Les bailleurs de fonds internationaux qui se réuniront le 18 juillet à Bruxelles pour s’engager à soutenir la force de maintien de la paix de l’Union Africaine au Soudan devraient de toute urgence accroître l’aide destinée à la protection des civils au Darfour, où les meurtres et les viols se sont multipliés au cours des dernières semaines, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Les Etats-Unis, les pays de l’UE et autres nations bailleresses qui participeront à la conférence accueillie par l’UE devraient par ailleurs recommander vivement à Khartoum de consentir sans délai au déploiement d’une force des Nations Unies au Darfour, laquelle prendrait la relève de la Mission de l’Union africaine au Soudan (AMIS) pour assumer la responsabilité de la protection des civils.
A Bruxelles, les gouvernements bailleurs de fonds et la Banque mondiale se rencontreront pour entendre l’évaluation de l’Union africaine à propos des besoins de l’AMIS au Darfour, notamment un accroissement des ressources matérielles et financières nécessaires à la protection des civils. Aux termes de l’Accord de paix sur le Darfour signé le 5 mai dernier par le gouvernement soudanais et la plus importante faction rebelle du Darfour, de nouvelles tâches ont été confiées à l’AMIS: elle doit aujourd’hui observer et vérifier le respect par les parties d’un cessez-le-feu détaillé et complet ainsi que des arrangements permanents conclus en matière de sécurité.
« La mission de maintien de la paix de l’Union africaine est la seule force sur le terrain au Darfour. Elle continuera à être responsable de la protection des civils jusqu’au déploiement d’une force de l’ONU, » a expliqué Peter Takirambudde, directeur de la Division Afrique de Human Rights Watch. « Il faut que les bailleurs de fonds fassent pression pour que Khartoum accepte un déploiement de l’ONU. Il faut par ailleurs qu’ils s’engagent à apporter un soutien généreux afin que les forces de l’UA puissent dès à présent disposer de moyens plus importants pour protéger les civils. »
Mis à mal par le regain de violence et un essoufflement du soutien politique, l’Accord de paix sur le Darfour risque d’échouer. Le 13 juillet, le Représentant spécial de l’UA pour le Soudan, l’Ambassadeur Baba Kingibe, a condamné l’escalade de la violence au Darfour et a déclaré qu’elle constituait un sérieux obstacle à la mise en œuvre de l’accord de paix. Le 6 juillet, Jan Pronk, Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le Soudan, a indiqué que les violations de l’accord étaient fréquentes en raison du non respect, par les parties, de leurs engagements et du manque de soutien accordé par la communauté internationale à sa mise en œuvre. Deux groupes rebelles du Darfour n’ont pas signé l’accord.
En dépit de l’accord de paix, les meurtres et les viols se multiplient au Darfour. Les civils sont aujourd’hui plus exposés que jamais face au nombre croissant de groupes armés qui sillonnent la région, notamment les agences de sécurité du gouvernement soudanais qui intègrent des Janjaweed, mais aussi les nouvelles factions rebelles du Darfour, les rebelles tchadiens soutenus par Khartoum et d’autres encore.
« Face à la prolifération des groupes armés au Darfour, le besoin de fournir de gros moyens financiers pour aider l’AMIS à protéger les civils est d’autant plus urgent, » a constaté Takirambudde.
Deux millions de Darfouriens vivent toujours dans des camps de déplacés. Ils continuent d’être pris pour cible par les milices Janjaweed appuyées par le gouvernement soudanais et, pour la troisième année consécutive, ils se trouvent dans l’impossibilité de rentrer chez eux au moment des semailles. Plus de 50 000 Tchadiens ont été déplacés en 2006 par des attaques transfrontalières menées au Tchad à partir du Darfour par les milices Janjaweed et les rebelles tchadiens appuyés par Khartoum. Ces groupes menacent également quelque 208 000 réfugiés darfouriens dans la partie est du Tchad. L’escalade de la violence au Darfour et à la frontière soudano-tchadienne entrave sérieusement la livraison de l’aide humanitaire à plus de 3 millions de personnes – soit plus de la moitié de la population totale du Darfour, une région aussi vaste que la France.
Au cours de luttes internes pour le pouvoir en juin et juillet, les rebelles de l’Armée/Mouvement de Libération du Soudan ont attaqué des villages et chassé des milliers de personnes au Darfour, détériorant davantage encore la situation sur le plan de la sécurité. Des enquêtes portant sur des accusations de viols de civils et autres atrocités perpétrées par ces rebelles sont en souffrance.
« Les forces de l’UA doivent de toute urgence disposer d’une capacité de réaction rapide afin d’enrayer le regain de violence qui frappe le Darfour, » a affirmé Takirambudde. « Les bailleurs de fonds devraient procurer à l’AMIS les moyens nécessaires pour y parvenir. »
Le mandat de la force de maintien de la paix de l’UA au Darfour vient à expiration le 30 septembre. Toutefois, l’Union africaine a déclaré qu’elle prolongerait la mission à deux conditions. La première et la plus immédiate est que les bailleurs de fonds internationaux fournissent à l’AMIS un soutien financier et technique suffisant pour poursuivre ses opérations. Le Représentant spécial de l’UA pour le Soudan, Baba Kingibe, a fait savoir en date du 6 juillet que l’AMIS n’avait pas versé à ses soldats leur traitement de juin en raison d’un manque de fonds.
La seconde condition posée pour prolonger la mission de l’UA au Darfour est que le gouvernement soudanais consente au déploiement d’une force de l’ONU, laquelle se verrait confier le rôle de protection des civils aujourd’hui assumé par l’AMIS. En mars dernier, l’Union africaine avait recommandé que l’ONU prenne en charge les opérations de maintien de la paix et d’observation militaire de l’AMIS au Darfour « dans les plus brefs délais. » L’AMIS en est à sa troisième année d’opérations au Darfour; lorsque l’Union africaine avait accepté un déploiement en avril 2004, elle n’avait pas envisagé une mission aussi longue et d’une telle ampleur.
En dépit des requêtes de l’Union africaine, du Conseil de Sécurité de l’ONU et de la Ligue arabe, et bien que Khartoum ait déclaré antérieurement qu’il accepterait une force de l’ONU au Darfour si un accord de paix venait à être signé, le gouvernement soudanais s’obstine à rejeter cette transition, insistant pour que l’AMIS poursuive sa mission. Les diplomates soulignent que la question n’est pas de savoir si le Soudan acceptera la force de l’ONU mais quand il le fera.
« L’Accord de paix sur le Darfour a été signé car les principaux bailleurs de fonds ont promis aux rebelles du Darfour qu’une fois l’accord conclu, des forces de maintien de la paix de l’ONU seraient déployées au Darfour, » a expliqué Takirambudde. « Ces mêmes bailleurs ont aujourd’hui une responsabilité, celle d’user de toute leur influence pour s’assurer que Khartoum accepte la force de l’ONU. Dans l’intervalle, les donateurs doivent fournir les fonds nécessaires pour que l’AMIS demeure pleinement opérationnelle. »
L’Union africaine a également besoin de fonds pour protéger les Tchadiens déplacés à l’intérieur de leur territoire ainsi que les réfugiés darfouriens qui se trouvent dans la région est du Tchad, à la frontière avec le Darfour. Le Tchad et le Soudan ont autorisé le déploiement d’au moins 50 soldats de part et d’autre de la frontière soudano-tchadienne pour contrôler le respect de l’Accord de Tripoli signé en février par les deux pays. Human Rights Watch a également appelé les bailleurs de fonds à recommander vivement à l’Union africaine de conclure rapidement son accord de coopération au Soudan avec la Cour Pénale Internationale qui, suite au renvoi adressé par le Conseil de Sécurité de l’ONU en mars 2005, a ouvert une enquête sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité perpétrés au Darfour.