(Bruxelles) – L’accord signé par le Sénégal et l’Union africaine (UA) le 22 août 2012 pour établir un tribunal spécial afin de juger l’ancien dictateur du Tchad, Hissène Habré, constitue une étape importante dans la longue campagne pour le traduire en justice, a déclaré une coalition d’organisations de défense des droits humains aujourd’hui.
Habré est accusé de milliers d’assassinats politiques et de l’usage systématique de la torture lorsqu’il dirigeait le Tchad, de 1982 à 1990. Habré vit en exil au Sénégal depuis plus de 21 ans mais n’y a toujours pas été traduit en justice.
« Nous sommes aujourd’hui plus près de la justice », a déclaré Alioune Tine, président de l’association Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (RADDHO), basée à Dakar. « Nous comptons sur le Sénégal et sur l’Union africaine pour agir rapidement dès maintenant et pour faire débuter le procès de Habré avant le décès d’autres survivants. »
Le Comité International pour le Jugement Équitable de Hissène Habré a déclaré que les donateurs internationaux devraient consentir au financement du nouveau tribunal afin de garantir l’avancement rapide du projet.
Le Comité International pour le Jugement Équitable de Hissène Habré comprend, entre autres, la RADDHO, l’Association tchadienne pour la Promotion et la Défense des droits de l’Homme (ATPDH), l’Association des Victimes de Crimes du Régime de Hissène Habré (AVCRHH), Human Rights Watch, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH), la Ligue Sénégalaise des Droits Humains et Agir Ensemble pour les Droits de l’Homme.
En juillet, des négociations entre l’Union africaine et le Sénégal ont débouché sur un projet de juger Habré devant un tribunal spécial au sein du système judiciaire sénégalais, comprenant des juges africains nommés par l’UA et qui présideraient le procès ainsi que les recours en appel. L’accord du 22 août engage les parties à ce projet et à un calendrier selon lequel le tribunal serait opérationnel avant la fin de l’année.
Le nouvel accord appelle à la création de « Chambres africaines extraordinaires » au sein de la structure judiciaire existante à Dakar. Il s’agit d’une chambre d’instruction, d’une chambre d’accusation, d’une chambre d’assises et d’une chambre d’appel. La chambre d’assises et la chambre d’appelseront chacune composées de deux juges sénégalais et d’un président originaire d’un autre pays africain.
Le mandat des chambres sera de poursuivre « le ou les principaux responsables » des crimes internationaux commis au Tchad entre le 7 juin 1982 et le 1er décembre 1990, dont le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et la torture. Il est cependant prévu que seul Habré soit jugé devant ce tribunal.
Afin de garantir que les procès soient efficaces et ne s’étendent pas sur des années, le ministère public pourra poursuivre « les crimes les plus graves » relevant de la compétence des chambresplutôt que d’accuser Habré de tous les crimes qui lui sont reprochés. Le statut du tribunal prévoit la réception et l’utilisation, en cas de besoin, des résultats des enquêtes belge et tchadienne sur les crimes présumés de Habré.
Un juge belge et son équipe ont passé près de quatre ans à enquêter sur les crimes de Habré avant de l’inculper pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture en 2005, amenant la Belgique à demander son extradition du Sénégal. Une commission nationale de vérité de 1992 au Tchad a accusé le gouvernement de Habré d’usage systématique de la torture et d’avoir commis jusqu’à 40 000 assassinats politiques.
Le Comité International appelle à l’établissement d’un comité de gestion fort – composé du Sénégal, de l’UA et des donateurs – pour assurer une bonne gestion financière du budget du tribunal et pour superviser la formation du personnel judiciaire et le travail de sensibilisation auprès du public tchadien.
« Il est essentiel de placer les victimes au cœur du processus et le statut du tribunal garantit aux victimes une véritable prise en compte lors du procès », a déclaré Dobian Assingar de la FIDH et président honoraire de la Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme. « Plus largement, l’établissement de ce nouveau tribunal peut marquer une avancée considérable pour la lutte contre l’impunité en Afrique. »
Les victimes seront autorisées à participer à tous les stades de la procédure en qualité de parties civiles, représentées par un avocat, et de demander des réparations auprès du tribunal ou d’un fonds volontaire pour les victimes. Les réparations seront disponibles même dans les cas où les victimes ne participent pas au procès de Habré. Le statut du tribunal prévoit l’enregistrement des audiences du procès afin qu’elles soient diffusées au Tchad ainsi que l’accès au procès pour les journalistes et les organisations non-gouvernementales.
En novembre 2010, après des années de querelles, le Sénégal et les pays donateurs ont consenti à un budget de 8,6 millions d’euros (11,4 millions de dollars) pour le procès de Habré au Sénégal. Cependant, en mai 2011, le Sénégal s’est retiré des négociations avec l’UA au sujet de la planification du procès. Etant donné que près de deux ans ont passé depuis la promesse de fonds initiale des donateurs, le Sénégal doit rechercher de nouvelles promesses de financement et a indiqué vouloir le faire rapidement. La ministre de la justice sénégalaise, Aminata Touré, a déclaré que, contrairement au gouvernement précédent, le Sénégal ne retardera pas le début de la procédure jusqu’à ce que le financement intégral soit obtenu.
Les promesses de fonds de 2010 avaient été faites par : le Tchad (2 milliards de francs CFA ou 3,743 millions de dollars), l’Union européenne (2 millions d’euros), la Belgique (1 million d’euros), les Pays-Bas (1 million d’euros), l’Union africaine (1 million de dollars), l’Allemagne (500 000 euros), la France (300 000 euros) et le Luxembourg (100 000 euros).
Au cours de sa visite au Sénégal le 1er août, la Secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a promis « d’aider par tous les moyens » l’engagement de poursuites contre Habré.
« Au fil des ans, la communauté internationale a joué un rôle crucial en pressant le Sénégal à traduire Habré en justice », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch. « Etant donné la nature potentiellement historique de ce procès, et les avancées rapides du Sénégal, nous espérons que les donateurs accepteront d’aider au financement du nouveau tribunal. »