Il y a un an, le 15 juillet 2013, j’ai reçu une terrible nouvelle. Mon ami et collaborateur Eric Ohena Lembembe, militant des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI), avait été retrouvé mort dans sa maison à Yaoundé.
C’était un lundi. Les amis d’Eric l’avaient vu le vendredi, et n’ayant pas réussi à le joindre par téléphone, ils se rendirent chez lui dans l’espoir de l’y trouver. Ils y ont découvert son corps sans vie, portant des traces de torture.
Eric était l’un des membres les plus actifs d’une communauté camerounaise de militants LGBTI en pleine essor. Il était directeur exécutif de la Fondation camerounaise pour le SIDA (Cameroonian Foundation for AIDS, CALFAIDS), une organisation de défense des droits humains plaidant pour l’égalité des droits et de l’accès aux soins pour les personnes LGBTI.
Peu de temps avant sa mort, Eric avait collaboré avec Human Rights Watch dans le cadre de recherches menées pour un rapport concernant les poursuites judiciaires fondées sur une loi camerounaise pénalisant les « rapports sexuels entre personnes de même sexe ». Il avait aussi contribué à la rédaction d’un communiqué de presse sur l’absence d’enquêtes à la suite d’une vague d’attaques contre des défenseurs camerounais des droits humains : il dénonçait alors l’indifférence du gouvernement face à des « agresseurs homophobes prenant pour cible ceux qui soutiennent l’égalité des droits indépendamment de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre ». Eric avait décrit le climat délétère qui règne au Cameroun dans un article publié par un journal new-yorkais. Il écrivait alors : « Il est rare de passer une journée ou ne serait-ce qu’une heure dans les rues, marchés, bureaux, églises et taxis publics de Yaoundé ou Douala… sans entendre les conversations glisser vers la ‘déviance’ homosexuelle. »
Eric a-t-il été victime de l’hostilité qu’il avait dépeinte de manière aussi saisissante ? Impossible de le savoir puisque les autorités camerounaises n’ont jamais mené la moindre d’enquête sur les circonstances de son meurtre. La police n’a pas non plus cherché à préserver la scène de crime en l’état. Peu après le meurtre, la police a placé en détention et intimidé quelques-uns des amis d’Eric au sein de la communauté des militants LGBTI. Un juge a bien appelé les proches d’Eric afin de les interroger, avant de donner l’impression de laisser tomber l’affaire. Un rapport d’autopsie a enfin scandaleusement décrit la mort d’Eric comme « naturelle ».
Au cours de l’Examen Périodique Universel au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, l’ambassadeur du Cameroun avait complètement rejeté la piste du crime homophobe, insistant sur le fait qu’Eric avait été tué du fait de sa « vie privée ». On ne saurait imaginer insulte plus scandaleuse à la mémoire d’Eric.
Aucun représentant du gouvernement n’a jamais publiquement condamné son meurtre. Par son inaction, le Cameroun a manqué l’occasion de montrer que la violence n’est jamais acceptable, quelle qu’en soit la motivation, y compris pour des questions d’orientation sexuelle.
Le nombre d’arrestations pour cause « d’homosexualité » a diminué en 2014, mais des citoyens camerounais sont toujours derrière les barreaux, purgeant des peines ou en attente de procès pour des rapports sexuels consentis entre personnes de même sexe. Les cas de violence collective contre des personnes LGBTI restent quant à eux impunis.
En mai 2014, la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples a adopté une résolution solide condamnant les violences commises au motif d’orientation sexuelle ou d’identité de genre, et appelant les pays d’Afrique à garantir « des enquêtes adéquates et des poursuites sérieuses contre leurs auteurs ».
Un an après le meurtre d’Eric Ohena Lembembe, le Cameroun est-il prêt à respecter ses engagements internationaux, à mettre un terme aux poursuites pour « homosexualité » et à commencer à poursuivre les auteurs de violences homophobes ?