L’armement des civils par des responsables de l’Est du Congo a accru le risque de nouvelles violences et sapé les efforts des Nations unies pour stabiliser cette région en effervescence, estime Human Rights Watch dans un rapport publié mercredi.
Les factions rivales de l’armée congolaise, qui se sont affrontées en décembre, ont exécuté des civils, violé de nombreuses femmes et filles dans trois villes du Nord-Kivu, province instable de l’est de la République Démocratique du Congo. Les victimes ont été ciblées en fonction de leur appartenance ethnique et de leurs loyautés politiques supposées. Ces abus ont été exacerbés par les responsables du gouvernement local qui a armé des civils hutus non formés dans les mois qui ont précédé ces affrontements.
« L’armement des civils dans un contexte de tension ethnique et de conflit est irresponsable et dangereux », souligne Alison Des Forges, conseillère spéciale pour l’Afrique de Human Rights Watch. « Le gouvernement congolais et les forces de maintien de la paix de l’ONU doivent prendre des mesures immédiates pour désarmer le civiles et réduire les tensions locales ».
Dans un rapport de 38 pages intitulé « RD Congo : Attaques contre des civils au Nord-Kivu », Human Rights Watch rapporte des crimes de guerre circonstanciés et autres graves violations des droits humains commis lors des affrontements de décembre. L’échec à intégrer dans les rangs d’une armée nationale unifiée les anciens groupes combattants apparaît comme l’une des causes majeures du conflit, l’autre étant les tensions ethniques ravivées au Nord-Kivu. Certains des civils nouvellement armés ont en effet pris part aux violations des droits humains.
Les soldats du Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Goma, (RCD-Goma), un ancien mouvement rebelle devenu parti politique qui siège au gouvernement congolais de transition, ont affronté les troupes de l’armée congolaise en décembre afin d’assurer le contrôle du mouvement sur son fief du Nord-Kivu. Ces combats se sont déroulés dans un contexte de tension croissante entre le Congo et le Rwanda. Le Rwanda a soutenu le RCD-Goma pendant la guerre qui a pris fin avec le retrait officiel des troupes étrangères du territoire congolais en 2002.
Dans les mois qui ont précédé ces combats, les responsables administratifs et militaires loyaux au gouverneur du Nord-Kivu, Eugène Serufuli, ont distribué des milliers d’armes aux civils hutus de la province. Eugène Serufuli est lui-même un membre haut-placé du RCD-Goma. Pour les observateurs locaux, il s’agissait là d’une tentative du gouverneur de contrer les plans du gouvernement national basé à Kinshasa, afin de garder le contrôle de cette région stratégique, frontalière du Rwanda.
Des Hutus ont été menacés, et au moins l’un d’entre eux a été tué, pour s’être opposés aux distributions d’armes. Dans le chef-lieu de la province, Goma, cinq militants congolais des droits humains qui dénonçaient ces distributions d’armes et les abus perpétrés en décembre ont été menacés et ont dû quitter la ville.
Les distributions d’armes aux civils du Nord-Kivu illustrent une fois encore le problème de la prolifération des petites armes en Afrique centrale, qui a fait l’objet cette semaine d’une réunion des Nations unies à New York consacrée au trafic illicite des petites armes. En 2003, suite au conflit brutal qui a ensanglanté le pays, le Conseil de sécurité de l’ONU a imposé un embargo sur les armes à destination de l’Est de la République démocratique du Congo. Cet embargo a été récemment étendu à l’ensemble du pays.
« Le gouvernement congolais doit collecter et se débarrasser de toutes les armes à feu détenues illégalement par des civils dans la partie orientale instable du pays », insiste Alison Des Forges. « Et tous les pays de la région doivent respecter l’embargo de l’ONU sur les armes à destination de la RDC ».
Les soldats et les forces irrégulières de tous bords ont commis des viols et assassinats de civils, ainsi que des pillages à grande échelle, pendant la semaine - et après - des violents combats de décembre à Kanyabayonga et dans d’autres localités du Nord-Kivu. Une femme a rapporté à Human Rights Watch que deux de ses filles ont été tuées quand les combattants du RCD-Goma ont ouvert le feu sur une foule dans une église.
Dans un village hutu, les combattants Mayi-Mayi – une milice locale hostile au Rwanda et au RCD-Goma – ont lancé une grenade contre une noce, tuant plusieurs des invités dont un enfant de trois ans porté au dos par une femme. Les combats et les pillages à Kanyabayonga et dans la ville de Nyabyondo, ont forcé des dizaines de milliers d’habitants à fuir dans la forêt où ils étaient hors d’atteinte de l’aide humanitaire.
Ces derniers mois, la mission de maintien de la paix de l’ONO, la MONUC, et l’armée congolaise ont conduit une campagne sérieuse de désarmement dans le district de l’Ituri, dans le nord-est du Congo. Mais ils n’ont pas réussi à mettre en place une stratégie pour le Nord-Kivu.
Depuis les combats de décembre, plusieurs incidents violents ont éclaté entre des factions rivales de l’armée, causant des morts parmi la population civile. Le 30 juin à Goma, les affrontements entre d’anciennes forces du RCD-Goma et des Mayi-Mayi ont fait trois morts parmi les combattants et quatre parmi les civils. Le 2 juillet, des combattants nouvellement intégrés et cantonnés dans un camp militaire aux abords de Goma ont incendié plusieurs huttes dans un village proche, peuplé de Hutus et de Tutsis, pour venger la mort d’un soldat tué, selon les informations, par un civil armé.
« Les civils ont subi les violents effets des combats internes à l’armée congolaise » indique Des Forges. « Les soldats et leurs officiers doivent en être tenus pour responsables. Perpétrer l’impunité ne fera qu’ajouter de nouvelles tensions et de nouveaux abus ».