(Beyrouth) – Les autorités algériennes devraient revenir sur la décision, manifestement politique, de dissoudre la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), une organisation indépendante active depuis 38 ans, et lui permettre d’opérer librement et légalement, ont déclaré aujourd’hui Human Rights Watch et Amnesty International. Les autorités devraient également mettre fin à leur répression générale des organisations indépendantes de la société civile et veiller à ce qu’elles puissent opérer dans un environnement sûr et propice.
Le tribunal administratif d’Alger a dissous la LADDH le 29 juin 2022 à la suite d’une plainte déposée par le ministère de l’Intérieur, a indiqué l’organisation le 20 janvier 2023, après avoir pris connaissance du jugement sur Internet. La LADDH, qui a déclaré ne pas avoir eu connaissance de la procédure judiciaire, y compris de la plainte à son encontre, est la dernière organisation visée par la campagne menée par les autorités pour neutraliser les organisations indépendantes de la société civile.
« Les autorités algériennes semblent déterminées à mettre fin à toute activité indépendante qui ferait la lumière sur les violations des droits humains dans le pays », a déclaré Eric Goldstein, Directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Dans ce contexte, ce n’était qu’une question de temps avant qu’elles ne s’en prennent à la plus ancienne et la mieux établie des organisations nationales de défense des droits. »
Le jugement de six pages mentionne une première requête du ministère de l’Intérieur, en date du 4 mai 2022, demandant la dissolution de la Ligue au motif qu’elle posséderait « plusieurs branches revendiquant son nom et sa légitimité légale », en violation de l’article 48 de la loi 90-31 sur les associations, publiée en 1990 et relative aux statuts des associations.
Or, ce passage fait référence à des scissions historiques au sein de la Ligue et à la loi en vigueur à l’époque. De telles scissions ne peuvent être utilisées pour justifier la violation du droit à la liberté d’association et contraindre à la fermeture de la Ligue, ont déclaré Human Rights Watch et Amnesty International. Le jugement a également énoncé que « les activités du groupe n’étaient pas conformes [aux] objectifs » énoncés dans ses statuts.
La LADDH est la plus ancienne organisation indépendante de défense des droits humains en Algérie. Fondée en 1985 et officiellement enregistrée en 1989, elle a continuellement joué un rôle de premier plan dans la défense des droits humains et de la démocratie et, depuis 2019, dans la dénonciation de la répression du mouvement protestataire du Hirak.
Le 30 janvier 2023, les autorités ont ordonné la fermeture de la Maison des droits de l’homme et du citoyen à Tizi Ouzou, affiliée à la LADDH depuis 1990, qui comprenait une bibliothèque, un centre de documentation et accueillait différentes autres activités. Le 23 janvier, les autorités avaient déjà mis sous scellés le Centre de documentation des droits de l’homme (CDDH) de la LADDH à Béjaïa, sur ordre du wali [préfet], invoquant le jugement dissolvant la Ligue. Le bureau de Béjaïa, parmi les plus actifs de l’organisation, organisait des réunions et des formations axées sur les droits civiques pour le public et les militants. Il comprenait également une cellule d’aide et de conseil juridique sur des questions allant de la violence domestique aux licenciements abusifs.
Dans sa décision, le tribunal a justifié la dissolution de la Ligue en déclarant qu’elle s’était livrée à des « activités suspectes », comme « aborder dans ses publications la question de l’immigration clandestine », « organiser des manifestations » devant les tribunaux et « publier des documents et déclarations sur les réseaux sociaux accusant les autorités de réprimer les manifestations ». Le tribunal a également estimé que la Ligue avait violé la loi en ne notifiant pas dûment les autorités de ses changements et activités internes ainsi que de ses collaborations avec des organisations étrangères et internationales.
Le jugement soutient que la LADDH a violé les articles 18, 19 et 23 de la loi 12-06 de 2012 sur les associations. Les articles 18 et 19 imposent aux associations d’informer les autorités des modifications dans leur statut et de leur organisation interne ainsi que de présenter des rapports annuels d’activité et financiers. Selon l’article 23, la coopération avec les associations internationales et étrangères doit respecter « les constantes et les valeurs nationales » et « requiert l’approbation préalable des autorités compétentes ».
L’organisation est accusée d’« entretenir des relations avec des organisations en Libye et en Tunisie », d’envoyer « des rapports et des informations erronées à des entités de l’ONU » et d’avoir rencontré des représentants de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), Euromed Rights et la Coordination Maghrébine des Organisations des Droits Humains, autant de coalitions que les autorités jugent « hostiles à l’Algérie et sous l’influence du lobby maroco-sioniste et des membres de la gauche française au Parlement européen ».
Très restrictive, la loi sur les associations de 2012 n’est pas conforme aux normes internationales régissant la liberté d’association. L’article 2 stipule que les objectifs d’une association « doivent s’inscrire dans le cadre de l’intérêt général et ne pas être contraires aux fondements et valeurs nationaux ou à l’ordre public et aux bonnes mœurs ». Ces dispositions sont formulées de manière trop vague pour permettre aux associations de prédire raisonnablement si l’une de leurs activités constitue un crime. Elles menacent l’exercice des droits à la liberté d’expression et d’association, ont ajouté Amnesty International et Human Rights Watch.
Les dispositions juridiques invoquées pour dissoudre la LADDH sont incompatibles avec le droit à la liberté d’association protégé par les lois et normes internationales et africaines relatives aux droits humains. Les associations doivent être libres de déterminer leurs statuts et activités, de prendre des décisions sans l’ingérence des autorités et ne pas risquer d’être dissoutes pour des activités légales et pacifiques. Les organisations de la société civile doivent être en mesure de communiquer avec leurs homologues étrangers, les institutions intergouvernementales et les organismes internationaux de défense des droits humains.
Le 6 décembre 2022, la police de Bejaia a empêché l’antenne locale de la Ligue d’accueillir la onzième édition de son Forum des droits de l’homme. Saïd Salhi, vice-président de la LADDH, a déclaré que la police avait informé le personnel de la Ligue sur place que le forum et ses activités internes avaient été interdites par le wali.
Une répression brutale contre les organisations de la société civile
Les autorités se sont attaquées à d’autres associations de premier plan. En octobre 2021, un tribunal a dissous le Rassemblement Action Jeunesse (RAJ), l’accusant d’avoir violé la loi, de semer le chaos et de trouble à l’ordre public. Le RAJ a fait appel de cette décision auprès du Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative du pays. Son verdict a été reporté au 23 février 2023.
Caritas, une organisation caritative de l’Église catholique, a annoncé sa fermeture le 25 septembre 2022, après que les autorités lui ont reproché de fournir de l’aide et des services médicaux aux migrants, selon les médias. Fondée en 1962, Caritas proposait de nombreux services caritatifs à Alger.
En mai 2022, le wali d’Oran a demandé à un tribunal de dissoudre Santé Sidi Houari (SDH), une association axée sur la réhabilitation du patrimoine culturel de la ville d’Oran. Cependant, le tribunal administratif d’Oran a rejeté cette requête en décembre.
L’association culturelle SOS Bab El-Oued à Alger a suspendu ses activités après que les forces de sécurité ont perquisitionné son bureau et confisqué du matériel en avril 2021. Le président de cette célèbre association locale, Nacer Meghnine, a été condamné à un an de prison pour « atteinte à l’intérêt national » et « incitation à un attroupement non armé », en rapport avec les activités de l’association et la participation de ses membres au Hirak.
Le droit à la liberté d’association est garanti par l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 10 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, deux instruments ratifiés par l’Algérie. Les associations doivent être libres de déterminer leurs statuts et de mener leurs activités sans ingérence de l’État. La Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits humains établit clairement le droit des organisations de la société civile de rechercher, obtenir et diffuser des idées et des informations, de défendre les droits humains, de s’engager dans la gouvernance et la conduite des affaires publiques, d’accéder aux organes internationaux des droits humains et de communiquer avec eux, et de soumettre des propositions de réforme politique et législative aux niveaux local, national et international, entre autres.
L’article 53 de la constitution algérienne garantit également le droit à la liberté d’association, permettant aux associations de se constituer légalement sur la base d’une simple déclaration.
« L’Algérie s’enfonce toujours davantage dans une crise où il n’y a pratiquement plus d’espace pour l’activisme en faveur des droits humains », a déclaré Amna Guellali, Directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. « Le démantèlement par les autorités de la plus ancienne organisation de défense des droits humains du pays restera dans l’histoire comme un acte honteux qui doit être annulé immédiatement. »
...............