(New York) – Le gouvernement pakistanais devrait remanier son système policier qui autorise voire encourage de graves violations des droits humains, selon un nouveau rapport publié aujourd'hui par Human Rights Watch. Depuis des décennies, les gouvernements pakistanais qui se sont succédé ne sont pas parvenus à réformer une police sous-équipée qui manque de moyens, ni à lui demander des comptes pour les violences policières.
« Le Pakistan est confronté à des défis sécuritaires majeurs qui seraient mieux gérés si le pays disposait d'une police tenue de rendre des comptes et respectueuse des droits humains », a déclaré Brad Adams, le directeur de la division Asie de Human Rights Watch. « Au lieu de cela, le respect de la loi a été laissé entre les mains d'une police gangrénée par des officiers mécontents, corrompus et fatigués, qui enfreignent la loi en toute impunité et rendent le Pakistan moins sûr, et non plus sûr. »
Le rapport de 102 pages, intitulé « "This Crooked System": Police Abuse and Reform in Pakistan » (« "Ce système tordu" : Abus policiers et projets de réforme au Pakistan ») décrit un certain nombre de violations des droits humains commises par la police, notamment des arrestations et des détentions arbitraires, des actes de torture et des meurtres impunis. Human Rights Watch a également constaté que la police provinciale subit des pressions de la part des hommes politiques et des élites locales, qu'elle manque des normes éthiques et professionnelles, alors que les demandes sont de plus en plus importantes, de même que les attentes de la population.
Le rapport s'appuie sur des conversations avec plus d'une trentaine de policiers de divers grades, une cinquantaine d'entretiens avec des victimes de violences policières, leurs familles et des témoins d'abus des forces de police, ainsi que des discussions avec un certain nombre d'experts du maintien de l'ordre et des activistes de la société civile. L'étude se concentre sur trois des quatre provinces pakistanaises, à savoir le Sind, le pendjab et le Baloutchistan.
Human Rights Watch a constaté que, dans ces trois provinces, la police a régulièrement recours à la torture et d'autres maltraitances sur les personnes en garde à vue, notamment lors d'enquêtes criminelles, se soldant parfois par le décès des suspects. Les personnes issues des groupes marginalisés (les réfugiés, les pauvres, les minorités religieuses et les « sans terre ») sont particulièrement exposées aux violences policières.
Les coups de bâton et de sangle en cuir (littar), l'étirement et la compression des jambes avec des tiges en métal (roola), les viols, la privation prolongée de sommeil et la torture mentale, notamment l'obligation faite aux détenus d'assister à la torture d'autres personnes, font partie des méthodes de torture employées à l'encontre des placés en garde à vue. Des hauts gradés ont expliqué à Human Rights Watch que la police menace d'employer et emploie souvent la force car elle n'est pas formée aux méthodes d'enquête professionnelles, ni aux analyses médico-légales ; elle s'appuie alors sur des informations et des confessions obtenues sous la contrainte de manière illégale.
Plusieurs policiers ont ouvertement admis avoir recours à de faux « affrontements » ou des « affrontements » factices où ils mettent en scène un échange de tirs pour assassiner une personne déjà incarcérée. D'après eux, ils procèdent à ces meurtres sous la pression d'un supérieur ou d'élites locales car la police est incapable de réunir suffisamment de preuves pour étayer ses convictions. La police assume rarement la responsabilité de ces assassinats et les familles des victimes ne portent pas plainte contre elle de peur d'être harcelées ou faussement accusées lors de coups montés en représailles.
« Pour moi, il ne fait aucun doute que c'est la police qui a tué [mon fils] », affirme le père de Syed Alam, tué en garde en vue à Karachi en novembre 2015. « Ils l'ont tué parce que j'avais déposé plainte pour corruption contre eux [police]. Je n'ai aucun espoir d'obtenir justice avec un système aussi malhonnête. »
La législation qui remonte à l'ère coloniale autorise les élus politiques locaux à interférer régulièrement dans les opérations policières, ordonnant parfois aux policiers de cesser une enquête contre des suspects en lien avec des hommes politiques, notamment des criminels avérés, mais aussi de harceler ou de monter des faux dossiers contre des opposants politiques.
Les conditions de travail difficiles contribuent à ce tableau général qui tolère voire encourage les infractions, d'après Human Rights Watch. Les policiers subalternes sont d'astreinte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Les relèves ne sont pas organisées et beaucoup de policiers enchaînent les gardes, vivant parfois dans des baraquements délabrés au poste de police. Beaucoup sont séparés de leurs familles de manière prolongée. Ils ne disposent souvent pas des équipements nécessaires, notamment des véhicules, du matériel d'enquête et même du papier pour enregistrer les plaintes et prendre des notes.
« Il faut améliorer les conditions de travail et les incitations professionnelles des policiers », a précisé Brad Adams. « La police doit pouvoir compter sur les ressources, la formation, les équipements et les encouragements pour agir de manière professionnelle au lieu de laisser les Pakistanais compter sur les faveurs et les pots-de-vin pour obtenir justice. »
Le gouvernement fédéral pakistanais et les gouvernements provinciaux doivent enquêter rapidement et prendre les sanctions qui conviennent ou poursuivre les policiers qui enfreignent les droits humains, d'après Human Rights Watch. Il s'agit du recours à la détention arbitraire, à la torture et à d'autres mesures coercitives pour obtenir des preuves et des confessions. Les techniques d'enquête valides doivent être explicitement définies dans les règlements et les manuels de la police.
« Il n'y aura pas d'État de droit au Pakistan tant que les forces de maintien de l'ordre ne respecteront pas la loi qu'elles sont censées faire respecter », a conclu Brad Adams. « Pour ce faire, le gouvernement doit modifier le système et éradiquer les influences extérieures néfastes. »
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RFI.fr/AFP 27.09.16