(Dakar)- Les autorités sénégalaises ont placé le sort de Hissène Habré, ancien président tchadien vivant en exil au Sénégal, entre les mains de l’Union africaine. Human Rights Watch insiste sur les obligations conventionnelles du Sénégal de poursuivre ou d’extrader Habré et appelle l’ensemble des Chefs d’Etat de l’Union africaine à se prononcer favorablement à l’extradition de Habré vers la Belgique pour répondre des accusations de violations massives des droits de l'homme qui lui sont reprochées.
Le Ministre sénégalais des affaires étrangères, Monsieur Cheikh Tidiane Gadio, a déclaré dimanche qu’il autorisait Hissene Habré, arrêté la veille puis relâché quelques heures après, à séjourner sur le territoire sénégalais le temps que l’Union africaine décide de « la juridiction compétente pour juger cette affaire » lors de son prochain sommet en janvier 2006.
Human Rights Watch a tenu à souligner les propos du Ministre qui s’est dit « sensible aux plaintes des victimes qui demandent Justice s'agissant d'une personne accusée de crimes odieux, voire de crimes contre l'Humanité », et a expressément indiqué que le Sénégal « s'abstiendra de tout acte qui pourrait permettre à M. Hissène Habré de ne pas comparaître devant la justice. »
« Ayant refusé de juger Hissène Habré lorsqu’il en avait l’opportunité, le Sénégal ne peut éluder ses obligations conventionnelles d’extrader Habre, » a déclaré Reed Brody de Human Rights Watch, qui coordonne la campagne de soutien des victimes dans leur quête de justice. « Les tribunaux belges, qui ont consacré les quatre années à enquêter sur les plaintes déposées à l’encontre de Hissène Habré, permettront à Habré de répondre à ces accusations dans le cadre d’un procès juste et équitable. Nous sommes confiants que l’Union africaine optera pour la justice et non pour l’impunité » a ajouté Reed Brody.
Le 19 septembre dernier, la Belgique avait délivré un mandat d’arrêt international à l’encontre de Habré pour crimes contre l’Humanité, crimes de guerre, actes de torture ainsi que pour violations graves du droit international humanitaire. Les archives de la police politique de Hissène Habré, découvertes par Human Rights Watch, révèlent les noms d’au moins 1,208 personnes mortes en détention, ainsi que les noms de plus de 12,000 victimes d’abus de toute sorte.
Samedi, au lendemain du déliberé de la Chambre d’accusation de la Cour d’appel qui s’était déclarée incompétente pour statuer sur la demande d’extradition déposée par la Belgique, le Ministre sénégalais de l’Intérieur avait pris un arrêté mettant Hissène Habre « à la disposition » du Président du Nigeria, Olusegun Obasanjo, actuel Président de l’Union africaine. Dimanche, le Ministre sénégalais des affaires étrangères, Monsieur Cheikh Tidiane Gadio, a déclaré que Habré serait maintenu sur le territoire sénégalais le temps que l’affaire soit portée devant le prochain Sommet des chefs d’Etat de l’Union Africaine, prévu à Khartoum les 23 et 24 janvier 2006. Le porte-parole du Président Obasanjo avait fait quelques heures auparavant une déclaration similaire.
« En mémoire des victimes, cette affaire ne devrait pas se transformer en feuilleton politico-médiatique » a ajouté Reed Brody. « Les victimes de Habré ont souffert et ont attendu trop longtemps avant de trouver une tribune qui veuille connaître et reconnaître leur souffrance. La Belgique est disposée et en mesure d’accueillir ce procès ».
Human Rights Watch a tenu , en outre, à rappeler que le gouvernement tchadien a toujours soutenu l’extradition de l’ancien président tchadien vers la Belgique. En 2002, le ministre tchadien de la Justice avait écrit au juge d’instruction belge déclarant que «Il est clair que Monsieur Hissène Habré ne peut prétendre à une quelconque immunité de la part des Autorités Tchadiennes». Jeudi dernier à Bruxelles, le président tchadien Idriss Déby a lancé un appel à son homologue sénégalais de « faire les choses comme il l'a dit » et d’extrader Hissène Habré vers la Belgique.
Il y a deux semaines, des milliers de Tchadiens ont manifesté dans les rues de N’Djamena pour exprimer leur soutien à l’extradition de leur ancien dictateur vers la Belgique.
L’extradition de Hissène Habré vers la Belgique est soutenue par Monsieur Alpha Konaré, Président de la Commission de l’Union africaine.
Résumé de l’affaire
Hissène Habré a dirigé le Tchad de 1982 à 1990 jusqu’à son renversement par l’actuel président Idriss Déby et sa fuite vers le Sénégal. Son régime de parti unique fut marqué par une terreur permanente, de graves et constantes violations des droits de l’homme et des libertés individuelles et de vastes campagnes de violence à l’encontre de son propre peuple. Habré a périodiquement persécuté différents groupes ethniques dont il percevait les leaders comme des menaces à son régime, notamment les Sara et d’autres groupes sudistes de 1983 à 1986, les Arabes, les Hadjeraïs à partir de 1987 et les Zaghawas en 1989 et 1990. Les archives de la police politique de Hissène Habré, découvertes par Human Rights Watch, révèlent les noms d’au moins 1,208 personnes mortes en détention, ainsi que les noms de plus de 12,000 victimes d’abus de toute sorte.
En février 2000, un juge sénégalais a inculpé Hissène Habré pour complicité de crimes contre l’humanité et complicité d'actes de torture et de barbarie et l’a placé en résidence surveillée. En mars 2001, toutefois, la Cour de Cassation du Sénégal s’est déclarée incompétente pour juger des crimes commis à l’étranger. Les victimes de l’ancien dictateur ont alors immédiatement annoncé qu’elles chercheraient à faire extrader Habré vers la Belgique, où des plaintes avaient déjà été déposées contre lui par 21 de ses victimes, dont trois de nationalité belge. Suite à l’enquête menée par un juge belge, la Belgique a délivré un mandat d’arrêt international à l’encontre de Habré le 19 septembre 2005.