(New York)- Six complices de l’ancien dictateur du Tchad, Hissène Habré, ont été, cette semaine, démis de leurs fonctions au sein de l’appareil sécuritaire de l’État.
Cette décision survient un mois après la publication du rapport de Human Rights Watch qui dénonçait que ces 6 personnes et 35 autres complices d’Habré, pour la plupart accusés d’actes de torture et d’assassinats, occupaient toujours des postes de responsabilités au Tchad.
Parmi les personnes remplacées figurent notamment l’influent directeur de la Police Judiciaire qui occupait sous Habré le poste de Directeur adjoint de la Sécurité Nationale, également un chef de la surveillance d’une préfecture qui était alors le directeur de la police politique de Habré, la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), et un officier identifié dès 1992 par une Commission d’enquête comme l’un des «tortionnaires les plus redoutés » du Tchad. Il semble, en outre, que cette vague de révocations n’est pas terminée et que d’autres révocations seraient attendues.
Habré, qui a fui le Tchad le 1er décembre 1990, a été par la suite inculpé en 2000 au Sénégal de complicité de crimes contre l’humanité, d’actes de torture et de barbarie. Cependant, les tribunaux sénégalais ont estimé que l’ex-dictateur ne pouvait pas être jugé au Sénégal, le pays d’exil d’Habré pour des crimes commis au Tchad. Ce dernier fait aujourd’hui l’objet de chefs d’accusations similaires en Belgique où un juge poursuit son enquête laquelle devrait aboutir à une demande d’extradition.
Human Rights Watch se félicite d’apprendre la destitution de ces anciens tortionnaires et encourage le gouvernement à mettre tous les moyens en œuvre afin que les poursuites pénales contre les agents du régime Habré aboutissent enfin. Les plaintes déposées par les victimes devant les tribunaux tchadiens à l’encontre de ces responsables piétinent toujours du fait que le juge d’instruction ne bénéficie ni de moyens financiers suffisants ni de conditions de sécurité appropriées lui permettant de mener son enquête.
Human Rights Watch renouvelle ses appels au gouvernement tchadien quant à l’indemnisation des victimes de Habré et à la mise en œuvre des recommandations proposées dès 1992 par la Commission d’enquête du Ministère tchadien de la justice sur les crimes de Hissène Habré suggérant d’ériger un monument à la mémoire des victimes du régime Habré et de transformer en musée les anciens locaux de la DDS et la prisons souterraine de « La Piscine ».
« La destitution de plusieurs subordonnés et complices de Habré est une avancée considérable dans le sens de la justice », s’est réjouit Reed Brody de Human Rights Watch. « Le gouvernement tchadien doit maintenant continuer son action et soutenir les poursuites judiciaires à leur encontre et assurer enfin la reconnaissance et l’indemnisation financière des victimes de Habré. »
L’ancien ministre tchadien de la Communication, Barthelemy Natoingar Mbainodji, qui s’était exprimé le 12 juillet dernier sur RFI Afrique Soir et BBC Afrique suite à la publication du rapport de Human Rights Watch, avait souligné à cet égard que « l’indemnisation et l’érection des monuments à la mémoire des victimes des crimes et répressions politiques sous le régime de l’ancien président Hissène Habré sont les meilleurs vœux du gouvernement tchadien » et qu’il souhaitait que de telles mesures soient prises le plus rapidement possible. Il a également réitéré la promesse du Président Idriss Déby de retirer « tous les obstacles venant du Tchad ou de l’étranger susceptibles d’entraver notre quête commune de la justice. »
Au rang des anciens responsables et agents de la DDS, cités dans le rapport de Human Rights Watch et qui viennent de faire l’objet de mesures de révocation, figurent:
- Mahamat Wakaye Directeur adjoint de la Surete Nationale sous Habré, il occupait il y a une semaine encore le poste de Directeur de la Police Judiciaire. Wakaye a été jugé mais relaxé en 2003 pour la tentative d’assassinat contre Maître Jacqueline Moudeina, l’avocate des victimes de Habré dans le dossier de plainte déposées au Tchad contre Wakaye et d’anciens agents du régime Habré.
- Ahmat Allatchi, Directeur de la DDS sous Habré, limogé de son poste de chef de la Surveillance du Territoire du Chari/Baguirmi.
- Warou Ali Fodou, chef de la Sécurité Fluviale de la DDS sous Habré, limogé de son poste de commandant adjoint du Corps Urbain de Adré. La Commission d’enquête décrit Warou Ali Fodou comme l’un des « tortionnaires les plus redoutés » du Tchad et «dirigeant personnellement les opérations de massacres ».
- Gamar Daouro, Chef adjoint du service de Contre-Espionnage de la DDS sous Habré, limogé de son poste de chef du service d’Exploitation des étrangers de la Police Nationale.
- Nodjina Jérôme, Chef adjoint du service « Recherches » et Officier de Sécurité de la DDS sous Habré, limogé de son poste de Commandant Principal Corps Urbain a Moundou. Selon la Commission d’Enquête, Nodjinan Jérôme faisait partie de la commission chargée de l’arrestation des membres de l’ethnie Zaghawa en 1989.
- Ali Noukouri, Chef de service de la Sécurité Intérieure de la DDS sous Habré, limogé de son poste de Commandant de Police de la ville de Doba.
Résumé de l’affaire Hissène Habré
Hissène Habré dirigea l’ancienne colonie française du Tchad de 1982 jusqu’à son renversement en 1990 par l’actuel président Idriss Déby et sa fuite vers le Sénégal. Son régime de parti unique, marqué par l’étendue de ses atrocités, fut soutenu par la France et les Etats-Unis. Une commission d’enquête nationale accusa le régime de Hissène Habré de plus de 40,000 assassinats politiques et de tortures systématiques. Les archives de la DDS, découvertes par Human Rights Watch, contiennent les noms d’au moins 12.321 victimes et apportent des preuves sur les cas de 1.208 individus morts en détention.
En février 2000, Hissène Habré fut inculpé au Sénégal pour complicité de crimes contre l’humanité, d’actes de torture et de barbarie mais la Cour de Cassation sénégalaise a juge que ce dossier ne relevait pas de sa compétence territoriale. Les victimes de Hissène Habré ont alors déposé une plainte en Belgique sur le fondement de la loi belge dite « de compétence universelle » qui est maintenant abrogée et le Sénégal a accepté de faire droit a la demande des Nations Unies consistant à maintenir Hissène Habré sur son territoire dans l’attente d’une demande d’extradition. Un juge belge et une équipe de police se sont rendus au Tchad en 2002. Ils ont pu y questionner les victimes de Hissène Habré et de ses complices. Ils ont visité d’anciennes prisions et ont eu accès aux archives de la terrible police politique de Hissène Habré. Le traitement du dossier n’a pas été affecté par l’abrogation de la loi belge dite « de compétence universelle » parce que d’une part l’instruction avait déjà commencée et d’autre part plusieurs plaignants étaient de nationalité belge. Le juge belge poursuit son instruction et l’inculpation et l’extradition de Hissène Habré vers la Belgique restent la suite logique et espérée de cette affaire.