(La Haye, le 16 février 2012) – La Cour internationale de Justice (CIJ) a fixé au 12 mars 2012 le début des audiences du différend opposant la Belgique au Sénégal sur le sort de l’ancien dictateur tchadien Hissène Habré. L’affaire pourrait aboutir à une décision contraignante obligeant le Sénégal à extrader Habré vers la Belgique à défaut de le juger au Sénégal, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Habré, qui vit au Sénégal depuis plus de vingt ans, est recherché par la justice belge pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture commis durant son régime, de 1982 à 1990. La Belgique a récemment déposé sa quatrième demande sollicitant l’extradition de Habré, après le rejet des précédentes demandes par le Sénégal.
« La Cour internationale de Justice pourrait obliger le gouvernement du Sénégal à enfin permettre que Habré soit traduit en justice », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique et porte-parole de Human Rights Watch, qui travaille avec les victimes de Habré depuis treize ans. « L’obligation juridique du Sénégal de juger ou d’extrader Habré est claire. »
La Belgique a déposé une requête contre le Sénégal auprès de la CIJ en février 2009, après le refus par le Sénégal soit de juger Habré devant ses tribunaux, soit de l’extrader. En mai 2009, la CIJ a accepté l’engagement solennel du Sénégal de ne pas laisser Habré quitter son territoire avant que la Cour ait rendu sa décision définitive.
Habré a d’abord été inculpé au Sénégal en 2000, mais après des immixtions politiques du gouvernement sénégalais dénoncées par deux Rapporteurs des Nations Unies sur les droits de l’homme, les juridictions sénégalaises ont déclaré qu’il ne pouvait y être jugé. Certaines de ses victimes se sont alors tournées vers la justice belge. En septembre 2005, après plusieurs années d’enquête, un juge belge a demandé l’extradition de Habré. La Cour d’appel de Dakar s’est déclarée incompétente pour traiter cette demande.
La Belgique a déposé une deuxième demande d’extradition le 15 mars 2011. Le 18 août dernier, la Cour d’appel de Dakar a déclaré cette requête irrecevable, considérant que le mandat d’arrêt belge n’était pas joint à la demande. Le 5 septembre, la Belgique a envoyé une troisième demande d’extradition. Toutefois, le 10 janvier 2012, la Cour d’appel a déclaré encore une fois que la demande était irrecevable en alléguant que le mandat d’arrêt joint n’était pas une copie authentique. Le 17 janvier, la Belgique a transmis une quatrième requête demandant l’extradition de Habré, tout en précisant que c’est le gouvernement sénégalais qui n’avait pas correctement transmis les documents à la Cour.
« La Belgique a soutenu les victimes de Habré depuis le début », a indiqué Clément Abaifouta, président de l’Association des Victimes des Crimes du Régime de Hissène Habré qui, en tant que prisonnier durant le régime de Habré, fut contraint de creuser des fosses communes pour y enterrer plus de 500 de ses codétenus. « Nous espérons que la Cour dénoncera les manœuvres dilatoires du gouvernement Sénégalais et ordonnera à ce pays d’extrader Habré vers la Belgique, afin qu’il y soit enfin jugé ».
La Cour internationale de Justice, dont le siège est situé à la Haye aux Pays Bas,est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies. La Cour règle généralement les différends interétatiques et n’a pas compétence pour poursuivre des individus. Ses arrêts ont force obligatoire à l’égard des États qui ont accepté sa compétence.
Dans sa requête, la Belgique accuse le Sénégal d’avoir violé la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en s’abstenant de poursuivre ou d’extrader Habré, et d’avoir failli à son obligation de traduire en justice les individus accusés de crimes contre l’humanité.
En mai 2006, le Comité contre la torture a jugé que le Sénégal avait violé la Convention contre la torture, et a appelé le Sénégal à poursuivre ou extrader Habré, mais le Sénégal n’a pas respecté cette décision. En juillet 2011, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Mme Navi Pillay, a rappelé au gouvernement du Sénégal qu’ « abriter une personne qui a commis la torture et d'autres crimes contre l'humanité sans la poursuivre en justice ni l'extrader est une violation du droit international ».
Les audiences publiques à la Cour internationale de Justice se dérouleront jusqu’au 21 mars. Une décision n’est pas susceptible d’être rendue avant quelques mois.
Habré a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, jusqu'à ce qu'il soit renversé par Idriss Déby Itno et s'exile au Sénégal. Son régime à parti unique a été marqué par des atrocités commises à grande échelle, notamment par des vagues d'épuration ethnique. Les archives de la police politique, la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), découvertes par Human Rights Watch en 2001, ont révélé les noms de 1 208 personnes exécutées ou décédées en détention. Un total de 12 321 victimes de graves violations des droits humains sont mentionnées dans les dossiers.
Articles de presse sur l'affaire Habré à la Cour internationale de justice:
http://www.rfi.fr/afrique/20120312-pays-bas-habre-cij-senegal-tchad-la-haye
http://www.lalibre.be/actu/international/article/725419/juger-extrader.html
http://www.euronews.com/2012/03/12/icj-hears-extradition-request-for-habre/
http://www.liberation.fr/monde/01012395430-la-cour-de-la-haye-se-penche-sur-le-cas-hissene-habre