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Aux membres du Conseil de Paix et de Sécurité  
Union africaine  
Addis-Abeba, Ethiopie  
 
Le 24 novembre 2006.  
 
 
Excellences,  
 
Human Rights Watch se réjouit des efforts faits par le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l'Union africaine pour rechercher une solution pacifique à la crise des droits de l'homme au Darfour (Soudan).

Toutefois, Human Rights Watch continue à nourrir d'énormes inquiétudes à propos de la situation au Darfour et dans l'Est du Tchad au vu de la récente recrudescence des hostilités entre le gouvernement du Soudan et les groupes rebelles non signataires au Darfour. La situation volatile à la frontière soudano-tchadienne, l'escalade des attaques militaires à l'encontre des civils dans ces deux pays, ainsi que l'insécurité croissante qui touche les travailleurs humanitaires dans la région constituent également de sérieuses sources de préoccupation.  
 
En dépit des efforts consentis au niveau diplomatique, il est évident que la situation se détériore et qu'une attention renouvelée et plus soutenue doit lui être accordée de toute urgence. Et ce, dans le but de protéger les civils et de mettre un terme aux violations des droits de l'homme perpétrées au Darfour et au Tchad. A la lumière des récentes discussions qui ont eu lieu le 16 novembre à Addis-Abeba concernant une force hybride ONU-UA au Darfour, et en vue de la prochaine réunion du Conseil de Paix et de Sécurité prévue le 29 novembre, nous souhaiterions soulever ici certaines de nos préoccupations.  
 
Comme décrit ci-après, Human Rights Watch recommande vivement au Conseil de Paix et de Sécurité de l'Union africaine de condamner les attaques lancées aveuglément et les autres crimes de guerre commis par le gouvernement soudanais contre les civils, de veiller à ce que toute force de protection internationale renforcée soit investie du mandat et de la capacité requises pour garantir une protection efficace des civils au Darfour et le long de la frontière soudano-tchadienne, et d'appeler tant le gouvernement tchadien que soudanais à accepter immédiatement ce déploiement international.  
 
La crise au Darfour  
 
Vous n'êtes pas sans savoir que depuis février 2003, au moins 200 000 Darfouriens ont trouvé la mort en raison du conflit armé qui oppose le gouvernement du Soudan aux groupes rebelles armés du Darfour. Les opérations gouvernementales menées contre les insurgés sont jalonnées de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de « nettoyage ethnique ». Quatre millions de personnes-soit plus de la moitié de la population du Darfour-dépendent aujourd'hui d'une forme ou l'autre d'aide alimentaire internationale. Les massacres, viols et attaques perpétrés à grande échelle par les forces gouvernementales soudanaises et les milices janjawid ont forcé deux millions de personnes à se réfugier dans des camps. Mais même ces derniers n'offrent pas la sécurité: tueries et viols se poursuivent sans relâche.  
 
L'accès de l'aide humanitaire aux civils est à son niveau le plus bas depuis 2003-2004. Depuis mai de cette année, 13 travailleurs humanitaires ont été tués au Darfour. De plus, en raison des attaques incessantes dont sont l'objet le personnel et les convois humanitaires, il est trop dangereux de se déplacer par voie terrestre dans une grande partie de la région. Les agences humanitaires sont donc dans l'incapacité d'atteindre des centaines de milliers de personnes qui vivent dans le besoin sur tout le territoire darfourien.  
 
La situation actuelle au Darfour requiert une action urgente. Rien qu'au cours de la première semaine de novembre, Human Rights Watch a relevé des bombardements aériens menés aveuglément par le gouvernement soudanais sur des civils dans des villages soudanais et tchadiens des deux côtés de la frontière ainsi que sur des points d'eau au Darfour pourtant essentiels pour la survie des civils déplacés et de leur bétail. Nos chercheurs ont photographié les sites au Tchad et ont recueilli des témoignages probants à propos de ces attaques.  
 
Les attaques meurtrières perpétrées par des milices ayant des liens connus avec le gouvernement soudanais ne cessent d'augmenter. Nous citerons notamment - mais ces cas sont loin d'être les seuls - les attaques récentes sur Djebel Mun et Sirba, au Darfour occidental, lesquelles ont fait l'objet d'une enquête de la force de l'Union africaine au Darfour. Les massacres d'enfants, dont au moins 26 sont morts à Djebel Mun, ainsi que le pillage systématique du bétail sont une preuve flagrante que les civils et leurs biens continuent à être visés, en violation du droit international humanitaire.  
 
Nombre d'observateurs internationaux ont constaté une présence accrue des milices à Tine, El Geneina et d'autres villes importantes à la frontière soudano-tchadienne. Ces factions des mouvements rebelles du Darfour qui n'ont pas signé l'Accord de paix de mai 2005 sur le Darfour participent aux hostilités et mettent donc à mal le cessez-le-feu. Human Rights Watch s'inquiète fortement de l'impact des hostilités sur les civils car le gouvernement soudanais en est revenu à sa stratégie qui consiste à armer et déployer des milices ethniques et à utiliser sa force aérienne pour lancer des attaques aveugles. Ce qui n'est pas sans rappeler sa campagne militaire de 2003-2004, laquelle avait fait des milliers de victimes civiles.  
 
Détérioration dans l'Est du Tchad et dans la zone frontalière sensible  
 
L'Est du Tchad souffre de la crise au Darfour qui s'insinue à travers une frontière poreuse. La zone frontalière est aujourd'hui le refuge de nombreux groupes armés. Les gouvernements soudanais et tchadien continuent d'appuyer les insurgés qui visent leurs opposants à N'djamena et Khartoum. Et ce, au détriment des civils de la région et en violation de l'accord de Tripoli signé le 8 février 2006 et de l'embargo sur les armes décrété par l'ONU en vertu de la résolution 1591 du Conseil de Sécurité de l'ONU. Cette guerre par procuration menée par le Tchad et le Soudan ne peut qu'être source de souffrances supplémentaires pour les civils du Darfour occidental et de l'Est du Tchad.  
 
Les incursions politiques et militaires menées dans l'Est du Tchad tant par les rebelles darfouriens que par les milices du Darfour soutenues par le gouvernement soudanais exacerbent également les tensions ethniques latentes qui existent entre les communautés tchadiennes. Les recherches réalisées par Human Rights Watch au cours des douze derniers mois révèlent une augmentation des exactions et des affrontements dans différentes parties de l'Est du Tchad. Nombre de ces violences sont liées à une polarisation ethnique et politique croissante des communautés tchadiennes affectées par la présence et la proximité du conflit darfourien.  
 
Tout récemment, des communautés tchadiennes de nomades arabes et divers groupes ethniques non arabes tels que les Dadjo et les Mouro, dans le sud-est du Tchad, ont été entrainés dans une spirale croissante de violence intercommunautaire qui, bien que catalysée par des incidents locaux, n'a guère surgi du néant. De nombreux acteurs des deux camps ont évoqué un sentiment d'hostilité mutuelle et de suspicion qui rappelle la situation des groupes ethniques du Darfour. Les attaques s'accompagnent d'accusations à propos de liens entretenus respectivement avec les rebelles du Darfour ou avec les milices arabes janjawid.  
 
Le gouvernement tchadien est clairement responsable d'avoir exacerbé la crise au Darfour, en grande partie en appuyant ou tolérant la présence de groupes rebelles darfouriens dans l'Est du Tchad. Human Rights Watch a recueilli des informations sur les exactions commises par les rebelles du Darfour, notamment le recrutement forcé et les mauvais traitements infligés aux enfants vivant dans les camps de réfugiés. La politique que continue d'appliquer le gouvernement soudanais en armant et en appuyant les milices ethniques et les groupes rebelles tchadiens au Darfour a également contribué à ce désastre croissant.  
 
La crise des droits de l'homme au Darfour et dans l'Est du Tchad empire de jour en jour et les civils ont un besoin urgent de protection. Human Rights Watch se réjouit de la décision, adoptée par la 63e Réunion du Conseil de Paix et de Sécurité de l'UA qui s'est tenue à New York le 20 septembre, de prolonger l'opération de l'AMIS au Darfour jusqu'au 31 décembre 2006. Par ailleurs, nous sommes heureux de constater que la communauté internationale semble s'être regroupée derrière les récents efforts faits à la réunion du 16 novembre à Addis-Abeba pour conclure les négociations relatives à un déploiement international renforcé au Darfour.  
 
Le besoin d'une force de protection internationale renforcée  
 
Human Rights Watch s'inquiète du fait que la proposition actuelle relative à une force hybride UA-ONU, telle qu'exposée dans les conclusions de la réunion d'Addis-Abeba du 16 novembre, ne réponde pas aux besoins de la population du Darfour, ni des voisins tchadiens. Ces besoins requièrent une force de protection internationale puissante, à même de garantir la sécurité des civils, de dissuader de nouvelles attaques et de surveiller activement la frontière sensible. Au vu notamment de l'offensive incessante et croissante que le gouvernement soudanais mène au Darfour, nous sommes préoccupés par le fait qu'il continue de retarder et d'affaiblir tout déploiement international supplémentaire dans la région.  
 
Une nouvelle détérioration de la situation sécuritaire et un déploiement international insuffisant au Darfour et le long de la frontière tchadienne constitueraient un scénario qui ne causerait que davantage de souffrances et de morts parmi les civils darfouriens et tchadiens, sans compter les risques croissants au niveau de la stabilité régionale. Il est essentiel que les principales parties prenantes, notamment l'Egypte, la Libye et d'autres membres de l'Union africaine, ainsi que d'autres gouvernements concernés, unissent leurs efforts pour protéger la population du Darfour. Il est également important qu'ils exercent des pressions sur les gouvernements soudanais et tchadien pour que ces derniers appuient le déploiement international au Darfour et le long de la frontière tchadienne, comme le prévoit la résolution 1706 du Conseil de Sécurité de l'ONU.  
 
Human Rights Watch prie instamment les membres du Conseil de Paix et de Sécurité de l'UA de prendre en considération les recommandations suivantes et de les inclure dans les conclusions de la réunion du Conseil de Paix et de Sécurité de l'UA le 29 novembre prochain : 

Appeler le gouvernement soudanais à cesser ses activités militaires aériennes à caractère offensif, comme stipulé dans la Résolution 1591 du Conseil de Sécurité de l'ONU (et défini dans le rapport du Groupe d'experts de l'ONU d'octobre 2006), et à mettre un terme à son soutien (principalement en termes de financement et de fourniture d'armes) aux milices janjawid et autres groupes paramilitaires.  

Exiger le consentement immédiat du gouvernement soudanais à propos d'une force internationale renforcée au Darfour et le long de la frontière tchadienne afin de dissuader de futures attaques contre les civils, de surveiller l'embargo sur les armes décrété actuellement par l'ONU, et de contribuer à appliquer l'Accord de Tripoli conclu entre le Soudan et le Tchad en février 2006.  

Demander que la force de l'AMIS et toute force internationale renforcée supervisent l'engagement pris par le gouvernement du Soudan de cesser tout soutien ultérieur aux milices ethniques, qu'elles opèrent en tant qu'auxiliaires ou en tant qu'unités paramilitaires, de désarmer et démanteler les milices janjawid ainsi que d'appréhender et de traduire en justice les chefs janjawid et leurs acolytes responsables de violations des droits de l'homme et de crimes de guerre, comme le stipulent les paragraphes 6 & 7 de la Résolution 1554 (2004) du Conseil de Sécurité de l'ONU.  

Accepter le soutien international et étendre le mandat de la force actuelle de l'Union africaine au Darfour jusqu'à la mise en place d'une force internationale renforcée, en appelant précisément à un soutien international au niveau du déploiement de personnel et de matériel supplémentaires, de l'appui logistique et autres ressources des forces nationales et multilatérales, notamment des hélicoptères d'attaque pour renforcer la capacité de l'AMIS à protéger les civils.  

Veiller à ce que toute force internationale renforcée réunisse au minimum les éléments suivants:

Un mandat autorisé aux termes du Chapitre VII de la Charte de l'ONU, notamment l'utilisation de tous les moyens nécessaires pour protéger les civils et le personnel humanitaire;  

Des troupes et une capacité militaire suffisantes pour se déployer dans les zones rurales et protéger la circulation des civils, assurer la sécurité du transport civil et humanitaire sur les routes principales et superviser l'embargo sur les armes décrété par l'ONU, notamment le long de la frontière tchadienne;  

Une capacité de réaction rapide, notamment un soutien aérien suffisant, afin de dissuader et de réagir aux incidents violents qui visent les civils;

Appuyer l'application des sanctions ciblées de l'ONU, notamment l'interdiction des déplacements à l'étranger et le gel des avoirs (comme l'autorise la Résolution 1591 du Conseil de Sécurité de l'ONU du 29 mars 2005) qui pourraient frapper les hauts fonctionnaires du gouvernement soudanais s'ils persistaient à ne pas accepter le déploiement d'une force internationale plus puissante au Darfour. Appuyer les sanctions qui frappent les personnes ou groupes responsables d'atteintes aux droits de l'homme ou de violations de l'Accord de paix de mai 2006 sur le Darfour.  

Appuyer l'extension de l'embargo sur les armes prévu par la Résolution 1591 du Conseil de Sécurité de l'ONU de façon à ce qu'il couvre tout le territoire soudanais et pas seulement le Darfour, et soutenir la mise en place d'un mécanisme de supervision et d'application dudit embargo à l'échelle nationale.  

Appeler le gouvernement tchadien à mettre fin au soutien qu'il apporte aux groupes rebelles darfouriens qui commettent des exactions et à accepter une force internationale renforcée au Darfour et le long de la frontière tchadienne pour dissuader la conduite de nouvelles attaques à l'encontre des civils, superviser l'embargo sur les armes actuellement décrété par l'ONU et contribuer à appliquer l'Accord de Tripoli conclu entre le Soudan et le Tchad en février 2006.


 
Human Rights Watch apprécie à leur juste valeur les mesures prises à ce jour par le Conseil de Paix et de Sécurité en vue d'atténuer la crise humanitaire et des droits de l'homme au Darfour. En même temps, nous vous prions vivement de mettre en œuvre les recommandations que nous émettons ci-dessus dans l'espoir qu'elles contribueront à des améliorations, à court et à long terme, de la sécurité et de la protection des civils au Darfour, au Tchad et dans la région.  
 
Nous vous remercions d'avance pour l'attention que vous voudrez porter à la présente et vous prions d'agréer, Excellences, l'expression de nos sentiments les plus respectueux.  
 
Peter Takirambudde  
Directeur exécutif, Division Afrique  
Human Rights Watch  
 
Cc:  
 
Président de la République, Lieutenant-General Omar Hassan al-Bashir  
Président de la République, Son Excellence Général Idriss Déby  
Monsieur Said Djinnit, le Président du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l'Union africaine  
Son Excellence Alpha Konaré, le Président de la Commission de l'Union africaine  
Colonel Muammar Al-Qadhafi

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