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Liban : La crise de l’électricité exacerbe la pauvreté et les inégalités

L’accès à une électricité fiable et abordable constitue un droit humain

(Beyrouth) – Les autorités libanaises manquent à leur devoir de respecter le droit à l’électricité, du fait de la mauvaise gestion de ce secteur depuis des décennies, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Le rapport de 127 pages, intitulé « Cut Off from Life Itself: Lebanon’s Failure on the Right to Electricity » (« Coupés de la vie elle-même : La défaillance du Liban concernant le droit à l’électricité » - résumé et recommandations en français), rappelle que l’électricité est indispensable dans presque tous les aspects de la vie quotidienne et pour la participation aux activités des sociétés actuelles. Le droit à un niveau de vie suffisant, protégé par des traités internationaux, inclut donc le droit de toute personne (sans discrimination) à l’électricité de manière suffisante, fiable, sûre, propre, accessible et abordable. À présent, le gouvernement libanais fournit de l’électricité uniquement pendant une à trois heures par jour en moyenne, tandis que les personnes qui en ont les moyens complètent cet approvisionnement avec des générateurs privés. Le secteur public et l’industrie des générateurs privés dépendent de combustibles fossiles polluants à fort impact climatique. La crise de l’électricité a exacerbé les inégalités dans le pays, a fortement limité la capacité des personnes à réaliser leurs droits les plus fondamentaux et les a davantage fait basculer dans la pauvreté.

« La crise de l’électricité au Liban plonge les habitants dans l’obscurité et entrave leurs droits essentiels en réduisant considérablement leur accès à la nourriture, à l’eau, à l’éducation et aux soins de santé », a expliqué Lama Fakih, directrice de la division Moyen-Orient à Human Rights Watch. « La situation désastreuse au Liban illustre pourquoi l’accès à une électricité sûre, propre et abordable n’est pas simplement une commodité, mais un droit humain que l’État a l’obligation de respecter. »

Depuis près de 30 ans, les autorités libanaises sont dans l’incapacité de gérer correctement la compagnie d’électricité publique, Électricité du Liban (EDL), ce qui provoque des coupures d’électricité généralisées. L’adoption de politiques non durables et l’incurie, résultat de décennies d’accaparement par les élites des ressources de l’État, de corruption et d’intérêts particuliers, ont conduit à l’effondrement complet du secteur en 2021 sur fond de crise économique persistante, privant le pays d’électricité la grande majorité du temps.

Pendant des décennies, les gouvernements successifs ont promis de réformer le secteur de l’électricité, mais ces promesses ne se sont pas concrétisées. Au lieu de désigner les membres de l’Autorité de régulation de l’électricité pour diriger le secteur, comme stipulé par la loi, le Conseil des ministres, en particulier le ministre de l’Énergie et de l’Eau, exerce un contrôle quasi total sur le secteur avec une transparence et une obligation de rendre des comptes minimales. Le ministre décide de la délivrance des licences et permis de production, élabore et supervise les politiques concernant le secteur, et assure la surveillance financière.

Des politiciens et des individus proches des sphères politiques ont utilisé le secteur de l’électricité pour servir leurs objectifs politiques, y compris en distribuant des emplois dans l’entreprise publique afin de tirer d’énormes profits issus de contrats rémunérateurs, souvent aux dépens de l’État, et pour récolter les bénéfices du marché des générateurs privés.

Marché lucratif, mais onéreux et très polluant, les générateurs diesel privés compensent le déficit d’approvisionnement depuis des décennies, mais ils ne sont accessibles qu’à ceux qui en ont les moyens. L’électricité stable au Liban est effectivement devenue un service que seuls les plus riches peuvent s’offrir ; cette situation accroît les inégalités profondément marquées dans le pays et fait basculer davantage de personnes dans la pauvreté.

Depuis octobre 2019, l’économie libanaise est enlisée dans une grave crise financière qui a culminé avec le premier défaut de paiement du pays en mars 2020. Les répercussions économiques de la pandémie de Covid-19, l’impasse politique et l’explosion du port de Beyrouth en août 2020 ont aggravé la récession et ont accéléré l’effondrement de l’économie. L’inflation a atteint 145 % en moyenne en 2021, plaçant le Liban au troisième rang mondial en termes de taux d’inflation, après le Venezuela et le Soudan. L’inflation annuelle de l’électricité, du gaz et de l’eau a grimpé à près de 600 % en juin 2022.

Les crises économiques et de l’électricité ont détruit les moyens de subsistance de dizaines de milliers de personnes. Le chômage, la baisse des envois de fonds et la suppression des subventions aux importations essentielles ont plongé des millions de personnes dans la pauvreté et ont exacerbé la misère existante. Les Nations Unies estiment que plus des deux tiers de la population libanaise vivent maintenant dans la pauvreté.

En partenariat avec une entreprise locale, le Consultation and Research Institute (CRI), Human Rights Watch a mené une enquête auprès de plus de 1 200 ménages. Les résultats ont démontré à quel point la crise de l’électricité exacerbe les inégalités, plonge les personnes dans la pauvreté, entrave l’accès aux droits fondamentaux tels que l’alimentation, l’eau et la santé, et provoque une pollution atmosphérique importante qui affecte l’environnement et la santé de la population, et contribue à une aggravation de la crise climatique. Parmi les ménages qui ont répondu à l’enquête, neuf sur dix ont déclaré que le coût de l’électricité limitait leur capacité à payer d’autres services essentiels.

L’accès à un générateur privé ou exploité à des fins commerciales en vue de compenser le manque d’électricité publique dépendait des revenus. Parmi les 20 % des ménages les plus pauvres, un sur cinq n’avait pas accès à un générateur. Qui plus est, les ménages à faibles revenus consacraient une part beaucoup plus importante de leur revenu aux factures liées aux générateurs que les ménages plus riches, ce qui grevait les budgets des familles et les exposait à un risque accru de manquer d’argent pour d’autres dépenses essentielles.

Un grand nombre de personnes interrogées ont indiqué que les pénuries d’électricité avaient eu un impact sur leur capacité à effectuer des activités quotidiennes normales liées à leurs droits, telles qu’être alimentés en eau, cuisiner ou participer à des activités éducatives ou professionnelles.

En plus de pénaliser de manière disproportionnée les ménages à faibles revenus, la dépendance du système électrique libanais à l’égard de centrales utilisant du fioul lourd et de générateurs diesel provoque une pollution atmosphérique importante qui a des répercussions considérables sur l’environnement ainsi que sur la santé des habitants du Liban, tuant des milliers de personnes chaque année d’après les données de Greenpeace.

Le gouvernement libanais n’a pas investi dans des sources d’énergies renouvelables, bien que l’on estime que les ressources solaires et éoliennes du Liban pourraient alimenter plusieurs fois le pays. En 2019, la part des énergies renouvelables dans la production totale d’électricité du Liban n’était que de 7,83 %, dont seulement 0,73 % provenait de l’énergie solaire et seulement 1,82 % de l’énergie hydroélectrique.

Les autorités libanaises sont responsables des violations quotidiennes des droits des habitants à l’électricité, à un niveau de vie suffisant, à l’éducation, à la santé et à un environnement sain provoquées par la crise actuelle de l’électricité. Elles devraient prendre des mesures immédiates et urgentes pour s’assurer que tous les habitants disposent d’un approvisionnement en électricité continu, abordable et propre, qui ne contribue pas à la crise climatique, en mettant l’accent sur l’augmentation de la capacité de production d’énergie hydroélectrique, éolienne et solaire.

Plus la transition vers les énergies renouvelables sera rapide, plus le Liban économisera d’argent, plus la création d’emplois sera importante et plus le nombre de vies sauvées augmentera du fait de la réduction de la pollution atmosphérique, a déclaré Human Rights Watch. Les autorités devraient aussi prendre des mesures pour établir un système de protection sociale universel qui garantisse des prestations tout au long de la vie des personnes, comme des allocations familiales, des allocations chômage et des pensions vieillesse.

Les institutions financières internationales, y compris le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, devraient exhorter le gouvernement libanais à réformer le secteur de l’électricité conformément aux obligations du pays en matière de droits humains, et à veiller à ce que chaque personne, quel que soit son statut socio-économique, ait accès à l’électricité et puisse la payer. La Banque mondiale devrait s’abstenir de financer tout nouveau projet énergétique reposant sur les combustibles fossiles et fournir un soutien technique et financier pour développer des infrastructures d’énergies renouvelables.

« Le Liban doit prendre des mesures immédiates pour renforcer le secteur de l’électricité et inverser l’érosion continue des droits économiques fondamentaux », a conclu Lama Fakih. « Le gouvernement devrait investir dans des sources d’énergies renouvelables qui créeront des emplois, réduiront la pollution et permettront aux personnes vivant au Liban d’accéder à une électricité fiable, sûre et propre. »

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