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Le 17 mai 2013

M. Jean-Claude Robert FOE
Procureur Général près la Cour d’appel du Centre
Yaoundé, Cameroun

Monsieur le Procureur général près la Cour d’appel du Centre,

Nous, les organisations soussignées, vous écrivons pour vous demander respectueusement d’abandonner les poursuites judiciaires engagées contre Jonas Singa Kumié et Franky Djome sous l’accusation d’homosexualité.

Jonas et Franky, qui s’identifient comme des femmes, ont été arrêté(e)s en juillet 2011 par des policiers qui avaient stoppé leur véhicule et constaté qu'ils portaient des vêtements féminins. Les policiers ont affirmé que Jonas, Franky et une troisième personne « se livraient à des attouchements mutuels » dans la voiture. Ils ont été déclarés coupables de comportement homosexuel en novembre 2011, par un juge qui a estimé que puisque le soir de leur arrestation les accusés avaient bu de la liqueur Baileys – que le juge a considérée comme étant une « boisson de femme » – cela prouvait qu'ils étaient homosexuels.

Le 7 janvier 2013, la Cour d'appel du Centre à Yaoundé a annulé le verdict de culpabilité prononcé par le tribunal de première instance. La Cour d'appel a estimé que la juridiction inférieure avait fondé sa décision sur des aveux extorqués à Jonas et Franky sous la contrainte, alors qu'ils étaient en garde à vue dans les locaux de la police. Elle a critiqué l'accusation pour n'avoir présenté aucun témoin ayant effectivement vu commettre les actes incriminés et pour s’être appuyée sur la déposition d’un inspecteur de police, qui s’était contenté de valider le rapport d’un de ses collègues. La Cour d’appel a également affirmé que même s'il existait des éléments de vérité dans le rapport de la police selon lequel les occupants du véhicule « se tripotaient » mutuellement, ce comportement pourrait être considéré, d'un point de vue juridique, comme « tentative d’homosexualité », mais pas comme « homosexualité ».

Lors d'une conférence de presse tenue à Paris le 30 janvier, le Président Paul Biya a été interrogé sur le nombre élevé de personnes présumées gays ou lesbiennes faisant l’objet d’arrestations et de poursuites judiciaires au Cameroun. Il a répondu en citant la libération de Jonas et Franky comme étant une preuve d’ « évolution », déclarant aux journalistes: « Nous avons récemment appris que des personnes condamnées pour homosexualité avaient été libérées, donc les mentalités sont en train d'évoluer, il ne faut pas désespérer ».

Nous avons par conséquent été profondément préoccupés lorsque nous avons appris que le 10 janvier, soit près de trois semaines avant les déclarations du Président Biya, votre bureau avait déposé un recours indiquant votre intention de contester auprès de la Cour Suprême la décision de la Cour d'appel.

Nous vous demandons d’abandonner ce recours et de laisser Jonas et Franky vivre en paix. Ils ne portent atteinte à personne; il est tout simplement impossible de les classer dans les catégories typiques du genre. Jonas et Franky sont transgenres – c’est-à-dire qu’ils sont anatomiquement de sexe masculin mais qu’ils se sentent femmes et s’identifient comme telles. Les arrêter et les emprisonner ne changeraient rien à l’idée qu’ils se font de leur identité. Nous ne voyons pas ce que le Cameroun a à gagner en continuant de persécuter ces deux jeunes personnes.

Nous vous présentons cette requête à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, qui est célébrée chaque année le 17 mai à travers le monde afin d’attirer l’attention sur les effets de l’homophobie et de la transphobie sur les droits humains des personnes concernées, et de promouvoir la tolérance, le respect et la liberté, indépendamment de l’orientation ou de l’identité sexuelles.

Le Cameroun s’est placé récemment sous les projecteurs de la communauté internationale, du fait qu’il persécute les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT). C’est ce qui a conduit le Président Biya à citer la libération de prison de Jonas et Franky comme étant la preuve d’une évolution des mentalités dans son pays en ce qui concerne l’orientation sexuelle et de l’identité de genre. L’attention ainsi portée sur le Cameroun a également conduit quinze pays, lors de l'Examen Périodique Universel (EPU) de ce pays au Conseil des droits de l'homme de l'ONU au début de ce mois, à lui recommander des mesures à prendre afin d’améliorer le respect des droits humains fondamentaux des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres. La délégation du Cameroun a déclaré que le pays examinerait avec attention toutes ces recommandations et apporterait des réponses au Conseil des droits de l’homme en octobre.

En abandonnant les poursuites contre Jonas et Franky, vous respecterez les droits humains fondamentaux qui sont garantis par la constitution du Cameroun; vous démontrerez au Conseil des droits de l’homme et à ses États membres que le Cameroun prend au sérieux ses obligations en matière de droits humains découlant du droit international; et vous éviterez au système judiciaire du pays de perdre de sa crédibilité en investissant beaucoup d’énergie dans la poursuite d’un dossier dans lequel la Cour d’appel a affirmé qu’il manquait cruellement d’éléments à charge.

Nous vous remercions de l’attention immédiate que vous accorderez à cette question. Nous nous réjouissons à l’idée de rester en contact avec vous.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Procureur, l’expression de notre haute considération.

Alternatives-Cameroun
Association de Défense des Homosexuels
CAMFAIDS
Human Rights Watch
International Gay, Lesbian, Bisexual, Trans and Intersex Association

CC:
M. Paul Biya, Président de la République
M. Philémon Yang, Premier Ministre
M. Laurent Esso, Ministre de la Justice
M. Chemuta Divine Banda, Président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme et des Libertés

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