(New York)-
Les Etats africains devraient rejeter l'offre faite par le Soudan d'assumer la présidence de l'Union africaine, au motif que les attaques de Khartoum contre les civils, son soutien aux milices et l'impunité pour les crimes de guerre perpétrés au Darfour se poursuivent sans l'ombre d'un changement, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Lors de son sommet d'Addis-Abeba qui se tiendra les 29 et 30 janvier, l'Union africaine décidera quel pays occupera la présidence en 2007.
« L'année dernière, Khartoum a refusé de faire de véritables efforts pour mettre un terme à sa politique d'exactions au Darfour », a déclaré Peter Takirambudde, directeur à la division Afrique de Human Rights Watch. « Offrir la présidence au Soudan n'équivaudrait pas seulement à récompenser les commanditaires de crimes contre l'humanité au Darfour. Cela discréditerait à tout jamais l'UA ».
La préoccupation que nourrissent les gouvernements africains à propos du rôle que persiste à jouer Khartoum dans les exactions commises au Darfour, région occidentale du Soudan, a conduit l'Union africaine à différer à deux reprises la présidence du Soudan, tout d'abord en 2005, et ensuite en janvier 2006. En janvier 2006, les Etats de l'UA ont nommé le Congo Brazzaville à la présidence pour un an, le Soudan étant proposé pour la forme pour occuper le poste en 2007.
Il n'existe aucun critère établi pour assumer la présidence de l'UA hormis le principe de rotation entre les sous-régions de l'Afrique. Le bilan désastreux du Soudan en matière de droits de l'homme et sa responsabilité dans les crimes massifs perpétrés au Darfour ont constitué des raisons implicites pour que l'UA reporte la présidence soudanaise. Le rôle de l'UA en qualité de médiatrice dans les pourparlers de paix au Darfour est également un facteur critique, bon nombre d'observateurs invoquant un conflit d'intérêts si l'une des parties belligérantes venait à assumer la présidence de l'UA.
« Aucune amélioration n'a été constatée au Darfour l'année dernière. En fait, la situation a même empiré », a souligné Takirambudde. « Les responsables soudanais peuvent s'engager à opérer des progrès mais leurs promesses demeureront vaines s'ils ne commencent pas à les réaliser sur le terrain ».
Depuis que le conflit au Darfour a éclaté au début de l'année 2003, au moins 200.000 personnes ont perdu la vie et 2 millions ont été déplacées, principalement suite aux attaques menées à l'encontre des civils par le gouvernement soudanais et ses milices « janjawid ».
La situation au Darfour s'est considérablement détériorée au cours de l'année 2006, en grande partie à cause de la poursuite, par le gouvernement soudanais, de sa politique qui consiste à armer les milices coupables d'exactions, à attaquer les civils et à faire en sorte que les auteurs des violences jouissent d'une impunité totale. Les divisions politiques entre les mouvements rebelles ont également contribué à la dégradation de la situation, surtout depuis l'échec de l'accord de paix de mai 2006.
Fin 2006, le gouvernement soudanais a repris sa campagne de recrutement de milices et ses bombardements aériens aveugles sur les zones aux mains des rebelles, provoquant la mort de civils. Les agences humanitaires opérant au Darfour font l'objet d'un nombre croissant d'attaques; au moins 12 travailleurs humanitaires ont été tués en 2006. Cette tendance menace la capacité des agences humanitaires à fournir une assistance aux 3,5 millions de personnes au Darfour qui dépendent de leur aide pour survivre.
Le Soudan s'obstine à résister aux efforts internationaux visant à renforcer la Mission de l'Union africaine au Soudan (AMIS) forte de 7 000 hommes en lui adjoignant des forces de l'ONU. Cette initiative internationale bénéficie de l'appui de nombreux gouvernements face au refus du Soudan d'assurer la protection des civils au Darfour. Les responsables soudanais ont refusé le déploiement d'une mission de l'ONU autorisée par le Conseil de Sécurité en août dernier, et ils ont retardé un accord sur une proposition de force hybride UA-ONU dont l'UA et l'ONU ont discuté en novembre à Addis-Abeba.
Selon des déclarations faites dans la presse, pas plus tard que le 10 janvier, les responsables du gouvernement soudanais, dont le Président Omar El Bashir, ont réitéré leur refus obstiné d'une présence des troupes de l'ONU. Avant cette date, certains responsables soudanais avaient apparemment exprimé leur accord sur le déploiement en trois phases d'une force hybride UA-ONU, y compris une troisième phase prévoyant une augmentation considérable du nombre de soldats.
« Le Soudan a manqué à chacun de ses engagements sur le Darfour: la protection des civils, l'accès humanitaire et la traduction en justice des auteurs de délits graves », a ajouté Takirambudde. « Si l'UA considère que les politiques du Soudan au Darfour constituent des critères essentiels pour pouvoir assumer la présidence de l'UA, alors Khartoum a échoué sur tous les points ».