(Jérusalem) – Les forces de l’ordre israéliennes ont fait usage d’une force excessive pour disperser des manifestations pacifiques de Palestiniens à Lod (al-Ludd) lors des troubles qui ont eu lieu dans cette ville en mai 2021, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
À certains moments, la police semblait réagir à contrecœur et de façon inégale aux violences commises par des ultranationalistes juifs à l’encontre de Palestiniens de nationalité israélienne. Les déclarations publiques de hauts responsables israéliens semblaient encourager une réponse discriminatoire de la part des autorités et de la justice. L’intervention policière à Lod a eu lieu dans le contexte de la discrimination systématique exercée par le gouvernement israélien envers les Palestiniens de nationalité israélienne dans plusieurs autres aspects de leur vie.
« Les autorités israéliennes ont réagi aux événements de mai à Lod en dispersant de force les Palestiniens qui manifestaient pacifiquement, tout en tenant des propos incendiaires et sans réagir de façon impartiale lorsque des ultranationalistes juifs attaquaient des Palestiniens », a déclaré Omar Shakir, directeur de recherches sur Israël et la Palestine auprès de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch. « Cette réponse apparemment discriminatoire met en évidence une réalité : l’appareil d’État israélien privilégie les Israéliens juifs au détriment des Israéliens palestiniens, partout où ils vivent et indépendamment de leur statut légal. »
La Commission d’enquête sur Israël et les territoires palestiniens occupés mise en place par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en mai devrait enquêter sur ces pratiques apparemment discriminatoires, et déterminer si les déclarations incendiaires de hauts responsables israéliens ont incité à la violence.
En juillet et octobre, Human Rights Watch a mené des entretiens en personne avec dix habitants de Lod, dont une conseillère municipale en exercice, une ancienne conseillère municipale, ainsi que des proches de victimes. Human Rights Watch a également procédé à l’analyse et à la géolocalisation de plusieurs séquences vidéo filmées entre le 10 et le 14 mai et publiées sur les médias sociaux. Les éléments de preuve indiquent que les autorités ont réagi aux événements d’une façon qui paraît discriminatoire.
Human Rights Watch a également consulté des articles et reportages des médias israéliens et internationaux pour établir une chronologie aussi précise que possible et interrogé un témoin supplémentaire, souhaitant rester anonyme, qui a assisté à plusieurs actes de violence et à l’intervention policière, ainsi que des analystes de deux organisations israéliennes de défense des droits humains, qui se sont penchés sur les événements de Lod.
Lod, ville « mixte » juive et palestinienne, a connu l’influence croissante d’un groupe ultranationaliste, le Garin Torani (« Graine de la Torah »), qui aspire à mettre en avant la judéité de la ville, dans un contexte de discrimination installée de longue date envers les citoyens palestiniens du pays. En 2013, un sympathisant présumé du Garin Torani, Yair Revivo, du parti Likoud, a été élu maire et occupe cette fonction depuis lors.
Les troubles qui ont eu lieu en mai à Lod et dans d’autres villes d’Israël et de Cisjordanie avaient pour toile de fond des actions discriminatoires s’efforçant d’expulser de force des Palestiniens de leurs domiciles dans Jérusalem-Est occupée, l’emploi d’une force excessive par les forces de sécurité israéliennes contre les manifestants et les fidèles à la mosquée al-Aqsa à Jérusalem, ainsi que les hostilités qui ont éclaté le 10 mai entre Israël et des groupes armés palestiniens à Gaza et qui se sont poursuivies jusqu’au 21 mai. Lors de ces hostilités, les autorités israéliennes ainsi que des groupes palestiniens ont commis des violations des lois de la guerre et des crimes de guerre, comme l’a documenté Human Rights Watch.
Les autorités israéliennes ont dispersé de force de nombreuses manifestations de rue menées par les Palestiniens sur le territoire israélien et en Cisjordanie au cours de cette période.
Dans la soirée du 10 mai, devant la mosquée al-Omari de Lod, des Palestiniens ont commencé à manifester pacifiquement contre la menace de saisie de domiciles palestiniens dans Jérusalem-Est. Alors que la police avait autorisé la manifestation, des témoins déclarent que les forces de sécurité ont tiré des cartouches lacrymogènes et lancé des grenades assourdissantes en direction de la foule après qu’un jeune avait substitué un drapeau israélien par un drapeau palestinien dans un bâtiment public. Puis les manifestants palestiniens ont mis le feu à des poubelles, des voitures et des pneus, tandis que des affrontements avec des habitants juifs éclataient ailleurs dans la ville.
Au cours des quatre jours suivants, des groupes d’émeutiers palestiniens et juifs ont ciblé respectivement des biens et des lieux de culte juifs et palestiniens. Outre le meurtre de deux hommes, l’un juif et l’autre palestinien, des centaines de personnes ont été blessées, un cimetière musulman vandalisé et des dizaines de voitures incendiées. Le gouvernement a proclamé l’état d’urgence le 12 mai en vue d’atténuer les violences, notamment en interdisant les non-résidents d’entrer dans Lod.
Dans certains cas, documentés par Human Rights Watch, les forces de l’ordre déployées pour sécuriser Lod se sont contentées d’observer ou n’ont pas agi à temps pour protéger les habitants palestiniens de Lod de la violence d’ultranationalistes juifs situés à proximité ou dans leur champ de vision. Des témoins ont affirmé que ces forces comprenaient des membres de groupes juifs ultranationalistes venus de l’extérieur de Lod. Dans un cas, le journal israélien Haaretz a rapporté que les autorités avaient hébergé pour la nuit des membres de ces groupes.
Le 26 octobre, Human Rights Watch a écrit au maire, Yair Revivo, au commissaire général de la police israélienne et aux ministères de la Sûreté publique et de la Justice pour aborder ses conclusions préliminaires. Le commissaire général de la police supervise tous les commandements policiers du pays. Aucun d’entre eux n’a répondu.
Les autorités israéliennes ont traité de façon nettement différente les meurtres d’un homme palestinien et d’un Israélien de confession juive, tous deux tués par des civils dans des circonstances complexes au cours des violences de Lod. Dans l’affaire du meurtre de Musa Hassuna, un Palestinien, les autorités ont placé en liberté conditionnelle tous les suspects juifs – qui avaient plaidé la légitime défense – moins de 48 heures après le meurtre. Les autorités ont clos l’instruction judiciaire à leur encontre moins de six mois plus tard, sans les inculper. Dans l’affaire du meurtre de Yigal Yehoshua, de confession juive, huit suspects palestiniens sont en détention depuis des mois, dans l’attente de leur procès pour un certain nombre de chefs d’inculpation, y compris le « meurtre en tant qu’acte terroriste ». Même si les victimes ont été tuées dans des circonstances différentes – l’une au cours d’une échauffourée, l’autre alors qu’elle rentrait chez elle en voiture –, les deux affaires sont confuses et s’appuient sur des preuves limitées et semblant peu concluantes. Pourtant, l’une a débouché sur des inculpations, l’autre non.
Amnesty International et des groupes israéliens de défense des droits humains ont déclaré que les autorités avaient réagi aux perturbations de façon discriminatoire dans d’autres villes d’Israël dites « mixtes », comme Jaffa et Ramallah. Cette publication se concentre sur les événements de Lod.
Le 12 mai, des centaines d’ultranationalistes juifs n’habitant pas Lod sont entrés dans la ville, certains armés, en violation de l’état d’urgence proclamé par le gouvernement quelques heures plus tôt, qui interdisait aux non-résidents d’y pénétrer, ont déclaré des témoins à Human Rights Watch. Un journaliste israélien en reportage à Lod ainsi que la conseillère municipale en exercice ont déclaré que les autorités municipales avaient hébergé pour la nuit les personnes venues de l’extérieur dans un bâtiment appartenant à la ville, près d’un cimetière palestinien. Le maire Yair Revivo a nié avoir été informé de cette initiative ou l’avoir approuvée. Dans la nuit, des groupes ont jeté des pierres sur des domiciles et commerces palestiniens, ainsi que sur la mosquée al-Omari. Des vidéos de ces incidents montrent des policiers qui sont placés près d’émeutiers juifs en train de jeter des pierres, mais qui restent sans réaction.
À la suite des troubles de mai, pendant environ deux semaines, les forces de sécurité ont placé en détention 2 142 personnes, dans divers lieux d’Israël et de Jérusalem-Est, au cours d’une opération « dissuasive » que les autorités ont dénommée « Loi et ordre ». D’après Amnesty International, environ 90 % des personnes détenues étaient des Palestiniens de nationalité israélienne et des habitants de Jérusalem-Est. Dans une dépêche de septembre, l’AFP a écrit que la police israélienne avait confirmé l’arrestation de 154 personnes en lien avec les « perturbations » de Lod. Parmi elles, 120 étaient palestiniennes.
Les Palestiniens de nationalité israélienne subissent des discriminations systématiques dans beaucoup d’autres aspects de la vie, notamment en ce qui concerne le statut légal, les politiques foncières et l’accès aux ressources et services, comme l’a documenté Human Rights Watch. Cette discrimination systématique est le reflet d’une politique globale du gouvernement israélien qui entend favoriser les Israéliens juifs au détriment des palestiniens.
Human Rights Watch a constaté que les autorités israéliennes commettaient les crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution en se fondant sur une politique du gouvernement israélien visant à ce que les Israéliens juifs maintiennent une domination par rapport aux palestiniens, partout où ils vivent, ainsi que de graves abus envers les Palestiniens vivant dans le territoire palestinien occupé. Le crime d’apartheid résulte de la combinaison de ces éléments.
Le droit international relatif aux droits humains exige que les autorités garantissent à toutes et tous, sans distinction de race, de couleur, d’origine nationale ou ethnique, l’égalité devant la loi. Les autorités ont le devoir de protéger le droit à la vie de tout le monde, sans discrimination, ce qui implique de prendre des mesures raisonnables pour empêcher les agressions menaçant la vie des personnes, d’enquêter et de poursuivre les responsables.
Le droit international relatif aux droits humains exige par ailleurs que les forces de sécurité protègent le droit de réunion pacifique, quelles que soient les opinions politiques ou l’identité des manifestants, sans recourir à une force excessive. En même temps, les forces de l’ordre doivent réagir aux actes violents d’une façon proportionnée qui minimise l’usage de la force et protège les personnes et les biens sans discrimination.
Les autorités israéliennes devraient enquêter sur la façon dont les forces de l’ordre ont réagi aux troubles à Lod et dans les autres régions d’Israël.
La Commission d’enquête des Nations Unies mise en place par le Conseil des droits de l’homme en mai est la première à se pencher sur des violations commises à l’intérieur des frontières israéliennes de 1967. Les membres de la Commission devraient enquêter sur les actions du gouvernement israélien à Lod et sur le traitement des Palestiniens dans tout l’État d’Israël ainsi que dans les territoires occupés, a déclaré Human Rights Watch.
« À Lod, la police et les autorités israéliennes semblent avoir traité les citoyens différemment selon qu’ils étaient juifs ou palestiniens », a conclu Omar Shakir. « La Commission d’enquête de l’ONU devrait saisir cette opportunité sans précédent afin d’aborder la discrimination et les autres abus subis par les Palestiniens en Israël, uniquement en raison de leur identité. »
Version complète et plus détaillée de ce communiqué en anglais :
www.hrw.org/news/2021/12/14/israel-abusive-policing-lod-during-may-hostilities
--------------------