(Nairobi) – Les Forces de soutien rapide (RSF), un groupe armé soudanais, ont tué, blessé et détenu illégalement des dizaines de civils et violé des femmes et des filles lors d’attaques dans l’État d’Al Gezira situé dans le centre du pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Compte tenu de l’ampleur et de la gravité de la menace qui pèse sur les civils, le Royaume-Uni devrait profiter de sa présidence du Conseil de sécurité des Nations Unies en novembre pour faire pression sur l’ONU, afin de déployer une mission de protection des civils au Soudan.
Depuis la défection le 20 octobre 2024 d’un allié important des RSF dans l’est d’Al Gezira, les RSF ont attaqué au moins 30 villages et villes, un nombre certainement sous-estimé, dont Rufaa, Tamboul, Al-Sireha et Azrag. L’ONU a déclaré que plus de 130 000 personnes ont fui les attaques vers d’autres régions du Soudan.
« Cette récente recrudescence massive des attaques odieuses des Forces de soutien rapide contre les civils montre qu’il est futile d’espérer une cessation de ces crimes sans une réponse internationale forte », a déclaré Mohamed Osman, chercheur sur le Soudan à Human Rights Watch. « Il est clair que les faibles mesures prises à ce jour par le Conseil de sécurité de l’ONU ne suffisent pas à protéger les civils. Le Conseil devrait autoriser d’urgence le déploiement d’une mission de protection des civils. »
Les forces RSF, qu’un conflit oppose aux Forces armées soudanaises (SAF), ont pris le contrôle de Wad Madani, la capitale de l’État d’Al Gezira, en décembre 2023 et ont depuis lors commis de graves abus, notamment des violences sexuelles et des meurtres, dans cet État. Le 20 octobre, Abu Agla Keikel, le commandant d’une force alliée des RSF dans l’État, a fait défection et a rejoint les SAF ; ceci a déclenché la récente recrudescence des attaques de représailles contre les civils, notamment ceux de la même communauté ethnique de Keikel.
Alors que les limitations des communications et de l’accès entravent la couverture des événements en temps réel, Human Rights Watch a mené des entretiens avec six personnes, dont des témoins et des observateurs locaux des droits humains. Human Rights Watch a également vérifié deux vidéos montrant des combattants RSF qui arrêtaient des hommes dans le village d’Al-Sihera, et a examiné des images satellite de nouveaux sites de sépultures possibles dans le village.
Une femme de 55 ans de Tamboul a déclaré que des combattants des RSF ont tiré sur des maisons alors qu’ils entraient dans la ville le 22 octobre. Les forces ont rassemblé des hommes et des garçons près de sa maison. « J’ai vu un soldat des RSF tirer une balle dans la poitrine d’un homme », a-t-elle déclaré. « Ils n’arrêtaient pas de crier en nous ordonnant de quitter la ville. Ils ont dit que quiconque resterait ici ne serait pas considéré comme un civil. »
Un autre habitant a déclaré que les combattants étaient venus chez lui le même jour : « Les soldats des RSF étaient furieux… ils n’arrêtaient pas de me demander si j’étais de la famille de Keikel ou si je savais où se trouvait sa famille. Ils ont menacé de tuer toute personne qui aurait des liens avec lui. » Selon le Sudan Protection Cluster, les RSF ont affronté les SAF à Tamboul le 23 octobre. Ce site a rapporté que les attaques et les combats ont fait environ 300 morts parmi les civils.
Les 25 et 26 octobre, les RSF ont attaqué le village d’Al-Sireha, se heurtant à des habitants armés, faisant 124 morts et plus de 200 blessés parmi les civils. Un habitant a vu des véhicules des RSF tirer avec des fusils montés sur châssis et des grenades à propulsion par roquette alors qu’ils entraient dans le village le matin du 25 octobre. Il a pris la fuite plus tard dans la journée. « Nous avons vu des piles de corps, dont deux enfants, près d’un des canaux d’irrigation », a-t-il déclaré.
Selon des observateurs locaux, les RSF ont arrêté plus de 150 personnes à Al-Sireha. Deux vidéos publiées sur Facebook le 26 octobre et vérifiées par Human Rights Watch montrent des combattants des RSF arrêter une centaine d’hommes dans le village d’Al-Sireha.
La première vidéo montre au moins 68 hommes détenus à l’intersection nord-ouest du village. Une vingtaine d’entre eux sont assis par terre, certains avec des vêtements tachés de sang. Le combattant RSF qui les filme, dit en arabe : « Keikel… regarde, ce sont tes gens », et force les détenus à imiter des cris d’animaux.
Une deuxième vidéo filmée par le même soldat montre six combattants RSF et 26 hommes détenus non armés, dont plusieurs hommes âgés, dans un champ à l’ouest du village. De nombreux détenus semblent avoir les mains liées dans le dos, et deux hommes détenus ont des vêtements tachés de sang. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de déterminer ce qui est arrivé aux détenus.
Les combattants RSF auraient également infligé des violences sexuelles à des femmes et des filles au cours de ces attaques. Au 4 novembre, l’ONG Strategic Initiative for Women in the Horn of Africa (« Initiative stratégique pour les femmes dans la Corne de l’Afrique »), un groupe régional de défense des droits des femmes, avait recensé 25 cas de viols et de viols collectifs commis par les RSF, dont 10 filles parmi les victimes. Cette organisation a également recensé au moins six cas dans lesquels des survivantes d’actes de violence sexuelle se sont suicidées. Le 30 octobre, l’ONU, citant des responsables locaux de la santé, a indiqué que « plus de 27 femmes et filles âgées de 6 à 60 ans » avaient été « victimes de viols et d’agressions sexuelles ».
Hassan (dont le nom de famille n’est pas cité pour des raisons de sécurité), âgé de 51 ans, a fui Al-Sireha le 22 octobre avec sa femme et ses trois filles. Les RSF les ont arrêtés à un poste de contrôle : « L’un des combattants des RSF a regardé ma plus jeune fille, qui a 15 ans, et a dit : "Laisse-la ici, pour que nous puissions en profiter, et tu pourras partir." Ils ont commencé à faire des commentaires sexuels sur ma fille. » Hassan et sa famille ont réussi à s’échapper.
Des groupes de défense des droits humains et des médias ont déclaré avoir reçu des informations faisant état de pillages généralisés dans l’est d’Al Gezira. Ces attaques aggravent une situation humanitaire déjà désastreuse, qui a été exacerbée par les restrictions imposées par les FAS sur l’accès aux zones contrôlées par les RSF et par les pillages perpétrés par les RSF.
Le Royaume-Uni est le « penholder » (pays chargé de rédiger des projets de résolutions) concernant le Soudan, au Conseil de sécurité de l’ONU et assure la présidence du Conseil pour le mois de novembre. Durant cette période, le Conseil débattra des moyens de mieux protéger les civils au Soudan, suite à la publication en octobre d’un rapport du Secrétaire général de l’ONU. Compte tenu de la recrudescence massive des attaques brutales contre les civils, il est urgent que le Royaume-Uni, en coopération avec les États membres de l’Union africaine, fasse pression sur le Conseil de sécurité pour qu’il autorise une mission de protection des civils au Soudan. Les États membres de l’ONU devraient également renforcer leur soutien à la Mission internationale indépendante d’établissement des faits des Nations Unies pour le Soudan, comme l’a recommandé le Secrétaire général.
« Le Royaume-Uni, chargé de rédiger les projets de résolution sur le Soudan, devrait intensifier ses efforts en ce moment de crise et veiller à ce que les appels des personne ayant désespérément besoin de protection au Soudan ne soient pas ignorés », a conclu Mohamed Osman. « Les dirigeants mondiaux et régionaux ne peuvent pas se permettre de rester inactifs, face aux événements alarmants dans ce pays. »
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