Le Seleka [un groupe rebelle armé] est arrivé et a commencé à tuer des gens. J’étais profondément endormi lorsque j’ai entendu des coups de feu ; je me suis réveillé et je me suis retrouvé seul à la maison. Mes parents avaient fui sans moi. J’ai commencé à crier et j’ai rampé jusqu’à l’entrée de ma maison mais lorsque j’ai regardé dehors, il n’y avait personne. Je suis resté seul pendant une journée jusqu’à ce qu’un jeune homme passe par là. J’ai commencé à pleurer lorsque je l’ai vu et je l’ai imploré : ‘S’il-te-plaît ! Aide-moi ! Si tu me laisses ici, je vais mourir’. Le jeune garçon a eu peur pour moi et a accepté de me porter sur son dos jusqu’à l’aéroport [le camp des déplacés] ».
-Ambroise, un homme de 27 ans qui a un handicap physique, Bangui, République centrafricaine, avril 2015
Résumé
Compte tenu des nombreux conflits armés qui secouent le monde entier, il est essentiel que la communauté internationale réaffirme son engagement à n’oublier personne dans les interventions humanitaires, y compris les personnes en situation de handicap.
Plus d’un milliard de personnes dans le monde, soit environ 15 pour cent de la population mondiale, présentent une forme de handicap.[i] D’après la Commission des femmes pour les réfugiés, 6,7 millions de personnes handicapées seraient déplacées de force suite à des persécutions et d’autres violations des droits humains, conflits et situations de violence généralisée.[ii]
Entre septembre 2013 et mars 2016, Human Rights Watch a interrogé plus de 100 personnes en situation de handicap ainsi que leur famille et a évalué leurs besoins pendant les conflits qui ont frappé la République centrafricaine, l’Irak et le Yémen. Nous avons également étudié les difficultés particulières auxquelles font face les réfugiés handicapés en Europe ainsi que l’accès à l’éducation pour les enfants syriens en situation de handicap au Liban et en Jordanie.
Human Rights Watch a expliqué que, dans des situations à risques comme des conflits armés et des urgences humanitaires, les personnes handicapées risquaient d’être abandonnées chez elles ou dans des villages désertés pendant des jours ou des semaines, avec un accès limité à la nourriture ou à l’eau. Les personnes en situation de handicap qui sont parvenues jusqu’à des camps de déplacés internes ou de réfugiés ont souvent fait face à des problèmes d’accès à la nourriture, à l’hygiène et à l’aide médicale. Les enfants avec des handicaps ne pouvaient pas aller à l’école ou n’avaient pas le même accès à l’éducation que les autres enfants.
Human Rights Watch demande aux gouvernements, aux agences des Nations Unies, aux organisations humanitaires et aux donateurs de considérer les droits et les besoins des personnes en situation de handicap comme une priorité dans les situations de conflit ou de déplacement et de développer une intervention humanitaire plus efficace, non-discriminatoire et inclusive.
Recommandations
Les gouvernements, les agences des Nations Unies, les bailleurs de fonds et les organisations humanitaires doivent agir de façon à garantir la protection, la sécurité et la dignité des personnes atteintes d’un handicap dans des situations à risque, y compris les conflits armés, les urgences humanitaires et les catastrophes naturelles :
Non-discrimination
- En donnant aux personnes handicapées un accès à l’intervention humanitaire, à la fois en termes de protection et d’assistance, identique à celui donné aux autres et en leur permettant de jouir pleinement de leurs droits.
- En approuvant la Charte en faveur de l’inclusion des personnes handicapées dans l’action humanitaire et son Plan d’action, présentés lors du Sommet humanitaire mondial organisé à Istanbul (Turquie) en mai 2016.
Participation
- En favorisant la participation significative des personnes avec des handicaps ainsi que des organisations qui les représentent dans le cadre de la conception, de la mise en place, de la surveillance et de l’évaluation de la capacité d’intervention et des programmes d’intervention et en profitant de leur autorité, de leurs compétences, de leur expérience et autres aptitudes par le biais de leur implication active dans les processus de prise de décision et de planification, y compris les mécanismes de coordination appropriés.
- En apportant un soutien financier ou tout autre soutien approprié de façon à ce que les droits et besoins des personnes présentant différents types de handicap soient pris en compte dans le cadre des initiatives humanitaires.
- En désignant des personnes avec différents types de handicap dans les comités de direction des camps afin de garantir dans une plus ample mesure que leurs préoccupations sont entendues et que des mesures sont prises en conséquence.
Politique d’inclusion
- En développant et en mettant en œuvre des politiques et des lignes directrices sur l’inclusion du handicap dans l’intervention humanitaire. Ces lignes directrices doivent porter sur la coordination, la coopération, la mise en œuvre, la surveillance et le financement et doivent soutenir en outre les pratiques inclusives des acteurs humanitaires.
- En collectant des données ventilées par âge, sexe et handicap et en analysant ces données de façon à ce que les droits et besoins des personnes présentant un handicap soient pris en compte dans le cadre de l’intervention humanitaire. La confidentialité et la protection des données personnelles des personnes handicapées doivent être respectées dans le processus de collecte des données.
Intervention et services en faveur de l’inclusion
- En fournissant un accès distinct ou en adoptant d’autres mesures visant à surmonter les obstacles à l’accès à l’assistance humanitaire pour les personnes en situation de handicap.
- En dispensant aux personnes handicapées des soins médicaux adéquats, appropriés et respectueux des droits humains y compris des soins de santé mentale, des consultations et un soutien psychosocial.
- En améliorant l’accessibilité aux installations médicales y compris en permettant d’avoir accès à un interprète en langue des signes ou une aide appropriée.
- En facilitant l’accès à l’éducation pour les personnes avec différents types de handicap en formant les enseignants et en assurant la pleine accessibilité des salles de classe.
- En agissant de façon à garantir que l’environnement physique dans les camps de déplacés, notamment les besoins fondamentaux, le logement, les écoles et les installations médicales, est accessible aux personnes en situation de handicap et que l’architecture et le plan d’implantation des camps répondent aux besoins des personnes handicapées. Ceci peut se faire en intégrant les personnes avec différents types de handicap dans les plans d’aménagement et d’évacuation des camps.
- En fournissant aux personnes en situation de handicap un accès équitable aux informations sur les services du camp (soins médicaux, distribution de nourriture et plans d’évacuation) à travers la mise à disposition de documents simples ou d’autres méthodes de communication pertinentes.
Coopération et coordination
- En sensibilisant tout le personnel humanitaire international et national et les autorités locales et nationales sur les droits, la protection et la sécurité des personnes en situation de handicap et en renforçant encore leurs capacités et compétences pour identifier et inclure les personnes handicapées dans les mécanismes de préparation et d’intervention humanitaire.
- En demandant au personnel des Nations Unies en mission pour le maintien de la paix, conjointement avec des personnes en situation de handicap et des experts en droits humains, d’élaborer et de mettre en œuvre des plans d’action tenant compte de la façon dont les personnes présentant un handicap seront incluses, soutenues et protégées par les activités de maintien de la paix.
- En demandant à chaque mission de maintien de la paix d’intégrer parmi son personnel des personnes spécialistes des questions de handicap et en demandant que les programmes de maintien de la paix tiennent dûment compte des préoccupations des personnes handicapées.
Abandon des personnes handicapées et obstacles à leur fuite
Lorsque des attaques se produisent, les familles de personnes handicapées font face à un choix difficile : aider leurs proches au risque de se faire tuer ou fuir sans elles et sauver leur vie. De fait, les personnes en situation de handicap sont souvent abandonnées.[iii]
Human Rights Watch a fait état des obstacles à la fuite et de l’abandon en République centrafricaine et en Irak ainsi que dans le cadre de la crise des réfugiés qui frappe l’Europe.
République centrafricaine
En République centrafricaine, Human Rights Watch a constaté que, suite aux attaques sur les communautés que les groupes armés avaient commencé à perpétrer dès 2013, au moins 96 personnes en situation de handicap avaient été abandonnées ou n’avaient pas été en mesure de fuir leur domicile assiégé et 11 avaient été tuées.[iv]
Hamamatou, une jeune rescapée de la polio âgée de 13 ans, a fui sur le dos de son frère suite à un assaut lancé sur leur village. Alors que son frère devenait trop fatigué pour continuer, Hamamatou lui a demandé de sauver sa propre vie et de la laisser. Lorsque les combattants l’ont trouvée deux semaines plus tard, a expliqué Hamamatou à Human Rights Watch, « ils ont dit ‘Nous avons trouvé un animal. Abattons-le’ ». Un autre combattant est intervenu pour lui sauver la vie.[v]
En République centrafricaine, certaines personnes en situation de handicap ont passé des jours ou des semaines (et dans quelques cas, jusqu’à un mois) dans des quartiers ou villages désertés avec très peu d’eau et de nourriture. L’absence d’équipements d’assistance comme des chaises roulantes, des tricycles, des béquilles, etc. qui étaient perdus dans la panique, abandonnés ou pillés rendait difficile toute échappée. En outre, de nombreuses personnes avec un handicap physique ou sensoriel pensaient que le voyage était trop compliqué à réaliser et ont ainsi décidé de rester. D’autres choisissaient de rester chez elles pensant qu’elles allaient être épargnées par les attaquants du fait de leur handicap. Mais, dans certains cas, des personnes handicapées qui se sont trouvées dans l’incapacité de fuir ont été tuées par les attaquants.
Les personnes en situation de handicap font face à d’autres risques dans des situations d’urgence du fait des obstacles à la réception d’informations ou de l’absence de sensibilisation sur le danger qu’elles courent. À titre d’exemple, comme les attaques se sont produites inopinément, les personnes sourdes ou atteintes d’une déficience psychologique ou intellectuelle ne les entendaient tout simplement pas, n’en savaient rien ou ne comprenaient pas ce qui se passait. Human Rights Watch a fait état du cas d’un tailleur de Bangui présentant un handicap psychosocial. Il a été abattu par le groupe de rebelles car il continuait de travailler dans son atelier sur le marché alors que tout le monde fuyait. L’une de ses connaissances a indiqué : « Il n’a tout simplement pas compris ».[vi]
Irak
S’appuyant sur les examens des charniers autour du Mont Sinjar dans la région nord de l’Irak, Human Rights Watch a fait état de cas d’enfants handicapés qui ont été abandonnés lorsque les membres de leur famille ont fui à l’approche des attaques en Irak.[vii] Ces sites sont devenus accessibles après que les forces kurdes ont repris la région au groupe extrémiste État islamique, également connu sous le nom d’ISIS.
Les informations collectées auprès de témoins et de fonctionnaires ayant pris part à l’exhumation des sites indiquent qu’au moins trois victimes dans des sites différents présentaient des handicaps.
Le groupe État islamique a capturé puis tué les Yézidis plus âgés ou malades ou ceux présentant des handicaps qui n’avaient apparemment pas été en mesure d’échapper à temps aux attaques, ont indiqué des témoins.
Crise des réfugiés en Europe
Human Rights Watch a signalé dans quelle mesure les personnes handicapées et leur famille font également face à des difficultés lorsqu’elles quittent des pays déchirés par la guerre comme la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan pour rejoindre l’Europe.
À titre d’exemple, des personnes en situation de handicap ont indiqué à Human Rights Watch que, lorsqu’elles fuyaient pour chercher refuge en Europe, les passeurs ne leur permettaient pas de prendre leurs équipements, comme des chaises roulantes, sur les petites embarcations de caoutchouc. D’autres ont expliqué que le terrain difficile rendait impossible le voyage avec un équipement d’assistance.[viii] De nombreux Syriens qui avaient perdu des membres dans les bombardements incessants qui frappaient leur pays ont été portés par des proches et des amis sur de longues distances, une expérience exténuante pour eux et pour ceux qui leur venaient en aide.
Sara, une jeune syrienne de 13 ans voyageant avec sa sœur aînée et sa mère, présente un handicap physique, souffre de diabète et se déplace en fauteuil roulant. Elle a relaté à Human Rights Watch son effroyable expérience sur le bateau pneumatique depuis la Turquie où elle a été séparée de sa famille, a fini dans l’eau au fond de l’embarcation, a avalé de l’eau salée et a perdu connaissance.[ix] Après avoir fui la guerre en Syrie en juillet 2015 puis avoir été refoulée par les ambassades d’Allemagne et de Suède en Turquie, la famille a pensé qu’elle n’avait pas d’autre choix que de risquer sa vie et de faire le voyage jusqu’à l’île grecque de Lesbos.
Accès à la nourriture, à l’hygiène et aux services médicaux
L’absence d’accès équitable à la nourriture, à l’hygiène et aux services médicaux est un grave problème pour les personnes handicapées dans des situations d’urgence humanitaire. Plusieurs difficultés expliquent cet état de fait : la destruction des hôpitaux et autres infrastructures sur lesquelles les personnes handicapées comptent, les difficultés à parvenir physiquement jusqu’aux services, les pénuries en denrées vitales du fait de l’accès humanitaire limité ou la demande de prise en charge des personnes blessées lors des conflits ainsi que les difficultés à accéder aux processus d’enregistrement et à acquérir le statut légal de réfugié.
Human Rights Watch a fait état de certains de ces obstacles en République centrafricaine, au Yémen, en Irak, en Europe et au Liban.[x]
Crise des réfugiés en Europe
En mars et avril 2016, Human Rights Watch a fait état de la façon dont des milliers de demandeurs d’asile et de migrants parmi lesquels de nombreuses personnes en situation de handicap, au port du Pirée d’Athènes et sur les îles grecques de Lesbos et de Chio, ont fait face à des conditions de vie effroyables alors que s’intensifiait la crise humanitaire affectant les personnes bloquées en Grèce du fait de la fermeture des frontières.[xi]
Human Rights Watch a constaté par exemple que le simple fait de satisfaire ses besoins fondamentaux à l’intérieur du camp comme aller aux toilettes est particulièrement difficile pour les personnes en situation de handicap. Nombre d’entre elles parmi lesquelles des femmes handicapées ont décrit à Human Rights Watch le calvaire qu’elles vivaient du fait de ne pas avoir la possibilité de se laver pendant des jours ou même des semaines.
Nawael, une Syrienne en fauteuil roulant âgée de 34 ans qui était restée au Pirée avec son mari et ses trois enfants pendant plus de dix jours, a indiqué à Human Rights Watch :
Ici, il est très difficile pour moi d’aller aux toilettes. Mon mari m’aide à la porte et des femmes m’aident à l’intérieur. Je ne dors pas la nuit parce que mon corps me démange. Mon mari m’aidait et je me lavais les cheveux à l’eau froide mais je suis tombée malade. Il y a dix jours, j’ai eu mes règles et, je le jure devant Dieu, je n’ai toujours pas pris de douche depuis. Et [généralement] je prie, mais comme je ne me suis toujours pas douchée, je ne peux pas prier.[xii]
Dans le centre VIAL de Chio destiné aux réfugiés, aux migrants et aux demandeurs d’asile - centre qui, depuis la mise en œuvre d’un accord entre l’Union européenne et la Turquie conclu le 20 mars, est devenu un centre de détention -, les quelques 1 000 détenus sont seulement autorisés à se déplacer dans une zone restreinte entourée d’une clôture de fil barbelé avec des containers en guise de logement. Le centre ne dispose d’aucune douche accessible aux personnes en fauteuil roulant et n’a qu’un seul cabinet de toilette accessible aux personnes avec un handicap physique dans chaque section du camp.[xiii]
Avec des camps informels comme celui du Pirée et ceux de Lesbos et de Chio qui ne cessent de s’étendre et avec des bénévoles dépassés qui sont de facto en charge de leur gestion, Human Rights Watch a constaté que les besoins essentiels des femmes avec des jeunes enfants, des mères célibataires, des femmes enceintes et des personnes présentant des handicaps ou nécessitant des soins médicaux ne sont pas satisfaits.
Human Rights Watch a rencontré sur l’île de Lesbos une Afghane de 45 ans, une ex-enseignante qui a fui les Talibans. Au moment de l’entretien, elle était tapie dans un coin de son container. Son neveu a indiqué qu’elle est atteinte de graves handicaps psychosociaux et a montré un document de la Croix rouge espagnole indiquant qu’elle souffre d’une forte dépression et de troubles d’adaptation qui sont généralement déclenchés par des événements d’une pression intense. Un médecin lui avait prescrit divers antidépresseurs et neuroleptiques mais son neveu a indiqué qu’il n’avait pas été en mesure d’obtenir des médicaments ou d’autres soins de santé mentale.[xiv]
Une autre Afghane, mère de deux garçons âgés de 9 ans et de 18 mois, tous deux épileptiques, a indiqué à Human Rights Watch que son fils de 9 ans qui avait eu des crises depuis qu’ils avaient quitté la Turquie en bateau n’avait pas pris son traitement pendant une semaine. Elle a indiqué que les passeurs ont jeté à la mer les médicaments et la nourriture spéciale qu’on lui avait donnés et ont menacé de faire de même avec le garçon en cas de protestation.[xv]
En octobre 2015, Human Rights Watch a également fait état de la situation d’un jeune homme, Ayman, 28 ans qui est atteint d’un handicap physique causé par un tir de roquette sur son domicile de Damas.[xvi] Lorsque Human Rights Watch lui a parlé, Ayman avait été enfermé pendant plus de 40 jours. Il a indiqué que son fauteuil roulant s’était cassé à la frontière et qu’il a passé 23 jours couché sur un lit jusqu’à ce que son avocat soit en mesure de lui obtenir un fauteuil roulant qui avait fait l’objet d’un don. « Tous les deux ou trois jours, tous les autres sont sortis dans la cour pour prendre l’air pendant 15 ou 20 minutes, a-t-il expliqué. Je ne suis pas sorti depuis 42 jours à cause des escaliers. Même les animaux sont mieux traités. Nous n’avons rien fait de mal, pourquoi sommes-nous ici ? ».
Syrie
En décembre 2012, certains hôpitaux psychiatriques d’Alep (Syrie) ont été endommagés ou détruits sous des tirs d’obus incessants, obligeant le personnel à fuir et les patients à se débrouiller seuls. Les quelques établissements psychiatriques restés ouverts, comme celui de Dar al-Ajaza, ont fait face à des pénuries chroniques en approvisionnements.[xvii] L’hôpital compte désormais sur quelques hommes d’affaires charitables pour se maintenir à flot. « Il n’y a pas d’électricité, pas de pain, pas de médicament, pas de médecin », a déclaré le préposé à l’entretien, Abu Abdu, âgé de 31 ans. Dans une chambre, 12 patients atteints des handicaps mentaux et psychosociaux les plus graves ont partagé quatre lits. Enroulés dans des couvertures, ils ne formaient qu’une seule masse. [xviii]
Yémen
Pour les personnes handicapées, l’inflation du prix des médicaments et du carburant et le manque d’établissements de soins ont de graves conséquences. D’avril 2015 à avril 2016, la fermeture de près de 300 organisations qui fournissaient des services spécialisés aux personnes en situation de handicap au Yémen a encore aggravé la pénurie de soutien.[xix]
À titre d’exemple, Khalid, un jeune garçon de 15 ans, est atteint d’une dystrophie musculaire de Duchenne et vit avec sa famille à Sanaa, la capitale. Jusqu’à l’âge de 2 ans, Khalid pouvait marcher - avec quelque difficulté toutefois ; mais son état s’est détérioré et il est aujourd’hui tétraplégique. Avant même la guerre, Khalid et sa mère, Safiya, ne recevaient déjà aucune aide pour répondre aux besoins de l’enfant – comme des couches, un matelas ou des séances de physiothérapie – de la part du gouvernement ou des organisations humanitaires œuvrant à Sanaa.
Les chercheurs de Human Rights Watch ont vu Khalid allongé sur un fin matelas spongieux posé à même le sol ; d’après sa mère, c’est là qu’il passe toutes ses journées.[xx] Il a été inscrit à l’école jusqu’en primaire mais n’y va plus depuis. Khalid n’a pas de fauteuil roulant pour l’aider dans ses déplacements.
Les tensions causées par la guerre ont également eu une incidence sur la santé physique et mentale de Khalid. Lorsque les frappes aériennes de la coalition menées par l’Arabie saoudite ont commencé à viser les forces rebelles houthistes à Sanaa en mars 2015, il a paniqué et a refusé de s’alimenter, se nourrissant seulement de lait. La famille a dû lui mettre un goutte-à-goutte car il s’est rapidement dénutri.
Hanan, une fillette yéménite de 4 ans atteinte de paralysie cérébrale et d’épilepsie, a également besoin de médicaments dont le prix est devenu inabordable avec la poursuite des conflits. Le père de Hanan a raconté à Human Rights Watch : « Ses médicaments sont importants pour sa santé parce que, lorsqu’elle les prend régulièrement, elle n’a une crise d’épilepsie qu’une fois toutes les deux semaines. Mais lorsqu’elle ne les prend pas, elle a des crises deux fois par jour... C’est dur de se sentir inutile ».[xxi]
Irak
En janvier 2016, Human Rights Watch a interrogé 15 femmes et jeunes filles qui ont échappé au groupe État islamique parmi lesquelles sept ont récemment vécu dans les camps de déplacés internes situés dans le gouvernorat Dohuk dans la région nord-ouest du Kurdistan irakien. Les femmes et les jeunes filles que Human Rights Watch a interrogées et qui ont été détenues pendant plus d’un an ont indiqué qu’elles ont été achetées et vendues plusieurs fois par différents membres de l’organisation État islamique. Trois de ces femmes ont eu quatre « maîtres » différents pendant leur captivité et ont été violées par la plupart d’entre eux.[xxii] Une seule des 15 femmes et jeunes filles interrogées par Human Rights Watch a eu accès aux soins de santé et au soutien psychologique indispensables pendant son séjour dans les camps de déplacés internes.
D’après 11 prestataires publics ou non-gouvernementaux de services de soin de santé mentale et de soutien psychosocial, la plupart des femmes yézidies qui ont échappé à un enlèvement par le groupe État islamique montrent des signes de trouble de stress post-traumatique et de pathologie mentale.[xxiii] Dépassé au départ par les besoins, le gouvernement a mis en place un centre de survie doté de deux psychologues.
Le Dr Nezar Ismet Taib, directeur général de la direction de la Santé du Gouvernorat de Duhok, a déclaré à Human Rights Watch que le centre a inscrit 668 femmes et jeunes filles qui ont toutes échappé au groupe État islamique. Des organisations non gouvernementales proposent des activités d’information et de sensibilisation du public dans les camps de déplacés, y compris certaines activités de soutien psychosocial et dans certains cas des soins dispensés par des psychologues. Des corridors de services ont été mis en place et ont permis de garantir que les femmes et jeunes filles en situation de détresse émotionnelle aiguë reçoivent les soins médicaux d’urgence. Au moins 60 femmes dans les camps de Kapartu, par exemple, ont menacé ou tenté de se suicider entre juin et août 2015.[xxiv]
Toutefois, la qualité des services dans les camps diffère ; et les femmes et jeunes filles qui vivent dans des camps éloignés de la ville de Dohuk ou hors des camps ont moins de possibilités de recevoir un soutien. Un manque d’information et de sensibilisation, la stigmatisation autour des pathologies mentales et de la violence sexuelle, l’absence d’argent pour le transport vers le centre de survie ou d’autres sites et un manque de connaissance et de compréhension des services existants ont totalement empêché les femmes et jeunes filles d’avoir accès à une assistance.[xxv]
Une seule des femmes et des jeunes filles avec lesquelles Human Rights Watch a parlé a pu être suivie à moyen ou long terme, même si elles ont toutes fait part de leur combat contre des problèmes comme l’insomnie, les flashbacks, l’anxiété et la dépression.[xxvi] « J’irais sans hésiter voir un psychologue s’il y en avait », a déclaré Noreen, 19 ans, à Human Rights Watch.
République centrafricaine
Les personnes en situation de handicap interrogées par Human Rights Watch dans des camps de déplacés internes en République centrafricaine en janvier et avril 2015 ont déclaré qu’elles étaient dans l’incapacité de rejoindre les centres de distribution de nourriture parce que ces lieux étaient inaccessibles ou parce que, au moment où elles y arrivaient avec une aide extérieure, la distribution était déjà terminée.[xxvii] À titre d’exemple, Ambroise, un jeune homme de 27 ans paralysé des membres inférieurs, a indiqué à Human Rights Watch en quoi le site de distribution de nourriture du camp de M’Poko était inaccessible pour lui et en quoi les gens comme lui étaient totalement laissés pour compte. Parfois il ne mangeait rien de la journée, a-t-il expliqué.[xxviii]
Accéder aux installations de base comme les latrines était également compliqué et souvent les personnes avec un handicap physique devaient ramper sur le sol pour entrer, s’exposant ainsi à d’éventuels risques sanitaires ou infections.
Jean, un homme avec un handicap physique que Human Rights Watch a rencontré dans le camp de M’Poko en janvier 2015, a déclaré : « Mon tricycle ne rentre pas dans les toilettes et je dois me mettre à quatre pattes et ramper. Au début, j’avais des gants pour mes mains ; ainsi je ne mettais pas d’[excrément] sur mes mains mais désormais je dois utiliser des feuilles ». Dès novembre 2015, 233 personnes avec des handicaps vivaient dans divers camps de déplacés disséminés dans le pays – 110 dans le camp de M’Poko, 44 au Mt Carmel à Bimbo et 33 dans le camp de Seminiare St. Mark, également à Bimbo.[xxix] Parmi elles, 181 y étaient entrées en décembre 2013 et y vivaient depuis plus de deux ans.
Pour les personnes atteintes de handicaps sensoriels, se déplacer autour du camp de M’Poko sans aide extérieure peut s’avérer extrêmement dangereux. Human Rights Watch a fait état de plusieurs cas dans lesquels des personnes aveugles tombaient dans des fossés d’évacuation des eaux usées du camp ou étaient brûlées par des feux de camp ou de l’eau bouillante. La clinique du camp ne dispose d’aucun assistant pour faciliter la communication avec les personnes sourdes.[xxx] Par conséquent, les personnes sourdes qui ne peuvent ni lire ni écrire et qui ne sont pas accompagnées d’un proche ou d’un ami pour les aider dans la communication pourront hésiter à demander une aide médicale ou pourront avoir du mal à communiquer si effectivement elles demandent cette aide.
Accès à l’éducation
Les conflits et les déplacements sont particulièrement perturbants pour les enfants et les jeunes personnes en situation de handicap qui ne sont pas en mesure d’aller à l’école ou de recevoir un enseignement d’une manière inclusive ou qui ne reçoivent pas le soutien psychosocial nécessaire relativement aux événements desquels ils ont été témoins pendant les conflits. Les parties à un conflit occupent souvent les écoles, en faisant des cibles militaires soumises aux attaques. Human Rights Watch a fait état de certaines de ces difficultés au Yémen, en République centrafricaine, au Liban et en Jordanie.
Yémen
Au Yémen, les rebelles houthistes ont illégalement exposé le Centre pour aveugles al-Noor à Sanaa à un risque grave en basant les forces militaires dans l’enceinte du centre sans prendre toutes les précautions possibles pour éloigner les civils. Une bombe de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite qui a touché l’enceinte le 5 janvier 2016 n’a pas explosé mais a blessé quatre civils et a endommagé le seul centre de la capitale ouvert aux personnes atteintes d’un handicap visuel.[xxxi]
Le 6 janvier, Human Rights Watch a visité les trois bâtiments de l’école et a interrogé cinq témoins de la frappe aérienne, parmi lesquels trois blessés.
Saleh al-Matari, un membre du personnel âgé de 27 ans, a indiqué :
J’ai vu de la lumière et puis des éclats de verre au moment où la fenêtre s’est brisée. J’ai entendu des cris et des pleurs en provenance du bâtiment des chambres. Quelques minutes plus tard, j’ai vu une foule de personnes dans la cour de l’enceinte qui aidaient à évacuer de la résidence près de 30 étudiants aveugles.[xxxii]
Le choc de l’impact de la bombe a brisé des vitres et soufflé les portes de trois bâtiments de l’enceinte ainsi qu’au moins quatre bâtiments voisins. La frappe a blessé deux membres du personnel, un étudiant du centre âgé de 18 ans, un résident local et un garde houthiste. Si la bombe avait explosé, les dommages sur les bâtiments et les victimes civiles auraient pu être bien plus importants.[xxxiii]
République centrafricaine
En janvier et avril 2015, en République centrafricaine, Human Rights Watch a signalé que très peu d’enfants présentant un handicap sont inscrits dans les écoles des camps de déplacés internes comme M’Poko.[xxxiv] Lorsque Human Rights Watch a visité l’école du camp de M’Poko en avril 2015, plus de 3 797 enfants y étaient inscrits, parmi lesquels seulement 14 enfants en situation de handicap. Alors que l’école est accessible aux fauteuils roulants, la route pour se rendre à l’école ne l’est pas. Les enfants avec un handicap physique ne peuvent pas s’y rendre à moins qu’un membre de la famille ne les y emmène et ne vienne les chercher et qu’ils ne disposent d’un équipement d’assistance. Sans un équipement d’assistance comme une chaise roulante, les enfants avec un handicap physique peuvent avoir du mal à s’asseoir toute la journée sur le sol.
Le personnel de l’école a indiqué à Human Rights Watch que certains parents hésitent à envoyer les enfants avec un handicap physique à l’école car ils craignent que, en cas d’attaque, les enfants ne soient pas en mesure de fuir. Les enfants avec un handicap sensoriel ou intellectuel ne sont pas capables de suivre à l’école car l’école ne dispose d’aucun enseignant formé aux méthodes inclusives.
« Aucun membre de notre personnel n’est formé pour enseigner aux enfants aveugles, sourds ou présentant un autre handicap, a indiqué un membre du personnel travaillant à l’école. Il ne sert donc à rien de laisser les enfants handicapés venir dans cette école ».[xxxv] Le personnel de l’école a incité les parents à inscrire leurs enfants mais n’a pas activement recherché à faire inscrire les enfants handicapés.
Jordanie
Les recherches réalisées par Human Rights Watch en octobre 2015 ont révélé que, conformément à la politique jordanienne sur l’éducation inclusive, certaines écoles jordaniennes avaient accepté des enfants syriens avec des handicaps physiques. Toutefois, certaines écoles publiques ne disposaient pas des installations nécessaires pour les enfants atteints d’un handicap physique qui faisaient également face à des difficultés de transport depuis et vers l’école. Les parents des enfants présentant plusieurs handicaps - généralement intellectuels et physiques - ont indiqué à Human Rights Watch qu’ils ne pouvaient pas inscrire leurs enfants ou n’essayaient même pas de le faire car, d’après eux, l’école allait refuser leurs enfants.
Une enquête menée par les Nations Unies et une ONG en 2015 a révélé qu’en Jordanie, 3 % des enfants réfugiés syriens en âge d’aller à l’école présentaient au moins un handicap, le plus souvent un handicap physique ou une cécité totale ou partielle.[xxxvi] La raison la plus courante pour laquelle les enfants syriens en situation de handicap n’étaient pas à l’école était l’inaccessibilité physique de l’école.[xxxvii]
Hanin et Bayan, deux sœurs inscrites dans une école primaire publique jordanienne à Mafraq, ont des difficultés pour marcher. L’école ne dispose pas d’ascenseurs ou de rampes pour les fauteuils roulants, a indiqué leur mère à Human Rights Watch, et bien qu’elle soit reconnaissante à l’égard du personnel de l’école, elle craignait qu’elles ne soient contraintes d’abandonner compte tenu du prix élevé du transport et de l’absence de soutien vis-à-vis de leurs filles dans l’école :
Le directeur a accepté de les inscrire même si l’école n’est pas accessible. Et les enseignants ne les obligent pas à se mettre en rang – elles peuvent directement entrer en classe. Hanin était deuxième de sa classe et même le directeur m’a dit de ne pas la retirer de l’école. Mais il leur faut 30 minutes pour aller à l’école et je dois les accompagner et les porter. Elles sont de plus en plus lourdes et leur sac est lourd. Je peux seulement me permettre de payer une voiture un dinar [1,4 $US] mais les chauffeurs demandaient 25 dinars [35 $US] par mois. Je ne veux pas que les filles restent à la maison et elles m’ont dit qu’elles souhaitent étudier, alors, elles sauront lire, pas comme moi. Mais Bayan doit aller à un autre étage avec sa classe, et il y a deux grosses marches. Je ne connais pas d’autres enfants avec des handicaps dans l’école. Je ne pense pas qu’elles seront en mesure de rester là.[xxxviii]
Sur les cinq enfants syriens qui présentaient des handicaps à la fois physiques et intellectuels dont les familles ont été interrogées par Human Rights Watch, quatre n’étaient jamais été à l’école en Jordanie. Amal, qui est arrivée en Jordanie en provenance de Homs en 2013, a indiqué que son fils de 12 ans, Ali, était atteint de handicaps à la fois physiques et intellectuels et qu’il n’allait pas à l’école car « il n’existait aucune école qui prendrait des enfants avec des handicaps comme son fils ».[xxxix]
Hind a sept enfants, dont cinq sont âgés de moins de 18 ans. Elle a déclaré à Human Rights Watch que sa fille trisomique de 12 ans, Nada, avait été inscrite dans une école spécialisée pour enfants trisomiques après l’arrivée de la famille en Jordanie en 2012. Hind avait dû retirer Nada de cette école en 2014 car elle ne pouvait plus payer le bus de l’école. Elle avait espéré inscrire Nada dans une école publique plus proche dans laquelle certains de ses autres enfants étaient inscrits avec des frais de bus réduits (6 dinars jordaniens par mois soit environ 8 $US). Toutefois, le directeur de l’école lui a dit qu’il ne restait « aucune place ». « Désormais Nada reste à la maison », a déclaré Hind.[xl]
Ahlam, 31 ans, a indiqué que son fils de 10 ans, Mohamad, avait été brûlé au cou et avait perdu un œil en Syrie dans un accident survenu en juillet 2014 dans une école qui accueillait 4 000 personnes déplacées. Mohamad a subi deux interventions chirurgicales et « souffre constamment de maux de tête », a déclaré sa mère. Sa maîtresse assure un suivi auprès de la famille ; « elle le laisse s’asseoir devant » et c’est le seul aménagement qu’il reçoit à l’école compte tenu de sa vision limitée.[xli]
De nombreux parents syriens ont indiqué que leurs enfants avaient été témoins d’événements traumatisants en Syrie avant de fuir pour la Jordanie. Dans certains cas, le manque de services de soins de santé mentale et de support psychosocial les a amenés à ne pas inscrire leurs enfants dans une école en Jordanie. À titre d’exemple, Ahmed, âgé de 16 ans, avait déjà abandonné l’école en Syrie à l’âge de 9 ans pour s’occuper du magasin de son père mais il avait souhaité revenir à l’école jusqu’à ce que les expériences vécues pendant le conflit « ne changent sa personnalité, a indiqué sa mère. Il a transporté des combattants blessés et des cadavres et une fois, il a dû porter la tête de son cousin. Son père a été arrêté en 2011 et emprisonné pendant un an et demi. J’ai essayé de l’inscrire dans une école [en Jordanie] mais il ne voulait pas y aller. Il ne veut même plus sortir de la maison ».[xlii] Elle n’avait connaissance d’aucun service de santé mentale à disposition pour son fils.
D’autres services étaient limités ou ne pouvaient pas être dispensés sur le long terme. Dans le cadre du système de santé jordanien, une physiothérapie gratuite pour Ali, le garçon de 12 ans dont le cas est exposé plus haut, a été proposée en 2014 au Princess Basma Hospital d’Amman, « mais au bout d’un mois, ils nous ont appelés et nous dont dit qu’ils ne pouvaient pas faire plus et que le traitement était donc terminé ».[xliii] La mère d’Ali a indiqué que sa famille avait reçu une subvention financière ponctuelle de la part de Save the Children ainsi qu’un fauteuil roulant et des couches de la part d’une association caritative locale mais qu’elle n’avait pas pu payer les médicaments prescrits pour Ali.
Les organisations humanitaires ont proposé des services de soutien psychosocial à des centaines de milliers de réfugiés en Jordanie.[xliv] Toutefois, il faut davantage de soutien et une assistance communautaire à plus long terme pour les enfants atteints d’une pathologie mentale notamment pour les familles de réfugiés qui sont en Jordanie depuis plusieurs années.[xlv]
Liban
Human Rights Watch a signalé que des enfants en situation de handicap ont été largement exclus des initiatives visant à donner aux enfants syriens un accès à l’éducation, malgré une étude de 2014 menée par Handicap International qui a révélé qu’environ 20 pour cent des réfugiés syriens au Liban présentent un handicap.[xlvi]
Treize organisations spécialisées dans l’humanitaire et les handicaps qui travaillent au Liban ont indiqué à Human Rights Watch que peu voire rien n’avait été fait pour garantir l’accès à l’éducation pour les enfants en situation de handicap.[xlvii] En discutant des options à disposition des enfants handicapés, un expert local a déclaré à Human Rights Watch, « dans la plupart des cas, les écoles publiques n’acceptent pas les Syriens présentant un handicap. Là où ils sont inscrits, aucun service n’est proposé ».[xlviii] Human Rights Watch a parlé avec les familles de 14 enfants handicapés dont la plupart ont essuyé un refus lorsqu’elles ont tenté d’inscrire leurs enfants dans des écoles publiques libanaises.
L’intervention humanitaire a cherché à améliorer l’accessibilité mais ces mesures se limitent essentiellement à de petites améliorations axées sur l’accessibilité physique. À titre d’exemple, en décembre 2015, seules 7 écoles sur les 72 récemment réaménagées respectaient les normes en matière d’accessibilité physique pour les enfants en situation de handicap.[xlix]
Maysa, 30 ans, a une fille âgée de 10 ans, Layla, qui présente un handicap intellectuel. Elle a essayé d’inscrire Layla dans plusieurs écoles publiques et dans une école dirigée par une ONG mais toutes l’ont refusée. « On m’a dit ‘nous n’acceptons pas ce type de cas’. Je ne veux rien. Je veux simplement qu’elle apprenne ».[l] Abir, 30 ans, a vécu une expérience similaire. Elle a deux enfants âgés de 6 et 10 ans, les deux étant atteints de handicaps intellectuels. Elle a d’abord essayé d’inscrire son plus jeune enfant dans une école privée mais elle n’était « pas équipée » pour lui délivrer un enseignement, a-t-elle précisé, et le personnel lui a dit qu’elle « gaspillait [son] argent car il avait des besoins particuliers ». En 2014, elle a inscrit les enfants dans une école spéciale pour un coût total de 1 650 $US par an mais ne peut plus se le permettre aujourd’hui. Abir est depuis dans l’impossibilité de les inscrire dans des écoles publiques ou privées au Liban. Elle a indiqué à Human Rights Watch, « j’ai essayé d’inscrire mon fils de 10 ans dans une école publique mais ils l’ont refusé, même à l’école maternelle. Ils m’ont dit que les autres écoliers allaient se moquer de lui. Alors aujourd’hui il est à la maison ».[li]
Même là où les Syriens sont en mesure d’inscrire des enfants en situation de handicap dans des écoles publiques libanaises, ceci ne signifie pas que les écoles répondent correctement aux besoins de tous les enfants pour garantir la délivrance d’un enseignement de qualité dans les mêmes conditions que les autres enfants. À titre d’exemple, Kawthar, 33 ans, a un fils de 12 ans, Wa’el atteint de la maladie de Hunter, un trouble du développement. Alors que Kawthar pouvait inscrire Wa’el dans une école publique, l’école a refusé de prendre des mesures même basiques pour proposer un aménagement, en lui permettant notamment de s’asseoir au premier rang afin qu’il puisse mieux se concentrer. « Je ne demandais pas grand-chose », a indiqué Kawthar. Elle nous a dit :
Il a des problèmes de compréhension et, sans les livres, je ne peux pas l’aider à suivre. Il ne reçoit aucune attention particulière, ils le traitent comme n’importe quel autre écolier. Une fois, il est revenu à la maison en pleurant parce que d’autres enfants s’étaient moqués de lui. La qualité [de l’enseignement] est terrible. J’essaie de leur enseigner à la maison mais leurs livres ne sont toujours pas arrivés.[lii]
Dans un entretien de suivi mené en février 2016, Kawthar a indiqué à Human Rights Watch qu’elle avait retiré ses enfants de l’école car ils n’apprenaient pas et que le coût du transport (environ 80 $US par mois) pour les garder à l’école était élevé (environ 80 $US par mois).[liii]
Le manque d’opportunités d’enseignement pour les enfants handicapés au Liban est particulièrement frustrant pour les enfants qui ont pu aller à l’école en Syrie. Khalid, 29 ans, a indiqué à Human Rights Watch que ses frères Mo’ayad et Majed, âgés respectivement de 13 et 18 ans, ne peuvent pas parler ou entendre. Ils ont été jusqu’en CM2 et 3ème en Syrie et étaient d’excellents élèves. Khaled a déclaré : « En 2013, ils ont quitté Damas lorsque Raqqa est tombé [aux mains des groupes rebelles armés]. La chose la plus importante était l’enseignement. Ils se levaient à 5 heures du matin pour arriver à l’école à 8 heures à cause des postes de contrôle. C’était très cher ». C’est alors que les parents de Khaled ont envoyé Majet et Mo’ayad au Liban où ils ont été sortis du circuit scolaire pendant trois ans.
Au Liban, Khaled a essayé d’inscrire ses frères dans plusieurs centres et écoles. Il indique qu’une école lui a dit qu’elle n’acceptait pas les étrangers ; une autre a dit qu’elle lui facturerait 4 000 $US et une troisième qu’elle n’avait pas la capacité d’enseigner à ses frères. Khaled nous a dit :
J’irais n’importe où tant que mes frères pourront aller à l’école et recevoir des soins de santé. . . . J’ai perdu espoir de les inscrire dans une école. J’essaie de les sortir mais, la journée, ils restent à la maison.[liv]
La voie à suivre
Les personnes en situation de handicap font face à des difficultés uniques lors des urgences humanitaires : abandon, négligence, absence d’accès équitable aux services de base. Alors que les gouvernements, les organisations humanitaires et les donateurs sont dépassés par de nombreuses priorités plus importantes les unes que les autres dans des situations d’urgence, ils doivent agir de façon à veiller à ce que les besoins et préoccupations des personnes en situation de handicap soient pris en compte dans le cadre des initiatives humanitaires. Inclure les personnes handicapées et les organisations qui les représentent va donner une dimension importante, souvent inexploitée, à l’approche humanitaire et va profiter à la communauté affectée dans un cadre plus large.
[i] Organisation mondiale de la santé, « Handicap et santé », décembre 2015, http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs352/fr/.
[ii] Commission des femmes pour les réfugiés, « Refugees with Disabilities Fact Sheet », 2014, https://www.womensrefugeecommission.org/disabilities/disabilities-fact-sheet.
[iii] Human Rights Watch, « République centrafricaine : Les personnes en situation de handicap sont laissées pour compte », 28 avril 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/04/28/republique-centrafricaine-les-personnes-en-situation-de-handicap-sont-laissees-pour
[iv] Human Rights Watch, « République centrafricaine : Les personnes en situation de handicap sont laissées pour compte », 28 avril 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/04/28/republique-centrafricaine-les-personnes-en-situation-de-handicap-sont-laissees-pour
[v] Human Rights Watch, « République centrafricaine : Les personnes en situation de handicap sont laissés pour compte », 28 avril 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/04/28/republique-centrafricaine-les-personnes-en-situation-de-handicap-sont-laissees-pour
[vi] Human Rights Watch, « République centrafricaine : Les personnes en situation de handicap sont laissés pour compte », 28 avril 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/04/28/republique-centrafricaine-les-personnes-en-situation-de-handicap-sont-laissees-pour
[vii] Entretiens de Human Rights Watch en Irak avec des familles ayant fui les attaques de l’État islamique, août 2014. Human Rights Watch, « Iraq: Protect Mass Graves Evidence of Possible ISIS Genocide Endangered,” 30 January 2016, https://www.hrw.org/news/2016/01/30/iraq-protect-mass-graves
[viii] Human Rights Watch, « Les personnes handicapées face à des risques accrus dans les situations de crise – Il faut leur garantir un accès égal aux services », 3 décembre 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/12/03/les-personnes-handicapees-face-des-risques-accrus-dans-les-situations-de-crise
[ix] Human Rights Watch, « Les personnes handicapées face à des risques accrus dans les situations de crise – Il faut leur garantir un accès égal aux services », 3 décembre 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/12/03/les-personnes-handicapees-face-des-risques-accrus-dans-les-situations-de-crise
[x] Human Rights Watch, « Dispatches: Invisible Victims of the Syrian Conflict—People With Disabilities »,19 septembre 2013, https://www.hrw.org/news/2013/09/19/dispatches-invisible-victims-syrian-conflict-people-disabilities ; Human Rights Watch, « Attaques contre des établissements de santé, leur personnel et des patients – Le manque de contrôle et de protection entrave l’accès à la justice, 20 mai 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/05/20/attaques-contre-des-etablissements-de-sante-leur-personnel-et-des-patients ; Human Rights Watch, « Yemen: Coalition Airstrikes Hit Hospital Credible, Impartial Inquiry Needed into Attack », 27 octobre 2015, https://www.hrw.org/news/2015/10/27/yemen-coalition-airstrikes-hit-hospital ; Human Rights Watch, « Yémen : Imposer un embargo sur les armes à destination de l’Arabie saoudite – Les États-Unis, le Royaume-Uni et la France risquent de se rendre complices de frappes aériennes illégales », 22 mars 2016, https://www.hrw.org/fr/news/2016/03/21/yemen-imposer-un-embargo-sur-les-armes-destination-de-larabie-saoudite ; Human Rights Watch, « République centrafricaine : Les personnes en situation de handicap sont laissées pour compte », 28 avril 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/04/28/republique-centrafricaine-les-personnes-en-situation-de-handicap-sont-laissees-pour.
[xi] Human Rights Watch, « Greece: Humanitarian Crisis at Athens Port EU, Greek Authorities Should Urgently Address Needs »,23 mars 2016, https://www.hrw.org/news/2016/03/24/greece-humanitarian-crisis-athens-port ; Human Rights Watch, « Grèce : Des demandeurs d’asile enfermés - Ces personnes dans le besoin sont placées dans des centres dans des conditions de vie déplorable », 14 avril 2016, https://www.hrw.org/fr/news/2016/04/14/grece-des-demandeurs-dasile-enfermes.
[xii] Human Rights Watch, « Greece: Chaos, Insecurity in Registration Center Information, Attention to Vulnerable Groups Urgently Needed », 12 octobre 2015, https://www.hrw.org/news/2015/10/12/greece-chaos-insecurity-registration-center.
[xiii] Human Rights Watch, « Grèce : Des demandeurs d’asile enfermés - Ces personnes dans le besoin sont placées dans des centres dans des conditions de vie déplorable », 14 avril 2016, https://www.hrw.org/fr/news/2016/04/14/grece-des-demandeurs-dasile-enfermes
[xiv] Human Rights Watch, « Greece: Chaos, Insecurity in Registration Center Information, Attention to Vulnerable Groups Urgently Needed », 12 octobre 2015, https://www.hrw.org/news/2015/10/12/greece-chaos-insecurity-registration-center
[xv] Human Rights Watch, « Greece: Chaos, Insecurity in Registration Center Information, Attention to Vulnerable Groups Urgently Needed », 12 octobre 2015, https://www.hrw.org/news/2015/10/12/greece-chaos-insecurity-registration-center
[xvi] Human Rights Watch, « Dispatches: Seeking Protection, Behind Bars in Hungary », 30 octobre 2015, https://www.hrw.org/news/2015/10/30/dispatches-seeking-protection-behind-bars-hungary.
[xvii] Human Rights Watch, « Dispatches: Invisible Victims of the Syrian Conflict—People With Disabilities »,19 septembre 2013, https://www.hrw.org/news/2013/09/19/dispatches-invisible-victims-syrian-conflict-people-disabilities.
[xviii] Syria Deeply, « Fear and Loathing in Aleppo's Mental Hospital », 1er juin 2013, http://www.syriadeeply.org/articles/2013/06/2354/fear-loathing-aleppos-mental-hospital/.
[xix] Human Rights Watch, « Les personnes handicapées face à des risques accrus dans les situations de crise – Il faut leur garantir un accès égal aux services », 3 décembre 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/12/03/les-personnes-handicapees-face-des-risques-accrus-dans-les-situations-de-crise
[xx] Entretien de Human Rights Watch avec Safiya, Sanaa, le 26 mars 2016.
[xxi] Human Rights Watch, « Les personnes handicapées face à des risques accrus dans les situations de crise – Il faut leur garantir un accès égal aux services », 3 décembre 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/12/03/les-personnes-handicapees-face-des-risques-accrus-dans-les-situations-de-crise
[xxii] Human Rights Watch, « Irak : Des ex-captives de l’État islamique décrivent une politique de viols systématiques – Les Yézides qui ont pu s’échapper ont un besoin urgent de soins », 14 avril 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/04/15/irak-des-ex-captives-de-letat-islamique-decrivent-une-politique-de-viols
[xxiii] Id.
[xxiv] Id.
[xxv] Id.
[xxvi] Id.
[xxvii] Human Rights Watch, « République centrafricaine : Les personnes en situation de handicap sont laissés pour compte », 28 avril 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/04/28/republique-centrafricaine-les-personnes-en-situation-de-handicap-sont-laissees-pour
[xxviii] Human Rights Watch, « RCA : Abandonné à un sort funeste – le récit d’Ambroise », 27 avril 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/04/27/rca-abandonne-un-sort-funeste-le-recit-dambroise.
[xxix] Human Rights Watch, « République centrafricaine : Les personnes en situation de handicap sont laissés pour compte », 28 avril 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/04/28/republique-centrafricaine-les-personnes-en-situation-de-handicap-sont-laissees-pour
[xxx] Human Rights Watch, « République centrafricaine : Les personnes en situation de handicap sont laissés pour compte », 28 avril 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/04/28/republique-centrafricaine-les-personnes-en-situation-de-handicap-sont-laissees-pour
[xxxi] Human Rights Watch, « Yemen: Houthis Endangered School for Blind Coalition Airstrike Shows Added Risks for People With Disabilities », 13 janvier 2016, https://www.hrw.org/news/2016/01/13/yemen-houthis-endangered-school-blind.
[xxxii] Human Rights Watch, « Yemen: Houthis Endangered School for Blind Coalition Airstrike Shows Added Risks for People With Disabilities », 13 janvier 2016, https://www.hrw.org/news/2016/01/13/yemen-houthis-endangered-school-blind
[xxxiii] Human Rights Watch, « Yemen: Houthis Endangered School for Blind Coalition Airstrike Shows Added Risks for People With Disabilities », 13 janvier 2016, https://www.hrw.org/news/2016/01/13/yemen-houthis-endangered-school-blind
[xxxiv] Human Rights Watch, « République centrafricaine : Les personnes en situation de handicap sont laissés pour compte », 28 avril 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/04/28/republique-centrafricaine-les-personnes-en-situation-de-handicap-sont-laissees-pour
[xxxv] Human Rights Watch, « République centrafricaine : Les personnes en situation de handicap sont laissés pour compte », 28 avril 2015, https://www.hrw.org/fr/news/2015/04/28/republique-centrafricaine-les-personnes-en-situation-de-handicap-sont-laissees-pour
[xxxvi] Education Sector Working Group, Access to Education for Syrian Refugee Children and Youth in Jordan Host Communities: Joint Education Needs Assessment Report, mars 2015, p. 2, 3.
[xxxvii] Education Sector Working Group, Access to Education for Syrian Refugee Children and Youth in Jordan Host Communities: Joint Education Needs Assessment Report, mars 2015, p. 2, 3. 2, 3.
[xxxviii] Entretien de Human Rights Watch avec Hamida, Mafraq, 13 octobre 2015.
[xxxix] Entretien de Human Rights Watch avec Amal, Mafraq, 13 octobre 2015.
[xl] Entretien de Human Rights Watch avec Hind, village de Samar, 12 octobre 2015.
[xli] Entretien groupé de Human Rights Watch avec six réfugiées syriennes, Baqaa, 10 octobre 2015.
[xlii] Entretien de Human Rights Watch avec Sana’a, Mafraq, 13 octobre 2015.
[xliii] Entretien de Human Rights Watch, Mafraq (Jordanie), 13 octobre 2015.
[xliv] Voir Reva Dhingra, « Providing sustainable psychosocial support for Syrian refugees in Jordan », Oxford Monitor of Forced Migration, Vol. 5, n° 1, p. 33-37, août 2015, consultable sur http://oxmofm.com/wp-content/uploads/2015/08/DHINGRA-Reva-Providing-sustainable-psychosocial-support-for-Syrian-refugees-in-Jordan.pdf (consulté le 3 mars 2016).
[xlv] Dhingra, « Providing sustainable psychosocial support for Syrian refugees in Jordan », Oxford Monitor of Forced Migration, août 2015, p. 36.
[xlvi] Handicap International, https://data.unhcr.org/syrianrefugees/download.php?id=5812 p. 6
[xlvii] Entretiens de Human Rights Watch avec des organisations spécialisées dans l’humanitaire et les droits des handicapés, Beyrouth, 9 novembre 2015 ; 10 novembre 2015 ; 10 novembre 2015 ; 11 novembre 2015 ; 12 novembre 2015 ; 12 novembre 2015 ; 16 novembre 2015 ; 16 novembre 2015 ; 16 novembre 2015 ; 26 novembre 2015 ; 26 novembre 2015 ; 3 décembre 2015 ; 11 décembre 2015.
[xlviii] Entretien avec une organisation spécialisée dans le droit des handicapés, 11 décembre 2015.
[xlix] Nov/Dec 15 Education Dashboard, http://data.unhcr.org/syrianrefugees/download.php?id=10292
[l] Entretien de Human Rights Watch avec Maysa’, Beyrouth, 30 novembre 2015.
[li] Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Abir, Beyrouth, 3 décembre 2015
[lii] Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Kawthar, Beyrouth, 11 décembre 2015
[liii] Entretien de Human Rights Watch avec Kawthar, Jounieh, 13 février 2016
[liv] Entretien de Human Rights Watch avec Khalid, Beyrouth, 3 décembre 2015.