrées à des attaques transfrontalières sur des civils au Tchad. De même, le soutien soudanais aux mouvements rebelles tchadiens a contribué à entretenir la guerre qui se déroule par procuration le long de la frontière tchado-soudanaise. À ce propos, il faut signaler que le gouvernement tchadien a sa part de responsabilité également du fait, notamment, du soutien qu’il apporte aux mouvements rebelles du Darfour, dont certains ont recruté de force des réfugiés dans les camps, y compris des enfants.

Le gouvernement tchadien a tenté de combler le vide sécuritaire le long de sa frontière avec le Soudan, notamment en armant certains groupes ethniques déterminés. Cette politique attise les tensions intercommunautaires. Ces événements ont des conséquences désastreuses sur les civils qui vivent en zone frontalière et la situation ne fera qu’empirer si des mesures immédiates ne sont pas prises.

La candidature du Soudan à la présidence de l’Union africaine

Lors du sommet de Khartoum qui s’est tenu en janvier 2006, les États de l’Union africaine se sont mis d’accord pour différer la présidence soudanaise de l’Union africaine et réexaminer la question à l’occasion du Sommet de 2007. En dépit du bilan qu’il affiche au Darfour – crimes internationaux, incapacité à adopter de quelconques mesures sérieuses pour protéger les civils soudanais, grave détérioration de la situation en 2006 –, le Soudan persiste à vouloir obtenir l’un des plus grands honneurs du continent africain.

Considérant la responsabilité du gouvernement soudanais pour les crimes contre l’humanité qui sont perpétrés, considérant la grave détérioration de la situation au Darfour en 2006, et considérant le refus de Khartoum de renoncer ou même de modifier le moindre volet de sa politique brutale qui sème la destruction et la mort dans la région, les membres de l’Union africaine devraient rejeter sans ambiguïté la candidature du Soudan. La présidence soudanaise ne mettrait pas seulement à mal le rôle actuel et futur joué par l’Union africaine en sa qualité de médiatrice et de protectrice de la paix au Darfour, elle porterait irrémédiablement atteinte à la crédibilité internationale de l’Union africaine en tant qu’institution attachée aux droits de la personne humaine et des peuples.

Human Rights Watch prie instamment l’Union africaine de pouvoir mettre en œuvre les recommandations suivantes lors du Sommet de janvier 2007 qui se tiendra à Addis-Abeba:

  • Condamner les attaques incessantes du gouvernement soudanais contre les civils et son obstruction au déploiement de l’ONU; appeler le Soudan à accepter immédiatement et sans condition une force de protection internationale élargie au Darfour et à faciliter sa mise en place.
  • Appeler le gouvernement tchadien à mettre fin immédiatement au soutien qu’il apporte aux groupes rebelles violents du Darfour et autres groupes armés qui commettent des exactions, à appuyer le déploiement d’une force internationale le long de sa frontière avec le Soudan afin de dissuader de nouvelles attaques contre les civils, à superviser l’embargo sur les armes imposé actuellement par l’ONU au Darfour, et à contribuer à la mise en œuvre de l’Accord de Tripoli conclu en février 2006 entre le Soudan et le Tchad.
  • Veiller à ce que le Soudan ne soit pas élu à la présidence de l’Union africaine.

Nous vous remercions par avance pour l’attention que vous voudrez porter à la présente lettre et nous vous prions d’agréer, Excellences, l’expression de notre plus haute considération.

Peter Takirambudde Directeur exécutif Division Afrique

Cc: Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine Secrétariat de l’Union africaine Ambassadeurs auprès de l’Union africaine

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