(Nairobi)- Trente-cinq des principales organisations africaines de défense des droits de l’Homme ont invité l’Union africaine à se déclarer en faveur de l’extradition de l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré vers la Belgique afin qu’il y réponde d’accusations de crimes contre l’humanité, ou à organiser rapidement son procès en Afrique.
Le gouvernement du Sénégal a demandé à l’Union africaine—qui tiendra son Sommet à Khartoum au Soudan le 23 et 24 janvier prochain—de décider de ce qu’il adviendra de Habré.
Dans une lettre adressée aux Chefs d’Etat de l’Union africaine, les ONGs ont déclaré que l’extradition de Habré « constituerait un acte décisif dans la lutte contre l’impunité des auteurs de violations massives des droits de l’homme ».
Les organisations ont également rejeté l’idée, avancée par certains, selon laquelle Habré ne peut qu’être jugé en Afrique.
« Nous aurions bien évidemment souhaité que Habré puisse être jugé en Afrique » consent la lettre avant de souligner « Mais le fait est que le Sénégal a refusé de poursuivre Hissène Habré lorsqu’il en a eu l’opportunité en 2000, que le Tchad n’a jamais sollicité l’extradition de l’ex-président tchadien (et ne pourrait, en tout état de cause, lui garantir un procès équitable), et qu’aucun autre pays n’a formulé de demande d’extradition à son encontre ».
La lettre conclut « Les victimes d’Hissène Habré ont déjà attendu 15 années avant de trouver une juridiction qui soit prête à les entendre, et beaucoup de survivants sont déjà décédés ».
Si le Sommet rejette l’idée que le procès se tienne en Belgique, estiment les ONGs, il doit proposer une alternative viable et rapide.
« Si les leaders africains ne souhaitent pas envoyer Hissène Habré à Bruxelles, alors ils se doivent de proposer un plan réaliste qui aboutirait à un procès équitable et dans des délais raisonnables en Afrique », affirme Jennifer Miano, Directrice exécutive de la Commission des Droits de l’homme du Kenya.
« Si l’Union africaine dit ‘non’ à la Belgique, il faut qu’elle dise ‘oui’ à un procès pour Hissène Habré en Afrique et adopte une feuille de route pour que ce procès ait effectivement lieu », a déclaré Reed Brody de Human Rights Watch, qui coordonne la campagne de soutien des victimes dans leur quête de justice. « Les victimes de Habré se sont battues assez longtemps avant de trouver un tribunal qui veuille connaître et reconnaître leur souffrance ».
Figurent parmi les signataires de cette lettre les principales organisations de défense des droits de l’Homme au Sénégal et au Tchad, ainsi que l’Union Interafricaine pour les droits de l’Homme qui réunit près de quarante ONGs poursuivant leur action à travers l’Afrique.
« L’Union Africaine doit opter pour la Justice, non pour l’impunité », a déclaré Mr. Halidou Ouedraogo, Président de l’UIDH
Rappel des faits
Hissène Habré a dirigé le Tchad de 1982 à 1990 jusqu’à son renversement par l’actuel président Idriss Déby et sa fuite vers le Sénégal. Son régime de parti unique fut marqué par une terreur permanente, de graves et constantes violations des droits de l’homme et des libertés individuelles et de vastes campagnes de violence à l’encontre de son propre peuple. Habré a périodiquement persécuté différents groupes ethniques dont il percevait les leaders comme des menaces à son régime notamment les Sara et d’autres groupes sudistes de 1983 à 1986, les Arabes, les Hadjeraïs à partir de 1987 et les Zaghawas en 1989 et 1990. Les archives de la police politique de Hissène Habré, la DDS (Direction de la Documentation et de la Sécurité), découvertes par Human Rights Watch en 2001, révèlent les noms d’au moins 1,208 personnes mortes en detention. Sur la base de ces documents, il a été également établi que Hissène Habré a reçu 1,265 communications directes de la DDS concernant le statut de 898 détenus.
En février 2000, un juge sénégalais a inculpé Hissène Habré pour complicité de crimes contre l’humanité et complicité d’actes de torture et de barbarie, et l’a placé en résidence surveillée. Mais en mars 2001, la Cour de Cassation du Sénégal s’est déclarée incompétente pour juger de crimes commis à l’étranger. Les victimes de l’ancien dictateur ont immédiatement annoncé qu’elles chercheraient à faire extrader Habré vers la Belgique, où des plaintes avaient été déposées contre lui par 21 de ses victimes, dont trois de nationalité belge. Le Président du Sénégal, Abdoulaye Wade, a alors declaré qu’il acceptait de garder Habré sur le sol sénégalais et que « Si un pays, capable d’organiser un procès équitable—on parle de la Belgique—le veut, je n’y verrais aucun obstacle ».
Suite à l’enquête menée par un juge belge pendant quatre ans, un mandat d’arrêt international a été délivré à l’encontre de M. Habré le 19 Septembre 2005 et les autorités sénégalaises ont procédé a son arrestation au Sénégal le 15 Novembre. Le 25 Novembre, la Cour d’appel de Dakar s'est déclarée incompétente pour statuer sur la demande d’extradition déposée par Belgique. Le 27 Novembre, le Ministre sénégalais des Affaires Etrangères, Monsieur Cheikh Tidiane Gadio, a déclaré « qu’il appartient au Sommet de l’Union africaine d’indiquer la juridiction compétente pour juger cette affaire ». Le Sommet de l’Union africaine est prévu le 23 et 24 janvier prochain à Khartoum.
La lettre des ONGs
Aux chefs d’Etat de l’Union Africaine
Nous, soussignés les ONG africaines, appelons l’Union Africaine à encourager le Sénégal afin qu’il accepte d’extrader l’ancien chef d’Etat tchadien Hissène HABRE en Belgique, où il fait l’objet d’un mandat d’arrêt pour comparaître des chefs de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de torture. Le Président du Sénégal, Abdoulaye WADE a mis le sujet à l’ordre du jour du prochain sommet de l’Union africaine.
L’extradition d’Hissène HABRE en Belgique, qui est soutenue par le gouvernement tchadien, constituerait un acte décisif dans la lutte contre l’impunité des auteurs de violations massives des droits de l’Homme.
Monsieur HABRE est accusé d’atrocités commises à grande échelle. En effet, une Commission d’enquête du Ministère tchadien de la justice a reconnu que le régime de Monsieur HABRE était responsable de la mort de quelques 40.000 tchadiens et qu’il avait pratiqué la torture de façon systématique. Monsieur HABRE a persécuté, par périodes, différents groupes ethniques, notamment les Sara (1983-1986), les Arabes, les Hadjeraï (1987), et les Zaghawas (1989-90), assassinant et arrêtant en masse les membres de ces groupes. Les archives de la police politique de Monsieur HABRE, la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), ont permis de révéler un décompte détaillé des victimes de la répression de Monsieur HABRE. Ces documents font ainsi état d’un total de 12.321 victimes, dont 1.208 personnes mortes en détention.
Certains se refusent à admettre qu’un ancien chef d’Etat africain réponde de ses crimes devant une instance européenne. Nous aurions bien évidemment souhaité que Monsieur HABRE puisse être jugé en Afrique. Mais le fait est que le Sénégal a refusé de poursuivre Hissène HABRE lorsqu’il en a eu l’opportunité en 2000, que le Tchad n’a jamais sollicité l’extradition de l’ex-président Tchadien (et ne pourrait, en tout état de cause, lui garantir un procès équitable), et qu’aucun autre pays n’a formulé de demande d’extradition à son encontre. Par ailleurs, la création d’un Tribunal africain pour juger des crimes présumés commis par Monsieur HABRE serait trop éloignée dans le temps, trop aléatoire et trop coûteuse.
A moins qu’un pays africain, doté d’un système judiciaire indépendant compétent pour connaître de ces faits, et respectant les normes internationales en matière de procès équitable, et qui mettrait au point un arrangement permettant le transfert intégral des résultats de l’instruction menée en Belgique pendant quatre ans demande rapidement l’extradition d’Hissène HABRE, l’extradition de Monsieur HABRE vers la Belgique reste l’option la plus concrète, la plus réaliste et la plus opportune pour s’assurer qu’il répondra des charges retenues contre lui, et ce avec toutes les garanties d’un procès équitable.
Les victimes d’Hissène HABRE ont déjà attendu 15 années avant de trouver une juridiction qui soit prête à les entendre, et beaucoup de survivants sont déjà décédés.
Par conséquent, nous appelons l’Union Africaine à choisir la justice au lieu de l’impunité, et à préconiser l’extradition d’Hissène HABRE en Belgique.
Les ONGs signataires :
L’Union Interafricaine des Droits de l’Homme (UIDH)
L'Association des Victimes des Crimes et Répressions Politiques au Tchad (AVCRP)
L'Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l'Homme (ATPDH)
La Ligue Tchadienne des Droits de l'Homme (LTDH)
Association pour la promotion des libertés fondamentales au Tchad (APLFT)
Coalition Sénégalaise pour l’extradition de Hissène Habré vers la Belgique
La Rencontre Africaine de Défense des Droits de l'Homme (RADDHO)
La Coalition Sénégalaise des Défenseurs des Droits Humains
La Ligue des Droits de la personne dans la region des Grands Lacs
Association pour le Developpement Humain et Social en Mauritanie
Mouvement des réfugiés mauritaniens au Sénégal pour la défense des Droits de l'Homme
Groupe d’étude et de recherche sur la démocratie et le développement économique et social au Burkina (G.E.R.D.D.E.S.)
Section béninoise d'Amnesty International
Club Union Aricaine (Côte d’Ivoire)
African Children Development (Côte d’Ivoire)
Mouvement Ivoirien des Droits Humains
Mouvement Burkinabe des Droits de l’Homme et des Peuples
Réseau des Journalistes pour les Droits de l'Homme (RJDH—Niger)
Solidarité des femmes de Fizi pour le Bien être familial (RDC)
Action Sociale pour la Paix et le Développement (ASPD—RDC)
Commission Diocésaine Justice et Paix (CDJP/Kalemie—RDC)
Arche d’Alliance (Association de promotion et de défense des droits de la personne humaine en République Démocratique du Congo).
Centre des droits de l'homme et du développement (CDHD—Republique du Congo)
Organisation Méditerranée pour le Développement et l’action humanitaire
Ligue Djiboutienne des Droits Humains
SOS Aux Victimes de Non-Droit (Madagascar)
Center for Democratic Empowerment (CEDE—Liberia)
Hurinet—Uganda: Human Rights Network
National Society for Human Rights—Namibia
Media Institute of Southern Africa
SANGONET—South African NGO Network
Youth Development Forum—Uganda
Volia Basin Development Foundation (Ghana)
Inter African Network for Women, Media, Gender and Development
Kenya Human Rights Commission