Peu après mes débuts professionnels dans le domaine des droits humains en 1986, Amnesty International a lancé une alerte au sujet d’un groupe d’Algériens qui venaient d’être condamnés à des peines allant jusqu’à trois ans de prison, pour avoir créé la première organisation indépendante de défense des droits humains dans leur pays.
Les choses ont changé après les manifestations populaires qui ont secoué l’Algérie en 1988, forçant cet État à parti unique à adopter des réformes qui incluaient la légalisation des associations indépendantes en 1989. Parmi celles-ci figurait la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), dont les fondateurs faisaient l’objet du bulletin d’alerte d’Amnesty International.
Cette Ligue est devenue une pilier du mouvement transnational de défense des droits humains dans les pays arabes au début des années 1990.
Ces événements me sont revenus à l’esprit lorsque j’ai appris la décision d’un tribunal algérien, prise en 2022 mais rendue publique en janvier 2023, de dissoudre la Ligue, suite à une requête du ministère de l’Intérieur. Le tribunal a estimé que l’organisation avait violé la loi algérienne restrictive sur les associations, en « ne respectant pas les constantes et les valeurs nationales » lorsqu’elle se réunissait avec des organisations non gouvernementales « hostiles à l’Algérie » et se livrait à des « activités suspectes » telles qu’« aborder … la question de l’immigration clandestine » et « [accuser] les autorités de réprimer les manifestations ».
La LADDH a vivement dénoncé les abus commis lors de la décennie sanglante des années 1990. Après que le terrorisme et l’impitoyable répression de cette décennie ont cessé, la Ligue a accompagné les familles des personnes disparues en réclamant des réponses et que justice soit rendue. Récemment, elle a soutenu les manifestants du mouvement pacifique du Hirak, qui a émergé en 2019 en exigeant des réformes politiques. Ali Yahia Abdennour, qui était parmi les personnes arrêtées en 1985 et le président de la LADDH pendant des décennies, est mort en 2020, à l’âge de 100 ans.
La LADDH est la dernière des organisations indépendantes en date à avoir été dissoute sous des prétextes fallacieux par les autorités. Celles-ci ont emprisonné des centaines de manifestants du Hirak pour s’être exprimés pacifiquement et ont pratiquement anéanti les médias indépendants d’Algérie, un autre fruit des réformes de 1989. L’arrestation le 24 décembre dernier d’Ihsane El Kadi et la mise sous scellés des locaux de ses deux médias en ligne, Radio M et Maghreb Émergent, en sont l’exemple le plus récent.
Craignant d’être arrêtés, des activistes ont fui le pays lorsqu’ils n’ont pas été arbitrairement bloqués à la frontière. Parmi eux, trois membres renommés de la Ligue qui sont désormais exilés en Europe.
Les prétextes invoqués pour dissoudre l’organisation phare de défense des droits humains en Algérie ne sont pas moins absurdes que ceux qui ont été utilisés pour condamner ses fondateurs il y a quatre décennies. Bien que beaucoup de choses aient changé depuis les manifestations de 1988, l’Algérie est une nouvelle fois gouvernée par des individus qui ne tolèrent pratiquement aucune contestation.
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