Malgré des années de conflit armé, le Burundi bénéficie de l’un des mouvements indépendants de la société civile les plus actifs de la région des Grands Lacs. Toutefois, alors que des élections se profilent en 2015, nous assistons à un climat politique de plus en plus tendu, avec des militants faisant l’objet de menaces. La récente arrestation d’un éminent défenseur des droits humains sur la base d’accusations douteuses est un signe inquiétant des tentatives de l’élite politique pour resserrer son emprise sur le pouvoir dans un pays où la violence politique est encore une triste réalité. Cette situation nécessite une réaction publique forte de la part des partenaires internationaux du Burundi, en particulier de la France, l’un des acteurs clé.
Pierre Claver Mbonimpa, président de l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH), a été arrêté dans la capitale, Bujumbura, le 15 mai. Après avoir interrogé Mbonimpa, le parquet l’a mis en accusation pour atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’État pour des remarques formulées à la radio dix jours plus tôt, et pour faux et usage de faux.
Ces remarques et ces documents concernaient des allégations selon lesquelles des jeunes Burundais avaient été armés et envoyés pour un entraînement militaire en République démocratique du Congo, pays frontalier du Burundi. Un câble confidentiel de l’ONU, divulgué en avril, alléguait également que des armes et des uniformes étaient distribués aux Imbonerakure, la ligue des jeunes du parti au pouvoir, par des membres des forces de sécurité.
Le 26 mai, la chambre de conseil du tribunal de grande instance en mairie de Bujumbura a décidé que Mbonimpa devait rester en détention préventive. Cela fait maintenant deux semaines qu’il est en prison.
Mbonimpa, âgé de 66 ans, connaît bien la prison centrale de Mpimba à Bujumbura : il est un ancien membre de la police mais aussi un ancien prisonnier. À la suite de son expérience de la vie en prison dans les années 1990, il a fondé l’APRODH pour défendre les droits des prisonniers et d’autres victimes d’atteintes aux droits humains au Burundi. L’organisation travaille maintenant dans tout le pays, documentant les atteintes aux droits humains, faisant campagne en faveur de la justice, et faisant la promotion des droits humains.
Human Rights Watch, qui maintient au Burundi une présence de longue date, a pu voir de près l’impact extraordinaire du travail de l’APRODH, et des interventions de Mbonimpa au nom des victimes. Le bureau de l’APRODH est la première porte où viennent frapper les personnes dont les proches ont été arrêtés, disparus de force ou tués. Source de soutien indéfectible, l’APRODH représente pour de nombreux Burundais le seul espoir d’obtenir justice.
Mbonimpa a de nombreuses fois déjà été confronté au harcèlement de la part de l’État burundais. Après des élections controversées en 2010, qui ont été boycottées par la plupart des partis d’opposition et où le président en place, Pierre Nkurunziza, était le seul candidat à la présidence, le gouvernement a de plus en plus qualifié les militants et les journalistes indépendants de porte-paroles de l’opposition. En 2012, Human Rights Watch a publié un rapport sur les assassinats politiques après les élections. L’APRODH a publié un rapport similaire durant la même période. Mbonimpa s’est souvent trouvé en première ligne pour dénoncer ces assassinats et réclamer justice pour les familles des victimes. Lorsque des agents de l’État étaient soupçonnés d’implication dans les violences politiques, il n’a pas craint de réclamer des comptes au gouvernement. Son courage, et celui d’autres militants burundais, a suscité des actes répétés de harcèlement et d’intimidation, et des menaces, ainsi que des interrogatoires par les autorités.
Son emprisonnement est un des nombreux signes inquiétants de répression. Les autorités ont a maintes reprises interrompu ou empêché des rassemblements de partis d’opposition au cours des derniers mois. Le 8 mars, la police a arrêté des dizaines de personnes, dont la plupart étaient des membres du parti d’opposition Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD). Certaines ont été appréhendées en lien avec un affrontement entre des membres du MSD et la police, d’autres ont été détenues arbitrairement. Le 21 mars, après un procès sommaire qui n’a duré qu’une seule journée, le tribunal de grande instance en mairie de Bujumbura a condamné 21 personnes à l’emprisonnement à perpétuité et 24 autres à des peines de prison allant de 5 à 10 ans. Pendant ce temps, les Imbonerakure sont toujours actifs dans la répression violente d’activités de l’opposition et dans le harcèlement de dissidents et de journalistes. Des membres de la police tuent des civils non armés en toute impunité.
Les chefs d’accusation contre Mbonimpa sont extrêmes et sa détention semble répondre à des motivations politiques, qui s’inscrivent dans le cadre d’une tentative drastique et désespérée visant à museler la société civile burundaise. Ces organisations de la société civile – souvent une épine dans le flanc du gouvernement – devraient jouer un rôle clé pour faire connaître les exactions, les inégalités et la corruption dans la période menant aux élections de 2015.
Mbonimpa, dont le travail en faveur des droits humains a été récompensé par plusieurs prix internationaux, devrait être libéré immédiatement. Si nécessaire, les autorités judiciaires peuvent poursuivre leurs enquêtes et procédures légales tandis qu’il demeure en liberté.
Bien que les acteurs internationaux présents au Burundi apprécient Mbonimpa en tant qu’homme intègre et courageux, ferme dans ses convictions et dans sa détermination à obtenir justice, les réponses diplomatiques à son arrestation n’ont pas été suffisamment énergiques. Il est temps pour les gouvernements bailleurs de fonds et autres acteurs internationaux engagés au Burundi d’appeler publiquement et avec force à la libération de Mbonimpa. Les gouvernements devraient transmettre au gouvernement burundais la force du soutien international à ce champion des droits humains. Sinon, les élections de 2015 risquent de dégénérer en guerre ouverte contre les militants et les journalistes qui sont encore au Burundi.