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Turquie : Surveiller les postes de police pour combattre la torture

La troïka de l’Union Européenne devrait reconnaître les progrès réalisés, mais aussi inciter les autorités turques à aller plus loin.

Dans le cadre des efforts déployés par la Turquie dans la campagne d’élimination de la torture, un nouveau programme, qui implique les organismes provinciaux de défense des droits de l’homme, peut jouer un rôle crucial de garde-fou dans la surveillance des postes de police locaux. Cependant, cette surveillance doit être indépendante et plus répandue.

Depuis le début de l’année 2005, un réseau national de comités provinciaux de défense des droits de l’homme agissant sous l’égide du premier ministre a commencé à pratiquer des visites prévues ou inopinées au sein des postes de police et de gendarmerie locaux, pour vérifier la mise en œuvre du dispositif de protection contre la torture et les mauvais traitements des détenus. Fin 2005, les comités des droits de l’homme avaient visité les postes de police ou de gendarmerie de 31 des 81 provinces turques.

« Les visites des comités des droits de l’homme dans les postes de police peuvent être un outil efficace pour aider la Turquie à éliminer la pratique de la torture », a affirmé Holly Cartner, Directrice de la division Europe et Asie Centrale à Human Rights Watch. « Même si d’importantes garanties de protection existent officiellement, les détenus continuent à être torturés ou maltraités. Que des organismes indépendants de surveillance effectuent régulièrement des visites à l’improviste peut contribuer à mettre ces garanties de protection en pratique. »

Dans un nouveau rapport, Human Rights Watch évalue les activités de surveillance des comités provinciaux de défense de droits de l’homme. Les informations recueillies au cours d’entretiens avec des médecins, des avocats et des représentants du gouvernement montrent que des progrès ont été réalisés, mais que des problèmes demeurent. Bien que les activités de certains comités des droits de l’homme aient déjà commencé à susciter un effet positif, le potentiel offert par ce système de surveillance reste encore à développer.

Les comités de contrôle sont composés d’officiels gouvernementaux, de représentants des corps professionnels et de représentants des ONG. C’est la première fois que de simples civils, comme des docteurs et des avocats, sont directement impliqués dans le contrôle des activités des forces de sécurité. Ce réseau peut contribuer, de façon significative, à l'éradication de la torture en Turquie, surtout s’il est associé aux mesures anti-tortures déjà existantes.

Cependant, plus de la moitié des 81 comités de province n'ont pas encore réalisé les visites dans les postes de police, ou ont accompli des visites qui n’étaient pas assez probantes. D'autres comités étaient peu disposés à faire ces visites à moins de recevoir d'abord une plainte formelle de la part d'une victime torturée. De plus, peu de comités ont dévoilé publiquement leurs méthodes et annoncé les conclusions de leurs visites. La forte influence que les gouverneurs de province peuvent exercer sur le processus a de même suscité des questions sur l'indépendance de ces comités.

A l’inverse, la plupart des docteurs et avocats impliqués dans ces comités prennent leur rôle au sérieux et s’engagent à faire de ce système un instrument efficace dans la lutte contre la torture. Avec un nombre croissant de visites organisées chaque mois par les comités, les autorités se doivent de fournir à tous les délégués l’information nécessaire concernant les meilleures pratiques ainsi que les moyens de se former et de gagner en expérience afin de pouvoir mener à bien leur mandat. « Le système de surveillance est un premier pas certes important mais loin d'être le dernier » a déclaré Cartner. « Il est maintenant important que les comités deviennent plus indépendants et plus actifs dans leurs efforts de surveillance ».

Pendant des décennies, les actes de torture ont gangrené tous les commissariats de police de la Turquie et surtout les unités antiterroristes. Le taux de décès survenus à la suite de ces actes a culminé dans le milieu des années 1990. Les abus sexuels commis sur des détenus mâles, sur des femmes et sur des enfants étaient monnaie courante. L’accès des civils aux salles d’interrogatoire des commissariats était inexistant. Les actes de torture se sont multipliés en l’absence de surveillance régulière et indépendante, ni de sanction contre les brutalités commises. Les seuls organismes pouvant pénétrer dans les commissariats turcs étaient le Comité européen pour la prévention de la torture et la Commission des droits de l'homme du parlement turc qui ont trouvé, lors leurs visites, des preuves considérables attestant médicalement que des actes de torture avaient bien eu lieu, et ont également révélé l’existence de salles d'interrogatoire secrètes et d’instruments de torture.

Au cours des dernières années, le gouvernement turc a fait passer un certain nombre de réformes ayant pour but de protéger les détenus de la torture et des mauvais traitements. Plusieurs lois ont été votées pour, entre autres, raccourcir les périodes de détention, abolir la tenue à l’isolement et autoriser tous les détenus, y compris ceux détenus en raison de la loi anti-terroriste, à s'entretenir avec leurs avocats dès le début de leur détention.

Suite à ces réformes, les faits de torture et de morts en détention suite à des actes de torture ont radicalement diminué au cours de ces dernières années. Cependant, on rapporte toujours des cas de mauvais traitements et de torture, qui se produisent souvent quand la police ou les gendarmes ne mettent pas en œuvre ces protections. Human Rights Watch a affirmé qu'un système de contrôle efficace pourrait vraiment contribuer à réduire les cas de torture et de mauvais traitements, en faisant valoir que ceux qui ne mettront pas en pratique ces protections seront dénoncés publiquement et mis face à leurs responsabilités.

L'année dernière, le gouvernement turc a fait deux progrès significatifs pour permettre un contrôle indépendant des postes de police. Il a d’abord signé le protocole additionnel de la convention de l’ONU contre la torture, s’obligeant ainsi à établir « un système de visites régulières entreprises par des corps indépendants nationaux et internationaux pour dans les endroits où les personnes sont privées de liberté, dans le but d’empêcher la torture et autres traitements ou punitions cruels, inhumains ou dégradants ». Cela a certes montré l’approbation du gouvernement face à la nécessité de contrôles indépendants dans les lieux de détention, mais pourra prendre plusieurs années pour être pleinement mis en place.

Deuxièmement, le réseau national de « comités des droits de l’homme » a commencé ses visites dans les postes de police, une mesure provisoire jusqu'à ce qu'un système de contrôle permanent puisse être établi conformément aux engagements du protocole additionnel.

Le système de contrôle du comité des droits de l'homme en est toujours à un stade expérimental et de nouvelles avancées seront nécessaires pour garantir son abilité à combattre la torture en Turquie. Human Rights Watch a proposé un certain nombre de recommandations au gouvernement turc. Pour accroître l'indépendance des comités, le gouvernement devrait encourager les délégués d'associations médicales ou de tribunaux à diriger les activités de contrôle, à fournir aux comités des ressources, indépendamment de celles des gouverneurs locaux (qui sont responsables de la police dans la province) et inviter les ONG de défense des droits de l'homme (comme Mazlum-Der et Human Rights Association), comme conseillères, à assister les comités lors des visites.

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