Skip to main content

Paris, le 4 juillet 2022,

Monsieur le Président,

Alors que vous entamez votre second mandat en tant que président de la République française, nous vous écrivons pour vous appeler à faire du respect et de la promotion des droits humains une véritable priorité de votre politique nationale et internationale ces cinq prochaines années.

Comme vous le savez, les droits humains et l’Etat de droit subissent des attaques virulentes dans le monde de la part de dirigeants politiques qui cherchent à affaiblir ces principes fondamentaux pour consolider leur pouvoir. Face à cette menace, il est non seulement crucial que la France réaffirme ces principes avec force, mais aussi et surtout qu’elle les mette effectivement en œuvre dans sa politique nationale et internationale. A cette fin, nous vous faisons parvenir une « Feuille de route pour les droits humains » détaillant des recommandations sur quatorze sujets clefs dont nous espérons qu’elles pourront guider votre action et celle de votre gouvernement dans ce domaine.

Au plan national, dans un contexte d'inquiétudes croissantes face à l’insécurité économique et aux inégalités sociales et de forte défiance à l'égard des responsables politiques quant à leur capacité à  apporter des réponses adéquates, il est plus que jamais essentiel que vous et votre gouvernement meniez une stratégie fondée sur les droits pour lutter plus vigoureusement contre l'exclusion et les injustices socio-économiques, tout en agissant contre les discriminations et en assurant la protection des droits et libertés de chacune et chacun.

Le respect des droits humains en période d’urgences, qu’elles soient sécuritaires ou sanitaires, est un enjeu majeur. Tout en reconnaissant la responsabilité des gouvernements d’assurer la protection de leur population, des organisations de la société civile et des experts de l’ONU ont souligné la menace pour les droits et libertés que peuvent représenter les mesures exceptionnelles qui en restreignent l’exercice, en particulier quand ces mesures sont intégrées dans les lois ordinaires, comme c’est le cas en France. Il est crucial que le nouveau gouvernement garantisse le respect des droits de chacun tout en protégeant la population des menaces liées à la sécurité nationale et au Covid-19.

Par ailleurs, la France devrait enfin entreprendre les réformes et les mesures attendues depuis si longtemps pour mettre un terme aux discriminations systémiques en France, comme le profilage ethnique ciblant particulièrement les jeunes hommes noirs et arabes, ou perçus comme tels, lors des contrôles d’identité par la police. Ces pratiques illégales persistantes n’affectent pas seulement les personnes concernées, mais également les relations entre la police et la population dans son ensemble. Elles doivent cesser.

Nous vous appelons également à mettre fin au traitement souvent abusif des personnes migrantes et des demandeurs d’asile par les autorités françaises, y compris des enfants non-accompagnés, notamment dans le nord de la France et à la frontière franco-italienne. Les autorités françaises devraient toujours traiter les personnes migrantes et les demandeurs d’asile dans le respect de leurs droits fondamentaux, et garantir le droit de demander asile.

Il est aussi indispensable de renforcer les progrès réalisés en matière de droits des femmes et de faire de la lutte contre les féminicides et de l'élimination de la violence et du harcèlement sexuel au travail une priorité. La France a le mérite de s’être engagée à ratifier la Convention de l’OIT sur la violence et le harcèlement, mais doit encore mener à bien cette ratification et entreprendre les réformes nécessaires pour aligner son cadre juridique sur la Convention et ses recommandations.

De manière extrêmement urgente, nous vous appelons également à rapatrier les enfants français et leurs mères détenus dans des conditions qui menacent leur survie dans des camps pour familles de suspects de l’EI dans le nord-est de la Syrie. Une action urgente est nécessaire pour une femme française gravement malade, atteinte d'un cancer du côlon, dont la mère et les avocats ont récemment lancé un appel humanitaire pour qu'elle soit rapatriée et reçoive des soins adéquats. Plus globalement, la France devrait accéder aux appels répétés des autorités du nord-est de la Syrie à rapatrier tous ses ressortissants détenus dans la région. Une fois de retour, les suspects pourront faire l'objet d'une enquête et être poursuivis comme il se doit.

Face aux grands défis internationaux, les droits humains devraient être au cœur de l’action diplomatique française. Ces défis incluent le mépris manifeste pour les droits humains de la part de gouvernements dans de nombreuses régions du monde, y compris parmi les autocrates qui ont émergé en Europe et ailleurs, la guerre en Ukraine et d'autres conflits marqués par de graves violations à l’encontre des civils, le changement climatique et l'impact de la pandémie de Covid-19 sur les populations les plus vulnérables.

Au plan européen, nous vous sommes gré d’avoir fait de la protection de l’Etat de droit au sein de l’Union européenne une priorité de la présidence française du Conseil de l’UE. Cependant, les avancées concrètes se font toujours attendre et il est nécessaire de poursuivre les efforts pour garantir une réelle avancée de l’examen par le Conseil européen des situations de la Pologne et de la Hongrie au titre de l’article 7.1 et l’utilisation rapide du mécanisme conditionnant l’accès aux fonds de l’UE au respect de l'État de droit.

Human Rights Watch et de nombreuses autres organisations de défense des droits ont documenté de graves abus à l’encontre de migrants et de demandeurs d'asile aux frontières extérieures de l'UE, notamment en Croatie, en Grèce, en Hongrie, en Pologne et en Espagne. Les politiques de coopération de l’UE avec les autorités libyennes en matière de gestion des frontières ont facilité des abus épouvantables envers les personnes migrantes et réfugiées. Nous vous demandons instamment d’agir au niveau européen pour la mise en place de mesures visant à sauver des vies et à prévenir les décès aux frontières terrestres et maritimes de l’Union, de renforcer les politiques européennes d’accueil et de protection des personnes fuyant la guerre et la persécution, ainsi que de revoir et de réformer les politiques d’accords avec la Libye en matière de migration.

En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et membre du Conseil des droits de l'homme de l’ONU, la France a un rôle essentiel à jouer dans la défense des droits au niveau mondial. La France a joué un rôle majeur dans la réponse internationale aux crimes de guerre apparents des forces russes en Ukraine. Il est crucial qu’elle agisse aussi vigoureusement au sein des instances multilatérales pour que des réponses internationales fortes soient apportées aux graves violations des droits humains au Yémen, dans la région du Sahel, en Chine, au Myanmar, en Egypte, en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, au Liban et ailleurs.

La diplomatie des droits humains sélective de la France, selon laquelle elle proclame son engagement pour les principes fondamentaux et peut faire preuve de leadership fort pour les défendre, mais ferme les yeux sur de graves violations pour protéger ses intérêts stratégiques et économiques, ne fait que nuire à sa crédibilité. Le soutien inconditionnel et les ventes d’armes de la France à l’Egypte, aux Emirats arabes unis et à l’Arabie saoudite, en dépit de leurs bilans déplorables en matière de droits humains, encouragent les abus et jettent un doute sur la sincérité de la France dans son engagement en faveur des droits humains. Nous vous appelons à veiller à ce que la France fasse preuve d’une plus grande cohérence dans la mise en œuvre de cet engagement.

En tant que pays revendiquant une diplomatie féministe, la France devrait aussi travailler de concert avec les autres pays dotés d’une telle politique étrangère, pour élaborer une réponse internationale bien plus robuste aux violations généralisées des droits des femmes et des filles afghanes sous le joug des talibans.

Alors que le réchauffement climatique représente la plus grande menace mondiale pour la réalisation des droits humains, nous vous appelons, vous et votre gouvernement, à prendre des mesures plus fortes pour le droit à un environnement propre, sain et sûr, et à intensifier les efforts de la France pour parvenir à une réduction rapide et ambitieuse des émissions de gaz à effet de serre.

J’espère que vous trouverez cette feuille de route pour les droits humains, et que nos recommandations informeront la politique nationale et internationale de la France pour le respect des droits fondamentaux de chacune et chacun.

Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma plus haute considération.

Kenneth Roth
Directeur exécutif
Human Rights Watch

 

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.

Région/Pays