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Ukraine : Les habitants de Tchernihiv manquent de biens essentiels

Les civils de cette ville assiégée ont besoin d’un accès à l’eau, à l’électricité et à l’aide humanitaire ; il faut faciliter leur évacuation dans des conditions sûres

Une rue de Tchernihiv, dans le nord de l'Ukraine, parsemée de débris et d’éclats de verre à la suite de frappes russes ayant endommagé des immeubles résidentiels et brisé des fenêtres. Fin mars 2022, les habitants n’avaient qu’un accès très limité à l'eau courante, à l'électricité ou au chauffage, suite à l'intensification des attaques russes. © 2022 Privé

(Kiev, le 31 mars 2022) – Les habitants de Tchernihiv, dans le nord de l’Ukraine, n’ont qu’un accès limité à l’eau courante, à l’électricité ou au chauffage depuis début mars 2022, lorsque les forces russes ont intensifié leur assaut contre cette ville, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.

Depuis au moins le 24 mars, les forces russes assiègent Tchernihiv, contrôlant presque tous les accès à la ville. Elles ont aussi poursuivi leurs attaques contre le pont constituant la dernière voie d’accès vers le territoire tenu par l’Ukraine. Cela a empêché l’évacuation des blessés, y compris des enfants, et l’utilisation de cette route pour la livraison et la distribution d’articles humanitaires, notamment de matériel médical essentiel, à la population civile.

« Les civils de Tchernihiv sont piégés depuis des jours dans une crise qui ne cesse de s’aggraver, privés d’accès aux services de base et sans possibilité de s’échapper, tout en vivant sous la menace constante d’attaques russes », a déclaré Richard Weir, chercheur auprès de la division Crises et conflits de Human Rights Watch. « La Russie ainsi que les forces ukrainiennes doivent prendre les mesures nécessaires pour permettre aux civils qui le souhaitent de quitter la ville en toute sécurité et répondre aux besoins fondamentaux de ceux qui restent. »

Les conditions de vie à Tchernihiv ressemblent à celles de la ville portuaire de Marioupol, dans le sud-est du pays, où la situation s’est détériorée de manière spectaculaire alors que les habitants se terraient dans des sous-sols sans accès à l’eau courante, à l’électricité, au chauffage, aux soins médicaux ou aux services de téléphonie mobile, durant le siège mené par les forces russes.

Le 29 mars, un vice-ministre russe de la défense a déclaré que la Russie allait « réduire son activité militaire » près de Kiev, la capitale, et de Tchernihiv. Cependant, au 30 mars, il ne semble pas y avoir eu de réduction significative des activités militaires dans et autour des deux villes. L’activité militaire, quelle que soit la partie concernée, ne devrait pas empêcher arbitrairement l’acheminement urgent de l’aide humanitaire aux résidents ni l’évacuation en toute sécurité des civils qui choisissent de partir.

Un immeuble résidentiel à Tchernihiv, en Ukraine, endommagé par une attaque aérienne russe menée le 3 mars 2022. © 2022 Reuters/Roman Zakrevskyi

Human Rights Watch s’est entretenu avec un fonctionnaire municipal, un médecin de Tchernihiv et un résident qui a récemment fui la ville. Ils ont décrit une situation qui se détériore, dans laquelle il n’y a pratiquement plus accès à l’eau, à l’électricité, au chauffage et aux communications téléphoniques et Internet dans la plupart des quartiers de la ville au cours des derniers jours. Les pénuries d’eau constituent un risque particulièrement grave pour les quelque 130 000 habitants qui restent dans la ville, sur une population de près de 300 000 avant la guerre. L’électricité insuffisante limite aussi gravement l’accès aux soins de santé. L’ampleur des pertes civiles et des dégâts causés aux infrastructures de la ville ne peut être évaluée en raison de la poursuite des hostilités et des communications limitées.

Olexander Lomako, secrétaire du conseil municipal de Tchernihiv, estime que plus de 350 civils ont été tués lors des attaques sur la ville. « Mais ce sont des chiffres très approximatifs », a-t-il indiqué à Human Rights Watch le 30 mars. « Beaucoup de gens restent sous les maisons détruites. Les gens sont souvent obligés d’enterrer leurs voisins et leurs proches dans les cours de leurs maisons. Nous ne pouvons donc même pas compter le nombre exact de victimes. De plus, des blessés arrivent chaque jour dans les hôpitaux... Certains ne survivront pas à leurs blessures et beaucoup d’entre eux resteront handicapés à vie. Certains ont perdu une jambe, un œil ou un bras. »

Les attaques militaires russes contre Tchernihiv ont débuté le 24 février, le premier jour de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. Human Rights Watch a précédemment documenté une frappe aérienne russe sur un quartier résidentiel de la ville le 3 mars qui a endommagé plusieurs bâtiments, dont un hôpital, tuant et blessant des dizaines de civils, selon des témoins et des médecins avec lesquels Human Rights Watch s’est entretenu ainsi que des responsables locaux. Depuis, les attaques sur Tchernihiv se sont intensifiées à mesure que les forces russes encerclaient la ville.

Dans la soirée du 23 mars, le pont principal sur la rivière Desna, sur la route menant de Tchernihiv vers le sud en direction de Kiev, a été détruit. Cela a eu pour effet d’interrompre la circulation des véhicules à destination et en provenance des zones sous contrôle ukrainien, les forces russes contrôlant les autres routes principales qui entrent et sortent de la ville. Le 26 mars, plusieurs journalistes ukrainiens et internationaux qui effectuaient des reportages depuis le pont détruit ont déclaré que la zone avait été soumise à des tirs d’artillerie lourde pendant qu’ils s’y trouvaient, blessant l’un d’entre eux.

« Ce pont nous permettait de recevoir l’aide humanitaire et d’évacuer les civils blessés et pacifiques – des femmes et des enfants », a déclaré Olexander Lomako. « Maintenant, il ne reste plus qu’un pont [piétonnisé]. Et [quand] quelqu’un ose le traverser, les Russes [le] bombardent. » Human Rights Watch ne dispose d’aucune information sur les efforts spécifiques déployés pour acheminer une aide humanitaire impartiale via les voies d’accès sous contrôle russe et sur le fait que les forces russes auraient refusé l’accès.

Olexander Lomako a déclaré que le principal problème des habitants restés à Tchernihiv est l’absence d’approvisionnement en eau. Ils ont dû se servir de générateurs pour pomper l’eau des puits, mais il n’y en a pas assez pour approvisionner tout le monde, et certains ont dû se contenter de l’eau des rivières et des lacs, ou de la neige fondue.

Vladyslav Atroshenko, le maire de Tchernihiv, a déclaré lors d’un point presse le 26 mars que la ville avait été « réduite en miettes » et que les autorités tentaient d’évacuer par « tous les moyens » 44 personnes gravement blessées, des militaires et des civils, dont trois enfants.

Un médecin avec lequel Human Rights Watch s’est entretenu le 26 mars a déclaré que son hôpital de Tchernihiv ne disposait que de l’électricité de ses générateurs et que ces derniers commençaient à manquer de carburant. Dans la situation actuelle, il est prévu que les générateurs soient allumés pendant quatre heures chaque jour. « Nous utilisons ce temps pour préparer du lait maternisé pour les bébés », a-t-il déclaré. Les générateurs ne fournissent pas assez d’énergie pour permettre au personnel de l’hôpital de faire fonctionner correctement les équipements médicaux, tels que l’appareil de radiographie avancé, qui les aide à évaluer les blessures. Les pénuries d’eau ont également créé des problèmes. « Comme nous n’avons ni électricité ni eau, nous ne pouvons pas stériliser nos instruments médicaux et devons donc utiliser des kits jetables », a-t-il expliqué.

Garantir l’accès à l’électricité et à l’eau potable sera crucial pour aider à prévenir la propagation des maladies hydriques transmissibles par l’ingestion d’eau contaminée, a déclaré Human Rights Watch. Une déshydratation sévère peut entraîner une hypothermie, des crampes dans les jambes, un délire, une chute de la tension artérielle, une défaillance des organes voire la mort. Les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées sont les plus exposés aux effets de la déshydratation.

Le droit international humanitaire, constitué des lois de la guerre, interdit les attaques dirigées contre des civils et des biens de nature civile, ainsi que les attaques qui causent aux civils des dommages disproportionnés par rapport au bénéfice militaire attendu. Les lois de la guerre n’interdisent pas les sièges terrestres et les blocus maritimes des forces ennemies, mais ils ne peuvent inclure des tactiques qui empêchent l’accès des civils aux articles essentiels à leur survie tels que l’eau, la nourriture et les médicaments. Les parties au conflit doivent permettre et faciliter le passage rapide d’une aide humanitaire impartiale pour tous les nécessiteux et ne pas l’entraver arbitrairement.

En outre, toutes les parties à un conflit armé doivent protéger les objets indispensables à la survie de la population civile, y compris ceux nécessaires à la distribution d’eau et à l’assainissement. La famine comme méthode de guerre est interdite.

En vertu du droit international relatif aux droits humains, les États doivent respecter le droit à l’eau, ce qui suppose de s’abstenir de limiter l’accès aux services et infrastructures d’approvisionnement en eau ou de les détruire à titre de mesure punitive pendant les conflits armés, ainsi que de respecter les obligations de protection des biens indispensables à la survie de la population civile énoncées ci-dessus. Les parties au conflit doivent de toute urgence veiller à ce que la population civile de Tchernihiv et des autres zones touchées par les hostilités ait accès à l’eau et à l’électricité sans discrimination ni restriction illégale.

« Les civils pris au piège à Tchernihiv vivent des horreurs qui font écho à celles endurées par Marioupol ces dernières semaines », a conclu Richard Weir. « Ils ne devraient pas avoir à souffrir de la sorte. Les parties au conflit doivent assumer leurs responsabilités en vertu du droit international et protéger tous ceux qui sont restés à Tchernihiv. »

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