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RD Congo : Contribution de Human Rights Watch à la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples

61ème session

Honorable Commissaire Soyata Maïga

Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples

21 Bijilo Annex Layout, Kombo North District

Banjul, Gambie

 

Objet : Situation des droits humains en République démocratique du Congo

Madame la Commissaire,

Nous vous adressons le présent courrier en votre qualité de rapporteure spéciale pour la République démocratique du Congo.

Human Rights Watch surveille la situation des droits humains en République démocratique du Congo et en fait rapport depuis plus de 20 ans. Nous restons profondément préoccupés par la crise des droits humains et sécuritaire qui s’intensifie dans le pays.

Les violences politiques et la répression du gouvernement sont montées en puissance en 2017, lorsque le président Joseph Kabila s’est maintenu au pouvoir au-delà de la limite des deux mandats autorisés par la Constitution arrivant à leur terme le 19 décembre 2016. Alors que les autorités ont délibérément paralysé les plans pour l’organisation des élections, les responsables du gouvernement et les forces gouvernementales ont systématiquement cherché à faire taire, réprimer et intimider l’opposition politique, les défenseurs des droits humains et les activistes pro-démocratie, les journalistes et les manifestants pacifiques.

Les forces de sécurité gouvernementales et de nombreux groupes armés ont commis des attaques d’une rare violence contre des civils dans le pays, avec des conséquences humanitaires catastrophiques.

Depuis août 2016, les violences impliquant les forces de sécurité congolaises, des milices soutenues par le gouvernement et des groupes armés locaux ont fait jusqu’à 5 000 morts dans la région des Kasaï dans le sud du pays. De plus, des dizaines de groupes armés sont restés actifs dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu dans l’est de la RD Congo et beaucoup continuent de s’en prendre aux civils. Bon nombre de leurs commandants ont été impliqués dans des crimes de guerre, y compris des massacres ethniques, des meurtres de civils, des viols, le recrutement forcé d’enfants et des pillages.

La situation humanitaire en RD Congo s’est considérablement détériorée, marquée par la plus grande crise de déplacement d’Afrique en 2017, par une famine susceptible de frapper 7,7 millions de Congolais et par une épidémie de choléra qui s’est propagée à travers le pays.

Nous décrivons ces préoccupations plus en détail ci-dessous. Nous serions heureux de compléter ces éléments avec des documents complémentaires et, si nécessaire, avec des réunions avec notre personnel qui travaille en RD Congo.

En votre qualité de rapporteure spéciale pour la RD Congo, nous espérons que vous appellerez publiquement à une transition démocratique pacifique en RD Congo pour contribuer à prévenir les violences, la répression et l’instabilité à l’avenir, qui pourraient avoir des répercussions potentiellement désastreuses dans la sous-région. Nous vous demandons aussi de faire pression sur les autorités congolaises pour qu’elles ouvrent l’espace politique, notamment en libérant les prisonniers politiques et en autorisant les manifestations pacifiques, et pour qu’elles collaborent pleinement avec les enquêtes internationales en cours sur les abus perpétrés dans la région des Kasaï.

Wendy Isaack, chercheuse à Human Rights Watch, assistera à la 61e Session ordinaire à Banjul et serait ravie d’avoir l’opportunité de vous rencontrer quand cela vous conviendra pour discuter plus amplement de la situation des droits humains en RD Congo. Elle est joignable […].

Nous attendons avec intérêt de participer activement à la 61e Session ordinaire à venir.

Nous vous prions de croire, Madame la Commissaire, en l’expression de notre sincère considération.

Ida Sawyer

Directrice, Afrique centrale

 

Annexe : Résumé des récentes violations des droits humains documentées par Human Rights Watch en République démocratique du Congo

Répression politique

Au fil des trois dernières années, les responsables du gouvernement et les forces de sécurité ont à plusieurs reprises interdit les manifestations de l’opposition, ont lancé des gaz lacrymogènes et tiré à balles réelles sur des manifestants pacifiques, ont fait fermer des médias et ont empêché des leaders de l’opposition de se déplacer librement.

Les forces de sécurité ont tué au moins 171 personnes pendant les manifestations organisées dans le pays en 2015 et 2016 contre les tentatives du président Joseph Kabila pour prolonger ses fonctions présidentielles. Les forces de sécurité ont également tué au moins 90 personnes dans le cadre d’une répression contre les membres de la secte politico-religieuse Bundu dia Kongo (BDK) dans les provinces de Kinshasa et du Kongo Central en janvier, février et août 2017. Certains des membres de BDK ont aussi eu recours à la violence, tuant plusieurs agents de police.

La répression la plus violente au cours des trois dernières années a eu lieu le 19 septembre 2016, lorsque les Congolais sont descendus dans les rues pour manifester contre l’absence d’annonce des élections présidentielles par la commission électorale du gouvernement, trois mois avant la fin du mandat de Kabila. Les forces de sécurité ont répondu avec une force excessive, faisant au moins 66 morts et mettant le feu à au moins trois sièges de partis de l’opposition. Certains manifestants ont aussi eu recours à la violence, passant à tabac ou brûlant vifs plusieurs agents de police. Au moins huit journalistes ont été détenus dans une tentative manifeste d’entraver le travail de reportage indépendant sur la situation.

Trois mois plus tard, les forces de sécurité ont tué 62 autres personnes et arrêté des centaines d’autres pendant les manifestations dans tout le pays entre le 19 et le 22 décembre, quand Kabila a refusé de quitter ses fonctions à la fin de son second mandat.

Au cours des deux dernières années, plus de 200 activistes et leaders ou partisans de l’opposition ont été arrêtés arbitrairement et détenus pendant au moins 48 heures simplement en raison de leurs opinions politiques ou pour avoir exercé leurs droits de manifester pacifiquement ou de s’exprimer librement. Certains ont été détenus au secret pendant des semaines ou des mois, sans visite de leurs familles ou de leurs avocats, tandis que d’autres ont été jugés pour de fausses accusations. Beaucoup sont toujours en détention. Ces individus incluent des leaders et des partisans de l’opposition politique, des défenseurs des droits humains et des activistes de la jeunesse pro-démocratie, et des personnes suspectées d’avoir des liens avec les leaders de l’opposition politique. Beaucoup affirment avoir subi des mauvais traitements et des actes de torture et certains souffrent de graves complications de santé.

Au cours des deux dernières années, les autorités ont aussi empêché des journalistes internationaux et congolais de faire leur travail, notamment en les arrêtant, en leur interdisant l’accès ou en confisquant leurs équipements et en effaçant les enregistrements. Près de 40 journalistes ont été détenus en 2017. Le gouvernement a fait fermer des médias congolais et a périodiquement restreint l’accès aux réseaux sociaux. En août, les autorités ont mis fin au brouillage de neuf mois du signal de Radio France Internationale (RFI) à Kinshasa, mais elles ont refusé de renouveler l’accréditation des correspondants internationaux de RFI et de Reuters en RD Congo.

Quelques années plus tôt, de 2013 à 2014, les forces de sécurité congolaises ont exécuté sommairement au moins 51 jeunes hommes et garçons et ont fait disparaître de force 33 autres pendant une campagne policière à Kinshasa, connue sous le nom d’Opération Likofi. On pense que certaines des victimes sont enterrées dans une fosse commune hors de la capitale, où le gouvernement admet avoir enterré plus de 400 cadavres en mars 2015. Jusqu’à présent, le gouvernement n’a pas fait exhumer la fosse commune à Maluku, ni autorisé une enquête indépendante internationale.

Attaques contre des civils commises par les groupes armés et les forces gouvernementales

Entre août 2016 et septembre 2017, les violences impliquant les forces de sécurité congolaises, des milices soutenues par le gouvernement et des groupes armés locaux ont fait jusqu’à 5 000 morts dans la région des Kasaï dans le sud du pays. Six cents écoles ont été attaquées ou détruites et 1,4 million de personnes ont été déplacées de leurs foyers, y compris 30 000 réfugiés qui ont fui en Angola. Près de 90 fosses communes ont été découvertes dans la région ; on estime que la majorité d’entre elles contiennent les corps des civils et des militants tués par les forces de sécurité gouvernementales qui ont eu recours à une force excessive contre des membres ou des sympathisants de milices présumés.

En mars, deux enquêteurs des Nations Unies – Michael Sharp, de nationalité américaine, et Zaida Catalán, citoyenne suédoise et chilienne – ont été sommairement exécutés alors qu’ils enquêtaient sur les graves violations des droits humains dans la région des Kasaï. Les quatre Congolais qui les accompagnaient sont toujours portés disparus. Les conclusions des recherches de Human Rights Watch et d’un rapport de RFI s’orientent vers une responsabilité du gouvernement pour ce double meurtre. Un procès entaché de graves irrégularités contre des suspects dans l’affaire s’est ouvert en juin.

Dans la province de Tanganyika dans le sud-est, plus de 200 personnes ont été tuées, 250 000 autres déplacées et de nombreux villages et camps de déplacés ont été incendiés lors de violences intercommunautaires entre juillet 2016 et septembre 2017. Plus tôt en 2015, à Nyunzu, dans le nord de l’ancienne province de Katanga, des combattants de l’ethnie Luba ont attaqué un camp de personnes déplacées. Les assaillants ont tué au moins 30 civils de la communauté Batwa marginalisée, connus sous le nom de « Pygmées », à coups de machettes, de flèches et de haches et ont brûlé le camp, d’après les constats de Human Rights Watch. Des dizaines d’autres sont portés disparus et on redoute qu’ils ne soient morts. L’attaque est intervenue après des raids meurtriers contre l’ethnie Luba par des milices Batwa.

Des dizaines de groupes armés sont toujours actifs dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu dans l’est de la RD Congo et beaucoup continuent de s’en prendre aux civils. Bon nombre de leurs commandants ont été impliqués dans des crimes de guerre, y compris des massacres ethniques, des meurtres de civils, des viols, le recrutement forcé d’enfants et des pillages.

Dans le territoire de Beni, dans la province du Nord-Kivu, une série de plus de 120 massacres a eu lieu au cours des trois dernières années, dans lesquels les assaillants ont méthodiquement frappé à mort des civils à coups de haches et de machettes ou les ont abattus. Plus de 900 personnes ont été tuées, faisant de cette vague de massacres l’une des périodes les plus violentes de l’histoire congolaise récente. De hauts représentants des Nations Unies et de l’armée congolaise ont affirmé à plusieurs reprises que les attaques sur le territoire de Beni ont été menées par les Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces, ADF), un groupe rebelle islamiste d’origine ougandaise qui est présent dans le secteur depuis 1996. Cependant, les recherches de Human Rights Watch révèlent l’implication d’autres groupes armés et de certains officiers de l’armée congolaise dans la planification et la réalisation de certaines de ces attaques.

Ailleurs dans le Nord-Kivu, les violences intercommunautaires ont augmenté depuis 2015 alors que les combattants du groupe armé Nduma Defense of Congo-Rénové (NDC-R), de l’Union des Patriotes pour la Défense des Innocents (UPDI) et des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) ont mené des attaques à caractère ethnique contre des civils, tuant plus de 200 personnes et incendiant au moins 2 200 maisons.

Les FDLR, un groupe armé rwandais majoritairement hutu, et les groupes alliés Nyatura continuent de commettre certaines des pires atrocités frappant l’est de la RD Congo. Le leader militaire des FDLR, Sylvestre Mudacumura, sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale depuis 2012, est toujours en liberté.

Les enlèvements de civils congolais et de travailleurs humanitaires se poursuivent dans des parties des territoires de Rutshuru, Lubero et Masisi dans le Nord-Kivu. Au moins 200 personnes ont été enlevées pour obtenir une rançon de 2015 à 2016.

Dans la province du Sud-Kivu, les forces de sécurité congolaises ont utilisé une force excessive pour réprimer une manifestation à Kamanyola en septembre 2017, tuant environ 40 réfugiés burundais et blessant plus de 100 autres.

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